Epilogue : Nouvelle Terre
Cinq ans passèrent. Cinq ans depuis que le Gouvernement d'Ekbow avait chuté et que ses soldats avaient retrouvé leur liberté. Ces années étaient passées si vite que j'avais l'impression que le temps avançait à une vitesse folle sans que nous puissions y faire quoi que ce soit. Et en même temps, j'avais l'impression que mon passé sur Ekbow relevait d'une autre vie, une existence passée qui avait duré bien trop longtemps mais que j'avais laissée derrière moi désormais.
À vrai dire, je n'aurais pu rêver mieux que ce que j'avais aujourd'hui. Il y a cinq ans, je débarquais sur Nouvelle Terre pour espérer goûter à une deuxième chance. Je me rappelle mon émerveillement, et celui de mes anciens camarades, Beck, Lenny et Tom lorsque nous avions découvert à quoi ressemblait la planète. De l'eau s'étendait à perte de vue, des océans immenses comme dans les rêves que je faisais autrefois avec Lyana, mais aussi des chaînes de montagne gigantesques ici et là, côtoyant des sommets volcaniques, des déserts arides ou encore des forêts luxuriantes. Et partout, la vie prospérait en paix, loin de l'activité humaine. La faune et la flore abondaient, alors que les nouveaux colons, arrivés ici il y a plusieurs décennies, n'en connaissaient encore que très peu les secrets.
Lyana me disait souvent que Nouvelle Terre lui faisait penser à la planète bleue sur laquelle nous avions vécu autrefois. La planète regorgeait de vie et d'espoir pour tous ses nouveaux habitants. Lorsque nous étions arrivés, nous avions découvert que les colonies étaient relativement petites et devaient compter tout au plus quelques milliers d'individus. Pas plus de 5 000. Nous étions près du double aujourd'hui.
Mais il n'était pas question de saccager la planète comme nos ancêtres l'avaient fait sur Terre. Tous les habitants de Nouvelle Terre étaient sensibilisés à la cause environnementale et vivaient en adéquation avec la nature, se conformant à ses désirs plutôt qu'aux nôtres. Ainsi, nous ne prélevions pas à la terre plus que ce qu'elle pouvait nous donner, évitant toute source de pollution également. Les enfants eux-aussi étaient éduqués très jeunes en ce sens et l'inculqueraient pour les futures générations.
Nous vivions tous dans des maisons similaires, modernes, avec de grandes baies vitrées et de forme arrondie. Les enfants travaillaient au côté de leurs parents au service du bien commun car les terres appartenaient à tous et les récoltes étaient équitablement réparties. Il en était de même pour la chasse, la pêche et l'eau. Toute forme d'argent avait disparu. Concernant les décisions politiques, elles étaient prises selon le principe démocratique de la majorité. Des représentaient étaient nommés et décidaient pour l'ensemble de la collectivité.
Ça aurait pu paraître utopique tellement ça semblait être simple. Pourtant ça l'était et en cinq ans, la vie s'était écoulée paisiblement, sans tension majeure. Mais Nouvelle Terre n'était qu'une colonie parmi tant d'autres réparties dans l'univers. En tant qu'habitants, nous avions peu de contacts avec les 22 autres colonies existantes. C'était principalement le Conseil, dont Lyana faisait partie en tant que chef des armées, qui entretenait des relations étroites avec, à la fois diplomatiques et économiques. De ce que je savais, il y avait eu de nombreuses tensions après la destruction d'Ekbow, notamment concernant le sort qui serait réservé aux anciens commandants de guerre ennemis. Mais la majorité avait finalement voté pour l'application de travaux forcés afin qu'ils contribuent à construire Nouvelle Terre et les nombreuses autres colonies humaines. Au total, ce furent 150 personnes qui furent envoyer un peu partout à travers l'espace.
