Révèle-moi #3
Il ne cède pas. Il ne cèdera jamais, j’ai l’impression. C’était son but ultime… asseoir sa domination et me montrer qu’il peut prendre le contrôle de tous mes sens. C’est chose faite.
Je suis tendue comme un arc, redoutant presque chaque nouvelle caresse. Je suis à la limite de craquer nerveusement. Si je le pouvais, je m’empalerais sur lui avec violence, pour me libérer de ce carcan de sensations frustrantes. Même les mots qui sortent de ma bouche ne sont plus les miens. Je ne m’appartiens plus. Je suis sienne.
- J’t’en prie… j’t’en supplie…
Mes suppliques sont devenues larmoyantes. Je ne me reconnais plus. La puissance que je ressens à travers ses mains qui gouvernent mon corps contraste avec ma faiblesse. J’ai longtemps cru qu’un homme pouvait se sentir dominant en utilisant son sexe comme une arme. Je n’avais jamais eu conscience que se refuser à une femme qui le désire au-delà de toute raison est une stratégie bien plus redoutable. L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans même engager le combat… Je suis vaincue.
- Pitié, chuchoté-je très faiblement.
Je crois que je vais me mettre à pleurer de frustration alors qu’il raffermit sa prise sur ma hanche en passant et repassant sa main le long de mon sillon enfiévré. Puis soudain, ses deux doigts pénètrent mon intimité. J’en ai le souffle coupé. Ils me fouillent avec force et coulissent frénétiquement en moi. Tel le feu au contact de la poudre, je m’embrase aussitôt de façon explosive.
La délivrance est brutale, d’une intensité inouïe. Je crie. Mes muscles déjà tendus par ces tortueux préliminaires semblent se tétaniser alors que l’orgasme se propage en moi à une vitesse fulgurante. Je jouis à en perdre la notion de réalité. Je jouis à en pleurer. Puis tout se relâche brusquement, et je m’effondre à plat ventre sur le lit, le corps secoué de sanglots, anéantie.
Je me recroqueville sur moi-même, ma tête entre mes mains. Jamais je n’ai connu un tel lâcher prise. Les yeux toujours bandés, je n’arrive plus à retrouver mes esprits. Je suis complètement perdue. Où suis-je ? Avec qui ? Que m’est-il arrivé ? Une main se pose sur ma cuisse et je sursaute violemment.
- Chuuut… calme-toi…, murmure-t-il d’une voix apaisante.
Il s’allonge contre moi et me prends dans ses bras. Je serre les miens contre ma poitrine, pour arrêter de trembler. Il retire alors mon bandeau. Je garde les yeux fermés, soudain terrifiée.
- Ouvre-les yeux, chuchote-t-il.
Je détourne la tête. J’ai une boule dans la gorge. J’ai le contrecoup de l’orgasme le plus intense de mon existence, et la peur viscérale de lui déplaire maintenant que le jeu est fini et que nous nous faisons face. Les photos nous mettent souvent à notre avantage... J’envisage aussi la possibilité d’être déçue, mais de façon infime. La relation virtuelle et téléphonique que nous avons établie avant notre rencontre, ainsi que le plaisir incroyable qu’il a su me donner, ont largement balayé mes doutes le concernant. J’ouvre les yeux en gardant la tête tournée vers le mur.
- Regarde-moi, dit-il d’une voix douce.
Je me mordille nerveusement les lèvres, la main crispée sur mon pendentif, comme pour essayer de me calmer. Je ne peux pas. Je ne peux pas affronter son regard. C’est au-dessus de mes forces.
- Regarde-moi, répète-t-il en prenant mon visage dans sa main et en me caressant la tempe.
Je tourne enfin la tête. Et je fais face au Maître du jeu.
Oh… mon… dieu…
J’en oublie presque de respirer. C’est pire, bien pire, que tout ce que j’avais pu anticiper. Il me plait encore plus qu’en virtuel, et son attitude est magnétique. Mais ce n’est pas tant son charisme que sa façon de me dévorer des yeux qui me bouleverse.
Il est si sérieux… Entre ses sourcils se forme une plissure, lui donnant un air presque inquiet. Il effleure mon visage du bout des doigts, et m’observe silencieusement. Je n’ai pas le souvenir qu’un homme m’ait déjà regardée avec une telle intensité. Subjuguée, je me noie dans la profondeur de son regard noir.
Mon cœur me rappelle à l’ordre. Oh non… ça c’est mal. Très mal. Il y a quelque chose de troublant dans ses prunelles, quelque chose qui me remue. Le début d’une évidence qui éveille une angoisse sourde au fond de moi. Je suis dans la merde. Et si j’interprète bien ce que je lis sur son visage, je ne suis pas la seule.
Calme-toi. Ce n’est rien. C’est l’émotion. Ne va rien t’imaginer de stupide. Il se penche et m’embrasse avec douceur, achevant de crucifier ce début de passion que je ressens au creux de mon ventre. Il va me falloir garder la tête froide après cette nuit. Me souvenir que tout cela n’est qu’un jeu éphémère.
Ne pas m’attacher. Ne pas m’attacher. Ne pas…
Il essuie avec son pouce une larme sur ma joue qui a coulé suite au retrait du bandeau et à la déferlante de plaisir qui m’a ravagée. Il sourit. Un sourire tendre qui l’illumine. Il n’y a plus aucune autorité émanant de lui, bien que je ressente sa virilité et sa puissance au creux de ses bras. Je m’y sens à la fois toute petite et fragile, et complètement en sécurité. Depuis quand n’ai-je pas ressenti un tel bien-être ?
Il pouffe soudain de rire. Je le regarde avec étonnement.
- Je n’avais pas l’intention de te laisser jouir ce soir, en fait, avoue-t-il. Je pensais te laisser repartir avec ta frustration pour te donner envie d’y revenir peut-être une prochaine fois… Je n’aurais jamais cru te voir à ce point lâcher prise…
Je rougis, un peu honteuse. Je me suis surprise moi-même dans ce jeu. Il passe sa main dans mes cheveux, rassurant.
- Je me suis dit « Attends, tu ne peux pas la laisser comme ça, elle est en train de te supplier, là ! ».
Je ne sais quoi dire. Le son reste bloqué dans ma gorge. Je demeure silencieuse en caressant sa barbe, un sourire apaisé au coin des lèvres. Sa bouche frôle mon oreille :
- Et dire que tu as pris tout ce plaisir juste avec mes deux doigts…, chuchote-t-il. J’ai vraiment hâte de voir ce qu’il se passera quand ce sera ma queue qui te possèdera…
Je frémis, à la fois surprise par cet aveu cru, et excitée par la mesure de son propos. Il vient de me donner l’orgasme le plus dingue de ma vie « juste » par des préliminaires... J’envisage quelques secondes le champ des plaisirs qui s’offrirait à moi s’il consentait à me revoir à l’issue de cette rencontre. Nul doute qu’il a encore beaucoup à me faire découvrir.
Mais pour l’heure, la nuit ne fait que commencer…
[Fin]
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