Le bureau ressemble à une serre qui abriterait toute variété de plantes exotiques. La lumière, bien qu’artificielle, offre le plaisir d’une belle journée de printemps avec quelques nuages duveteux. Pourtant, la présidente du conseil directoire de Suan est plongée dans la paperasse virtuelle : le récent conflit au sein de sa corporation demande son attention.

Pour les réseaux d’informations, il s’agit de la « Vague de chaos de 2094 » : une série d’action de terreur organisé par un groupuscule interne à la corporation. Pour elle, c’est une mini-guerre civile qui a mis au jour les pratiques douteuses de sept sénateurs et par continuité, celle de la corporation. Nombreux sont ceux qui voudront des comptes et elle en fait partie.

Un message lui parvient : une demande de communication de la part de Liandri. Elle prend l’appel : « Bonsoir Liandri, j’ai bien reçu votre rapport, il y a des choses à y ajouter ?

– Rien d’officiel, juste quelques informations de la part des wardners, lui répond le chef des forces de sécurité.

– Je vous écoute, confirme la présidente.

– Leur IA a balayé toute l’infrastructure du laboratoire du Docteur Ootman, explique Liandri. A priori, il ne reste rien de l’IA qui avait repris l’installation.

– Le fameux Crémoche est donc bien mort ? se rassure la femme.

– Comment avez-vous eu ce nom ? s’interroge l’homme.

– N’oubliez pas pour qui travaillent nos services de renseignement, plaisante Nora.

– Je sais, confirme-t-il. Il y a toutefois une anomalie : l’IA était morte avant l’arrivée des wardners.

– Je sais à quoi vous pensez, se défend la présidente. Non, je n’ai rien fait effacer. Ne sous-estimez pas les indépendants qui y étaient avant.

– Les civils que les wardners semblent protéger, vous avez eu des informations sur eux ? demande Liandri avec intérêt.

– Rien de plus que vous, répond Nora. Les wardners ont éludé ces parties de leur rapport, sûrement pour de très bonnes raisons.

– Ça ne vous travaille pas ? l’interroge-t-il.

– Je ne me vois pas remettre en question leur jugement, explique la présidente. J’ai déjà fort à faire avec Mars.

– Mars ? s‘inquiète le chef des forces de sécurité.

– Les circonstances de la retrouvaille de Mickael 21E, celles de sa disparition et transformation en Bishop ne nous donnent pas le bon rôle, explique-t-elle.

– Sanaë leur a envoyé le survivant… Mais je vous connais, vous avez déjà commencé à arrondir les angles, non ?

– Oui, le rassure-t-elle. Suan abandonne toute revendication à propos du Bearington, y compris les données attenantes.

– J’ai lu le rapport, indique Liandri. Ils n’y trouveront pas grand-chose : les données à bord ont été effacées avant la découverte de l’épave et l’attaque a ruiné un grand nombre de preuves matérielles. En fait, si j’ai bien lu, on a retrouvé des fragments de l’implant psi dans les restes des passagers, mais c’est le modèle qu’on connaît déjà. En fait, l’Hemera est en meilleur état, et ils l’ont déjà.

– Peu importe : Mars semble avoir été très intéressée et je ne vais pas gâcher une occasion de maintenir nos alliances, expose Nora.

– À mon avis Mars a le même point de vue : ils savent que le Bearington n’a plus de valeur, mais ils tiennent à la diplomatie, suggère l’homme.

– Ça vous dérange ? demande-t-elle avec amusement.

– Non, bien au contraire, se défend Liandri. Mon plus grand cauchemar serait une guerre entre corporations.

– Tout le monde en a peur, même Aesir, explique la présidente.

– Même Aesir… », réalise Liandri.

Même ces nouveaux dieux cachés dans les ombres, pense-t-elle. Nora n’est pas la présidente de la corporation pour rien et si les rapports ne mentionnent jamais concrètement les entités qui se sont affrontées, elle les aperçoit entre les lignes. Crémoche, capable de mettre en déroute les plus puissantes IA d’analyses de sa corporation, défaite par un allié que les solar wardners ne mentionnent même pas dans leurs rapports.

Même les dieux redoutent la guerre.