John, lui-même, resta prisonnier pendant toutes ces années. Je n'avais eu aucun contact avec lui au début mais Lyana avait fini par négocier une visite mensuelle en ma faveur, au bout d'un an. Depuis, je lui rendais régulièrement visite pour prendre de ses nouvelles. Le vieil homme avait bien changé et semblait s'être repenti, m'ayant remercié de nombreuses fois pour avoir sauvé son peuple. Il regrettait la tournure des événements et ses menaces de déclencher une bombe qui n'étaient qu'un leurre, sans parler de ses trahisons à mon égard. Ces bombes devenues antiquité ne marchaient plus et faisaient partie d'un temps révolu. J'eus aimé croire que mon ancien ami n'avait peut-être pas perdu son humanité et qu'un jour, il pourrait réintégrer la société, trouvant enfin la paix.
En hommage au peuple que nous avions secouru, les habitants de Nouvelle Terre décidèrent de baptiser la première ville humaine, Talyssa. Auparavant cité de l'ombre construite à même le sol et la roche, elle rayonnait aujourd'hui pour porter avec elle un nouveau départ pour l'humanité.
Il semblait d'ailleurs que les habitants m'accueillaient mieux aujourd'hui qu'il y a cinq ans quand j'avais été fait prisonnier au camp. En témoignent les nombreux sourires que l'on me faisait régulièrement et les chuchotements des parents à leurs enfants lorsque je passais parfois près d'eux. Je pense d'ailleurs que Lyana aurait voulu que je fasse une carrière politique au sein du Conseil, mais j'aimais ma vie loin des projecteurs, auprès de ma famille.
Il y a quatre ans à peu près, soit un an après mon arrivée et mon installation sur Nouvelle Terre, j'eus une surprise de taille en voyant débarquer Sara à l'aéroport. C'est Tom qui m'avait annoncé sa venue mais je n'y avais pas cru avant de la voir arriver. Elle était vêtue d'une veste en cuir noir, d'un jean, les cheveux attachés en une longue natte brune qui lui tombait dans le dos, ses yeux bleu pétillants et un grand sourire affiché. Je ne me rappelais l'avoir vu aussi rayonnante depuis que nous nous connaissions. Elle semblait avoir trouvé la paix et j'étais heureux pour elle.
Nous avions discuté longuement, après avoir bu un peu trop. Elle m'avait dit qu'elle était heureuse sur sa planète, Tyara, dans ses îles où elle avait grandi et où il faisait toujours beau, là où l'eau transparente côtoyait le sable blanc. Mais il lui manquait quelque chose. Elle avait retrouvé sa famille, son peuple mais nous lui manquions. Elle m'avait avoué, légèrement ivre, que je lui manquais. Et là-dessus, il ne fallut pas beaucoup plus pour que je l'embrasse. Elle avait logé chez moi les premiers mois, avant de retourner sur sa planète natale.
Elle était finalement repartie et s'en était suivie une période de plusieurs mois pendant lesquels j'avais déprimé. Ayden, qui avait bien grandi et était maintenant devenu un jeune adulte, l'avait remarqué et il m'avait dit d'aller la voir et de ne plus la laisser partir cette fois. Ce que j'avais fait, sans hésitation. Ce gamin m'avait ouvert les yeux plus d'une fois. Alors j'étais allé la retrouver sur Tyara et je lui avais dit que je ne voulais plus la laisser partir. Et c'est ce qu'elle fit en emmenant ses affaires avec moi sur Nouvelle Terre.
J'avais laissé mon appartement pour une maison plus grande, loin de la ville, sorte de cabane gigantesque dans les arbres, avec une vue magnifique sur la vallée et sur l'océan. Ayden vivait encore avec nous, mais il était de moins en moins présent, lui-même ayant ses propres histoires avec une jeune femme du nom de Lana. Devenu un homme, il menait désormais sa propre vie même s'il venait nous voir régulièrement, tout comme Lyana et Nelly, ma petite-fille, qui l'accompagnait de temps en temps. J'avais refait ma vie mais Lyana et Nelly faisaient partie de ma famille. Une famille bien élargie puisque nous avions maintenant un petit garçon du nom de Tiago de trois ans et nous attendions une fille qui devrait naître d'ici deux-trois mois.
