Chapitre 59 (Réécrit) - Fin

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Lorsque Lyra fermait les yeux, elle plongeait de nouveau dans le même cauchemar. Elle retournait à cette fameuse nuit. Celle qui avait mis un terme à la guerre.

Des nuits entières que la conteuse gesticulait dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Les images du canon lui revenaient en tête. Tout comme la chute de Crowley du haut de la tour. Mais le pire, c’était Kayden se jetant à la poursuite de l’homme. Le bruit de son corps glissant sur les tuiles, de son hurlement en essayant de récupérer l’arme, amplifier par le grondement sinistre du tonnerre.

Et bien que ce souvenir soit l’un des pires de Lyra, ajouté à son séjour en prison, la condamnation de son père et la fois où Marie l’avait puni de pain perdu, il se terminait bien. Kayden avait réussi à attraper le canon.

L’arme était si lourde qu’elle l'avait emporté dans sa chute. Lyra ne se rappelait même plus si elle avait hurlé au moment où le Renard était passé par-dessus les mâchicoulis. Mais le corps de la jeune femme avait bougé tout seul. À son tour, elle s’était précipitée au bord pour trouver avec soulagement Kayden accroché à une main au créneau en pierre. Il maintenait le canon tout contre lui, l’enveloppant d’un bras et resserrant ses jambes pour éviter qu’il ne glisse.

Lyra souffla de mécontentement. Ce n’est pas cette nuit encore qu’elle réussirait à bien dormir. Résignée, elle se leva en prenant garde de ne pas faire de mouvement brusque. Elle se dirigea vers son secrétaire, alluma une bougie et déposa la pointe de sa plume dans l’encrier.

Elle savait déjà ce qu’elle allait écrire, elle y avait longtemps réfléchi. Déterminée, le sommeil ayant complètement déserté, elle recoiffa l’une de ses boucles qui lui chatouillait le nez et commença :

À ma chère famille,

Cette aventure a commencé avec une lettre. Et elle se termine avec une autre.

Dans un premier temps, avant de vous donner de mes nouvelles, j’espère que père a fait bon voyage jusqu’à Rivermoore. Même si je l’ai déjà bien disputé à sa sortie de prison, n’hésitez à en rajouter.

De mon côté, je vais bien. J’aide du mieux que je peux. Les soldats de Childéric ont détruit la ville basse et non pas été plus tendre avec les hauteurs de Silverthrown. Heureusement, tout le monde met la main à la pâte, que ce soit les habitants, les nobles ou les employés du château. Bien que douloureux, c’est un magnifique tableau d’entraide et de solidarité qui se peint de jour en jour à la capitale.

Lyra s’arrêta. Elle passa une main dans son dos pour dénouer ses muscles et fit rouler sa tête sur ses épaules. En essayant de ne pas faire trop de bruit avec sa plume, elle était dans une position inconfortable. Avant de reprendre, elle se frotta les yeux et réprima un bâillement. Peut-être que le sommeil n’était pas si loin finalement.

Je ne vais pas passer par quatre chemins. J’imagine que vous êtes déjà au courant : Childéric est mort. Rivermoore a beau être éloigné dans la campagne, l’information a déjà dû vous paraître. Sa sœur, la première ministre d’Aldonya, Opale de Lomond a été arrêté et jugé pour crime contre lèse-majesté. Comme nous nous en doutions, elle était l’instigatrice du coup d'État d’Aldonya et aidait son frère durant ces deux dernières décennies. J’ai aussi cru comprendre que toute la cour de Jude de Lior avait fini en prison. Pour avoir déjà visité leurs cachots, je leur souhaite bonne chance. Quant à Lysandre de Lomond… je reste sans nouvelle. J’espère qu’il a pu s’enfuir et qu’il pourra vivre de sa passion. C’est tout ce que je lui souhaite. Je ne perds pas espoir de le revoir un jour.

Enfin, pour remercier Ambrume dans son rôle dans la chute de Childéric, Jude a signé de sa main un nouveau traité de paix entre les deux royaumes. Heureusement, pour l’occasion, on ne m’a pas demandé de conter. J’ai vraiment besoin de vacances.

