Un souvenir lui traversa l’esprit endormi et s’y mua en rêve. L’image d’un jeune enfant s’était formée qui le fixait d’un regard vide. Son visage assombri par l’ombre de la précarité, le bambin passa sa main dans sa tignasse crasseuse et y dévoila un cuir chevelu tacheté de stigmates pouilleux. Derrière lui, d’autres obscures présences de son âge remplissaient l’obscurité. Un son retentit, et la main se dégagea de la forêt capillaire pour fondre vers le dormeur. Sur le chemin, elle prit des proportions gigantesques.

L’homme se réveilla avant que les doigts oniriques ne l'ussent atteint. À force d’affronter toujours le même cauchemar, il avait appris à s’en défaire avant les ressouvenances bien plus désagréables qui le prolongeaient. La souffrance. Dun lointain passé il avait connu la torture, bien qu’il ne pouvait se rappeler ni où ni quand. Ni par qui du reste, ni pourquoi. Seuls de sempiternels songes lui confirmaient cette étape de sa vie gommée de sa mémoire.

Du moins était-ce l’avis de son psychologue, qui y voyait une forme de protection de son subconscient. Un an déjà qu’il se payait ses services, sans autre résultat que cette affirmation. Mais était-ce seulement surprenant ? Le praticien restait chaque fois assis, sans bouger, à l’écouter exposer sa vie insipide, jour après jour, séance après séance.

Mais aujourd’hui serait différent. Il l’avait pressenti avant de s’en rendre compte, au sortir même de son miteux immeuble : à l’extérieur, le monde était désert. Véritablement désert ! Il n’y voyait aucune présence ! Aucun voisin sorti avant lui, aucun passant longeant le parking, ni même aucune voiture au-delà ! De surprise il se figea et retint sa respiration. Il constata alors que les bruits journaliers avaient eux aussi déserté sa réalité. Tout n’était que silence, tout n’était que statisme.

Une peur irrationnelle monta en lui comme il n’arrivait à comprendre, et encore moins à accepter. Sa première pensée fut de constater qu’il ne s’était pas réveillé, que son cauchemar habituel avait simplement pris une tournure nouvelle. Pourtant il se savait ressentir, analyser l’incongruité de l’instant comme seule une conscience éveillée peut le faire. Il était certain ne pas rêver l’absurdité qui se…

« UUU-IIII !!! »

Un sifflement insoutenable, phénoménal, gargantuesque emplit l’atmosphère ! L'indicible stupeur qui en résulta fit perdre au malheureux toute notion même de pensées. Son cœur s'était figé de terreur. Son esprit, lui, s'était recroquevillé au plus profond de sa psyché pour échapper à l'impossible.

Puis subitement, l’innommable vacarme se tut et laissa la Création résonner de ses échos. Seul dans le monde ébranlé, son unique martyr s'extirpa timidement de sa torpeur et récupéra un semblant de capacité de raisonnement. Sa première conclusion — hormis celle d'être bénis des dieux pour avoir survécu à ce phénomène — fut qu’il ne s’était pas agi d’une explosion. Aucune explosion n’aurait pu émettre un son d’une telle intensité, d’une telle violence ! À s’en demander comment les immeubles tenaient encore debout ! Puis de s'interroger sur le lien que pouvait, non, que devait avoir ce bruit avec la dispari…

« UUU-IIIIIIIIII !!! »

L’air se vrilla de nouveau, et plus fortement encore ! Cette fois il en fut certain : il entendait les trompettes de l’apocalypse !

***

Dans une chambre bariolée de jouets bien rangés et autres poupées chatoyantes de propreté, une mère s’impatientait devant un assemblage de blocs. Le paternel s'impatientait dans la voiture : le départ pour les vacances avait déjà été bien trop repoussé.

— Julie !... Juliiie !

La réponse, fluette, provint du rez-de-chaussée :

— Quoi mamââââân !

— Tu as oublié une de tes figurines ma chérie !

— Nan mais celle-là j’la laisse à la maison mamaaan ! C’est la seule qui sourit pas !