J'étais heureux, heureux que la vie m'ait donné une seconde opportunité, loin d'Ekbow, loin de la Terre. Aujourd'hui, j'avais arrêté de culpabiliser, même si je repensais parfois à ma vie d'autrefois et aux morts que j'avais causées. Parfois, j'étais plongé dans mes pensées sombres et je pense qu'elles ne me quitteraient jamais, mais mes amis le comprenaient et m'aidaient à revenir à la réalité. Cette fois, ce fut Tom qui me tira de mes songes.
- Tu penses encore à tout ça, vieux frère ? me dit-il en lisant dans mes pensées.
- Oui, ça revient parfois comme un vieux démon. Je vois tous ces visages, j'entends ces cris, et je tire sans pouvoir m'arrêter...
- Je sais ce que tu ressens. Ce qui est fait est fait, mais tu n'as pas à t'en vouloir. Nous portons tous notre fardeau et nos responsabilités. Mais regarde tout ce que tu as accompli depuis. Tous ces gens que tu as sauvés et qui vivent en paix aujourd'hui. Sans parler de cette merveilleuse famille que tu as fondée. Tu peux être heureux, mon frère.
Tom, lui aussi, était épanoui. Il avait retrouvé sa femme et son fils cinq ans auparavant en arrivant sur Nouvelle Terre. Il le méritait tellement. Il vivait dorénavant avec sa petite famille dans une maison face à la mer, non loin de la ville. Je le regardais et je ne pouvais m'empêcher d'avoir un sourire en coin face à la serennité qu'il dégageait et sa confiance en l'avenir. Nous fumes tous les deux interrompus dans nos pensées par la voix de Lenny :
- Bon, vous avez fini tous les deux ? Il y en a ici qui aimeraient bien manger !
Nous nous retournâmes tous les deux surpris face au géant qui nous faisait face, attablé, les bras croisées, l'air renfrogné, impatient de goûter au succulent repas préparé par Beck, qui s'était révélé être un vrai cuistot depuis son arrivée sur Nouvelle Terre, Sara et Lyana. Nous nous étions retrouvés aujourd'hui pour un banquet dans notre grande cabane avec tous mes proches : Lenny, Beck, Ayden et Lana, Tom et sa famille, Lyana, Nelly, Sara et notre fils, Tiago. Jamais je n'aurais cru connaître ça un jour.
J'avais songé à rencontrer les autres membres de ma famille, celle que j'avais eue avec Lyana et que je n'avais pas connue. Mais l'idée que mes enfants étaient aujourd'hui plus âgés que moi me paraissait tellement bizarre que j'avais préféré éviter ces rencontres, du moins pour le moment. Dans tous les cas, ils avaient fait leur vie loin de moi, mais peut-être apprécieraient-ils un jour de voir leur père. Lyana ne m'avait mis aucune pression à ce sujet, elle se doutait bien que mon univers se concentrait avant tout sur Sara, Tiago et Emma, notre future fille. Elle m'avait clairement dit qu'elle me laisserait le choix de les rencontrer et que si j'étais prêt, eux l'étaient également. Je sais qu'ils avaient fondé leurs propres familles sur des colonies avoisinantes et qu'ils se voyaient régulièrement. Je n'étais qu'un nom pour eux, mais lorsqu'ils avaient appris mon existence, ils avaient voulu prendre des nouvelles de moi. Alors je leur en avais donné par messages, leur expliquant certaines choses de mon passé, et que je les verrais en temps voulu.
Aujourd'hui, ma vie se concentrait avant tout sur ceux que j'aimais et qui étaient prêts de moi. On verrait plus tard pour l'avenir. J'avais appris à ne plus m'en faire pour le passé, à apprécier le présent et à envisager sereinement l'avenir.