Et en parlant de vacances, nous allons faire un petit détour avant de vous rejoindre pour le mariage d’Enora. Je sais que tu liras cette lettre, ma sœur. Alors, sache que je ne manquerai ça pour rien au monde !

Vous me manquez tous énormément,

Je vous embrasse,

Avec tout mon amour,

Votre Lyra.

PS : Il faudra ajouter un couvert supplémentaire au mariage.

— Tu n’arrives pas à dormir ?

À ces mots, Lyra fut enveloppée par deux bras dont les multiples cicatrices creusaient la peau. La conteuse releva la tête et Kayden en profita pour lui embrasser le front. Sur le lit, entre les draps froissés, Archibald miaula de mécontentement. Ses humains de compagnies et accessoirement bouillottes vivantes venaient de l’abandonner, tout ça pour se conter fleurette.

— Pas trop… marmonna Lyra en posant sa plume. Je suis désolée, je t’ai réveillé ?

— Non. C’est pareil pour moi, dit-il en enfouissant son menton dans les boucles brunes de la jeune femme.

Lyra se leva de sa chaise et vint se blottir contre le Renard. La chaleur de la saison solaire s’était abattu d’un coup sur le royaume. À croire que même la météo essayait de chasser le mauvais souvenir de cette tempête. Pour Lyra, il y avait un point positif. Grâce à la température, Kayden dormait torse nu. Et pour ça, la conteuse remerciait le Soleil chaque jour.

— Menteur, tu dors comme un bébé, le taquina-t-elle. Je le sais, parce que tu ronfles !

Kayden pris un air faussement outré avant de l’attaquer à coups de baiser dans le cou.

— Voilà ma vengeance, plaisanta-t-il en riant. Et je… Aïe !

Lyra s’immobilisa un instant avant de porter une main aux bandages qui recouvraient le flanc du jeune homme.

— Ta blessure est toujours aussi sensible ?

— Ne t’inquiète pas, la rassura-t-il, un sourire crispé sur les lèvres. Et de nous deux, je ne suis pas le seul à plaindre.

En effet, Kayden avait été salement amoché. Tout comme Lyra. Les médecins l’avaient pourtant mise en garde. Ne pas forcer, sous peine de ne plus pouvoir marcher. Bien sûr, la situation ne lui avait pas beaucoup laissé le choix. Les courses dans le château, les combats et l’escalade de la tour ouest avaient mis à mal les muscles de sa jambe gauche. Et la faucille de Crowley planté dans sa chair avait été le coup de grâce. Lyra en était sortie vivante, mais les médecins étaient formels : elle boiterait. Peut-être pas pour toujours. Avec les soins et les exercices nécessaires, la douleur pourrait s’estomper. Mais pour le moment, elle était seulement capable de traverser sa chambre sans aide de sa canne.

Une canne que, justement, Kayden avait commandée à un talentueux menuisier. En bois clair, le bâton était sculpté avec finesse. Pendant sa convalescence, le Renard lui avait offert une montagne de cadeaux. En plus du champ de fleur qu’il avait fait amener dans sa chambre, il lui avait fait porter des piles de livres, des vêtements soyeux et des charrettes de pâtisseries. Pour Lyra, le plus précieux des présents, c'était le peigne de perce-neige en or blanc, le même qu’elle avait perdu à Polaris. Kayden en avait retrouvé un autre dans la boutique qu’il avait visité ensemble. Tout ceci paraissait déjà tellement loin à la conteuse.

— Prête pour nos vacances ?

— Des vacances bien méritées, souffla Lyra d’aise, en posant sa tête contre le torse rebondit de Kayden. Toujours, prête. Surtout que je suis bien accompagnée.

— Tu penses que ta famille m’en veut encore d’avoir emprisonné ton père pour trahison et de t’avoir, par conséquent, mise en danger ?

Lyra souleva ses épaules.

Le mariage d’Enora allait être mouvementé, pas de doute là-dessus.

