Déjà une heure. Assise dans son fauteuil de la salle commandement, elle étreint la boule de poil rayée avec anxiété. Devant elle, des écrans virtuels affichent les flux vidéo des drones et de la combinaison de Feyn. Un plan du vaisseau est modélisé dans son esprit et la petite peluche anxieuse y suit le moindre déplacement.

Pour le moment, il s’évertue encore à extraire la fameuse boîte noire, avec une minutie exacerbée : d’après son ami, le froid y est tellement extrême que l’air s’est transformé en cristaux sur les murs et que le moindre choc peut briser comme du verre certains matériaux d’ordinaire souples.

Dans le poste de commandement, une alerte d’approche s’active, faisant sursauter la passagère. Akasha annonce immédiatement : « Commandant : un vaisseau vient de déborder de l’anneau A : leur vecteur d’accélération indique qu’il nous aura rejoint dans un quart d’heure. Aucun code de transpondeur n’a été fourni. »

Idle observe sur un plan de proximité le mouvement du vaisseau repéré : il avait profité de l’écran fourni par l’anneau pour surprendre l’Akasha lors de son passage. C’est une embuscade. Et les forces de sécurité ne seront là que dans quinze heures.

« Akasha, envoie un message d’urgence à la flotte de Suan et oriente le Bearington de façon lui faire encaisser les premiers impacts. Je fais au plus vite pour revenir à bord. »

Sur les écrans, l’astronaute arrache brutalement le boîtier blindé contenant les enregistrements de l’épave, faisant voler la mousse d’isolation en éclats qui rebondissent sur son armure. Stabilisé en urgence par les tuyères de la combinaison, il se retourne pour regagner la coursive par laquelle il était venu.

Soudain, Idle remarque deux points dans l’imagerie radar se détacher du vaisseau inconnu. Les autres appareils de mesure et d’observation notent une augmentation significative de leur température alors qu’ils accélèrent en direction du couple de vaisseaux.

« Commandant, le vaisseau inconnu vient de lancer deux drones à notre rencontre. Leur profil semble indiquer qu’il s’agit de bombardiers torpilleurs légers. »

Bombardiers-torpilleurs-légers… Nevi, qui a toujours eu cette étrange fascination pour tout ce qui se rapproche de l’art de la guerre, lui avait déjà décrit ce que c’était : des monstres robotiques transportant entre quatre et huit missiles de forte puissance. Les drones en eux même sont extrêmement maniables tandis que les missiles eux sont surtout conçus pour foncer vers leur cible sur une trajectoire tendue une fois largué. Évidemment, Akasha n’étant pas un vaisseau de guerre, elle n’a pas ces précieux points de défense fixes : des tourelles mitrailleuses tirant des munitions avec tellement de puissance qu’elles arriveraient, toujours d’après Nevi, à faire tressaillir le vaisseau lui-même qui devait en compenser le recul avec ses propres tuyères.

« Rentre vite Feyn… Feyn ! » implore-t-elle empreinte d’une colère désespérée.

Sur les écrans, les deux drones viennent d’effectuer un tir synchronisé. Les yeux en larmes, Idle se roule en boule au fond de son siège, la précieuse boule de poil serrée contre elle. Elle n’a même pas le temps de crier qu’un double impact éventre le Bearington secouant l’Akasha aux limites de la solidité des attaches. « Feyn ! », hurle-t-elle en sanglots.

« Idle, la liaison avec le Commandant Feyn a été perdue. En tant que seconde sur ce vaisseau, vous prenez la suite. Quels sont vos ordres, commandante ? »

La froideur procédurale produit un choc dans la psyché de la nouvelle commandante. « Sauve Feyn ! », sanglote-t-elle. La colère explose en son sein. Dans son esprit des notions se succède sans véritable relation, un raisonnement irrationnel, une logique ambivalente, le chaos. Monstres robotiques. Appareils militaires. Drones, communications cryptées. Cryptés. Deviner la clef.

« Akasha, envoie cette liste de chiffre aux drones, ensuite… Laisse-moi faire. Ramène Feyn à bord. »

Ce n’est plus l’enfant apeurée qui parle : ils ont réveillé le monstre que Ney et Nevi avaient mis à l’abri. Les drones reviennent ? Elle n’a plus peur, la rage a tout remplacé.