En parlant de futur, il y avait de l'espoir. En 5 ans, les scientifiques avaient trouvé de bonnes pistes pour un vaccin afin d'éradiquer le virus qui avait décimé l'humanité et qui était toujours présent dans certains organismes humains. Le vaccin avait permis de sauver un nombre conséquent de vies. Je ne sais toujours pas pourquoi j'étais immunisé face à ce virus. Tout comme je m'étais souvent posé cette question "Pourquoi moi ?". Mais aujourd'hui, j'avais appris à relativiser et à apprécier la simplicité de ma vie actuelle, loin des tumultes du passé.
D'ailleurs,le casque de mon armure trônait d'ailleurs tel un trophée dans le salon de notre maison. Pas parce que j'éprouvais quelque fierté à avoir porté cette armure qui avait longtemps été un vrai fardeau, mais plutôt pour me rappeler d'où je venais et tout le chemin parcouru jusqu'ici.
Alors contemplant l'assemblée qui me faisait face, je levai mon verre et entamai mon discours de retrouvailles :
- Merci à tous d'être venus aujourd'hui. Je ne suis pas très à l'aise avec les discours mais si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est pour fêter l'arrivée de notre fille, Emma, qui est le plus beau des cadeaux et...
- Et aussi pour fêter ton anniversaire ! m'interrompit Beck.
- Aussi, il est vrai, même si j'ai arrêté de compter les bougies depuis...
L'assemblée se mit à rire et je continuai mon speech, tenant Tiago dans mes bras qui avait les yeux bleus de sa maman et les cheveux châtains ébouriffés de son père :
- Bref je voulais juste vous dire que j'étais heureux. Heureux de pouvoir fêter cet événement avec vous, de le partager avec mes amis de longue date et leurs petites familles, mais aussi avec les nouvelles générations. Et je suis fier d'être réuni avec mes deux familles également. Aujourd'hui, toutes les générations sont représentées et ça montre aussi que nous pouvons tous nous réunir et porter un même message de paix et d'espoir. Il y a plus de cinq ans, jamais je n'aurais cru ça possible. Et aujourd'hui, je me tiens là devant vous, aux côtés de ma femme et avec mon fils dans les bras, apaisé, épanoui. Je voulais aussi vous annoncer une nouvelle... Nous avons décidé de retourner vivre sur Tyara, dans les îles de Sara, pour y élever notre fils et notre fille. Alors ce n'est sûrement pas un adieu, mais plutôt un au revoir. Et je vous remercie d'être venus aujourd'hui pour fêter tant d'événements heureux !
Mon verre levé, nous trinquâmes tous à cette nouvelle vie qui commençait, aux instants à venir, présents et bien évidemment à la naissance d'Emma. J'avais soif d'explorer, de découvrir de nouveaux endroits et cette décision, bien que difficile, avait été la nôtre à Sara et moi. Je n'avais qu'une hâte, celle d'y aller. Mais d'abord, je voulais profiter de ma soirée avec ceux que j'aimais le plus au monde.
Les heures s'écoulèrent inlassablement, hors du temps, et la nuit arriva. J'emmenai Tiago regarder les étoiles, car le ciel était particulièrement magnifique ce soir-là. On pouvait voir les constellations se dessiner et se refléter dans le ciel, ainsi que parfois, des étoiles filantes traverser le ciel. Je pointai le doigt en l'air en direction d'une étoile qui scintillait très loin :
- Regarde Tiago, c'est là d'où je viens, c'est la Terre. Et regarde là-bas, c'est Tyara, là où nous allons vivre désormais.
- Mais papa, comment tu arrives à les voir ? Je ne vois que des points au loin, me répondit-il.
- Attends, je vais te montrer.
Nous prîmes le télescope et regardâmes les planètes de plus près, à la plus grande joie de mon fils. Sara vint s'approcher de nous et se blottit contre moi. Ma nouvelle vie qui avait commencé il y a cinq ans évoluait encore mais désormais, je n'avais plus peur des changements. Je pensais à ces instants heureux qu'il nous restait à vivre et à ceux que nous avions déjà vécus. Alors je souris, abordant l'avenir avec sérénité, avec ma femme et mon fils près de moi.
FIN
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