-§-

Les au revoir furent déchirants. Madeleine, blottis dans les bras de Lyra, avait pleuré toutes les larmes de son petit corps. Tant bien que mal, Landry avait essayé de la décoller, mais la domestique était restée fermement accrochée à la conteuse jusqu’à ce que cette dernière monte en selle. Avant ça, elle avait pu saluer Damien et Alphonse. Le premier la serra contre lui, les yeux humides, son indétrônable sourire contagieux toujours en place. Le deuxième, comme il avait pris l’habitude de le faire, posa une main amicale sur la tête de la jeune femme. Ses yeux aussi luisaient d’un joli mélange de joie et de tristesse. Une fois les embrassade terminées, et pour se consoler l’un l’autre, les deux gardes se prirent la main. D’un même mouvement, Damien posa sa tête sur l’épaule de son amant. Il leur en avait fallu du temps, mais Lyra était ravie que les deux hommes se soient avoués leur sentiment. Enfin, elle pouvait parler, son amoureux à elle aussi avait été lent.

En levant les yeux vers le château, elle vit les ombres de Thelma et Ellyana à travers la grande fenêtre du premier étage. Les deux reines les saluaient d’un geste de la main. Lyra imaginait la reine Ellyana, son visage ruisselant de larmes, soutenu par sa femme, dont son regard glacé trahissait également sa tristesse.

Kayden et elle, les avaient déjà salués, en privé.

Les deux femmes avaient assuré à Lyra que sa famille n’avait rien à craindre. Grâce à son implication dans le combat contre Childéric, la peine de son père avait été amoindri. Monsieur Merryweather allait être surveillé pendant un long moment et il n’avait plus aucune possession, mais au moins, il avait la vie sauve. Tout ce qu’il possédait, c’est-à-dire la maison de Rivermoore, appartenait à présent à madame Merryweather. Quant à Lyra, elle avait été remerciée en devenant Lyra Merryweather, comtesse de Rivermoore. De ce fait, elle avait à présent une magnifique demeure qui l’attendait ainsi qu’une conséquente fortune.

Avant de partir, Ellyana avait pris la main de Lyra dans la sienne.

— Ambrume vous est à jamais reconnaissant, comtesse Lyra de Rivermoore.

— Je ne sais comment vous remercier, vos majestés, répondit Lyra, les joues rougies par toute cette reconnaissance.

Thelma, le dos droit, la jugeait de toute sa hauteur, son œil d’aigle toujours aussi perçant.

— C’est nous qui devons te remercier, affirma la reine. Et moi, je dois m’excuser pour tout ce que tu as enduré.

— Non, votre majesté, je vous assure…

Thelma, suivi de sa femme, effectua une révérence devant une Lyra bouche bée.

— Nous sommes désolées, déclarèrent-elles, humbles.

Lyra baragouina des « oui », « enfin, non », « ce n’est rien ». Elle était incapable de prendre conscience de la scène qui se jouait devant elle.

Laissant Lyra à son étonnement, Thelma se tourna ensuite vers Kayden.

— Je te laisse partir à contrecœur. Tu es encore souffrant…

— Je vais beaucoup mieux et vous m’avez connu dans un pire état, fanfaronna Kayden.

Thelma s’avança jusqu’à lui et ébouriffa ses cheveux roux.

— Tu as tellement changé et en si peu de temps. Tu t’es ouvert au monde et aux autres. Je suis très fière de toi, mon garçon.

Kayden allait lui répondre, mais elle poursuivit.

— Mais je ne te laisserai partir qu’à une condition. Dis « Au revoir mamans. »

— Co-comment ?

Thelma le regarda, un sourire fier illuminant son visage de porcelaine. Elle l’encouragea d’un mouvement circulaire de la main.

Alors, comme à chaque fois qu’il était embarrassé, Kayden rougit des joues jusqu’aux oreilles. Néanmoins, et d’une voix forte, il n’hésita pas plus longtemps.

— Au revoir mamans.

-§-

Ainsi installée sur Stardust, Kayden dans son dos, Lyra se laissa porter par le dandinement de la jument. Et bien qu’elle soit excitée par leur destination, le Renard et elle firent un détour pour saluer un vieil ami.

La joie sur le visage du géant lorsqu’il aperçut Lyra passé la porte de sa taverne était communicative. Maximilien était d’abord suspicieux face à l’homme qui accompagnait la jeune femme, mais il reconnut rapidement cette chevelure rousse propre au capitaine de la garde de Silverthrown. Kayden n’avait pas remis son masque doré depuis leur fuite de Polaris. Sur le chemin, il avait expliqué à Lyra qu’il ne ressentait plus le besoin de se cacher. Elle était ravie, même si une petite partie d’elle, profondément enfouie dans son esprit, regrettait le temps où elle était la seule à connaître le visage de ce mystérieux chevalier.

Ce soir-là, Maximilien leur laissa la plus belle chambre du Cochon grillé. Bien évidemment, ils dormirent peu. Déjà, parce que Lyra s’était empressée de conter leurs aventures aux clients de l’auberge. Et lorsqu’elle s'arrêtait, ils scandaient de continuer. Mais également, car Lyra avait une revanche à prendre sur Kayden.

— Écoute-moi bien, Renard doré. Jamais plus tu ne me quitteras au milieu de la nuit pour aller dormir avec les chevaux, lui avait-elle ordonné en le faisant basculer sur le lit.

— Et jamais plus, je n’échapperai à tes baisers, ajouta Kayden en l’embrassant.

Le lendemain, ils reprirent la route. Il ne leur fallut que quelques heures avant de rejoindre leur destination.

En posant le pied sur la terre ferme, des herbes hautes vinrent chatouiller les mollets de Lyra. Un ciel bleu clair et des nuages cotonneux s’offraient à eux à perte de vue. De gros oiseaux blancs dansaient dans les airs, leur chant transperçant l’infinité de ce paysage sauvage.

Appuyée sur sa canne, Lyra fit un pas, mais le voyage à cheval l’avait déjà beaucoup fatiguée. Elle avait peur de flancher en marchant davantage. Maudite jambe, déplora-t-elle. Et ça allait sans doute être ainsi pour le restant de ses jours.

Alors, qu’elle resserrait ses doigts sur la poignée, elle quitta la terre ferme d’un battement de cil. La voilà projeter en l’air, solidement maintenu dans les bras de Kayden.

— Kay, ta blessure ! Tu vas la rouvrir !

— N’ayez crainte, Mademoiselle Merryweather.

— Ce sera comtesse de Rivermoore pour toi, manant, renchérit-elle en rigolant.

— Oh, veuillez m’excusez votre grâce !

Il la porta jusqu’au bord de la falaise. Et une fois tous les deux assis sur l’herbe, ils contemplèrent l’étendu qui s’offrait à eux. Les rochers gris et bruns aux formes abstraites, recouverts de mousses, encadraient ce tableau bucolique.

Lyra faisait face à l’un de ses plus beaux rêves. Sans fermer les yeux, ne souhaitant rien rater de ce spectacle, elle inspira profondément. Ses poumons se remplirent d’un air sain aux embruns vivifiant.

L’océan. Sublime, mystérieux et magique. Là-bas, l’écume blanche qui se formait en rouleau contrastait avec le bleu sombre de l’eau. Au loin, elle se perdait dans l’horizon, ciel et mer ne formant plus qu’un.

— N’as-tu jamais rien vu d’aussi beau ? demanda-t-elle à Kayden, confortablement installée entre ses bras, adossée à son torse.

Il ne répondit pas tout de suite. À la place, il prit sa main et lui embrassa les doigts. Ses lèvres étaient aussi fraîches que le vent qui ébouriffait leurs cheveux.

— Il y a une chose que je voulais t’avouer. Je voulais te le dire une fois toute cette histoire derrière nous, dit-il finalement.

Elle se tourna vers lui, plongeant son regard dans celui verdoyant de vie de Kayden. Comme les vagues qui se fracassaient contre les rochers en contre bas, une vague d’émotion vint envelopper son cœur. Elle repensa à leur rencontre. Lui si peu bavard qu’elle comptait les mots de ses phrases. À présent, elle pouvait contempler ses taches de rousseurs, ses trois balafres et ses lèvres à la douceur de pêche. Elle pouvait l’embrasser et l’entendre prononcer les plus belles des paroles. Elle pouvait sentir ses caresses et s’endormir chaque nuit en sachant qu’elle se réveillerait à ses côtés le lendemain.

Kay.

Il était son océan, son Soleil et sa Lune.

— Lyra…, murmura-t-il en remplaçant une mèche brune derrière l’oreille de la conteuse.

Je t’aime.




-FIN-

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