La moquette avait brutalement cédé la place à un sol vert en matière plastique. Le long couloir s’avançait dans la lumière crue des néons. Au loin, la jeune femme venait de franchir une nouvelle porte. Elle se refermait doucement, Joachim se précipita. Ses baskets grinçaient sur le revêtement. Il n’entendait plus que ce bruit. Il couvrait celui de son cœur dans ses oreilles.

Arrivé devant l’issue, Joachim tira la poignée et se retrouva dans un nouveau secteur du centre commercial. Une large allée se déployait de part et d’autre, bordée de boutiques sur lesquelles il ne s’attarda pas. Il devait rattraper l’aventurière avant de la perdre de vue.

De rares clients déambulaient devant les vitrines, habillés de longues robes pour les femmes et de fracs et chapeau haut de forme pour les hommes. Joachim esquiva les questions qui lui sautaient à l’esprit. Des préoccupations plus immédiates retenaient son attention. L’aventurière venait de bifurquer dans une autre avenue. Il courut pour la rattraper et s’arrêta au coin pour jeter un coup d’œil. Elle poursuivait sa marche rapide. Il la suivit.

Les rayons du soleil traversaient des baies vitrées maintenues par de solides charpentes métalliques et scintillaient dans les nuages de poussière. Joachim se serait cru dans une serre, il ne manquait que les plantes et l’humidité. La structure du bâtiment, le bois des devantures, les enseignes aux grosses lettres vintage et les réverbères lui rappelaient les passages couverts dans lesquels ses parents l’emmenaient le dimanche.

Il s’interrogea, il trouvait curieux que les concepteurs du centre aient reconstitué l’ambiance du dix-neuvième siècle. Peut-être était-ce en rapport avec la thématique des boutiques, en tout cas, elles semblaient dans le ton. Chapeau, fracs, cannes, toutes les marchandises des vitrines renforçaient cette impression. Les vendeurs qu’il apercevait parfois portaient eux aussi des vêtements d’un autre siècle.

La jeune femme poursuivait sa course sans se retourner. Plus loin, des badauds se promenaient. Les robes des femmes avec des derrières disproportionnés et des tailles affinées par des corsets leur donnaient une apparence de déséquilibre perpétuel. À leur côté, des hommes en melon ou haut de forme paradaient en costumes serrés. Ils agitaient des cannes devant eux pour écarter des gamins en casquette et vestes en gros drap.

Les piques acides d’un malaise transpercèrent Joachim. Jusqu’ici, il avait mis les éléments de décor sur le compte du centre commercial, à présent il doutait de son raisonnement. Ou alors, il rêvait, ce devait être la seule explication intelligente. Oui c’était ça ! Un bon cauchemar bien délirant duquel il se réveillerait bientôt.

Sa hanche irradia soudain une douleur aiguë, semblable à un point de côté, mais beaucoup trop bas. Il s’arrêta et recula d’un pas, les yeux brouillés par les larmes.

— Regarde où tu marches, débile, lui lança un petit homme tout en moustache et en cheveux gras.

Il ne devait pas mesurer plus d’un mètre, portait un costume gris et un chapeau melon en ferraille. Furibond, il dardait ses yeux dans ceux de Joachim.

— Dégage de mon chemin, rugit le nain.

Joachim baissa la tête, abasourdi. Un poing fulgura. Cette vision fugitive s’évanouit dans un océan de douleur lorsque le coup atteignit son ventre.

Le petit homme à la main de fer poussa Joachim qui s’effondra, plié en deux. Puis il continua sa route en piétinant au passage le pauvre garçon.

À travers les larmes de souffrance, Joachim le vit s’éloigner sans se retourner.

— Mais où je suis tombé ? demanda-t-il à voix haute.

Il chercha du regard une âme compatissante qui voudrait l’aider, mais ne récolta qu’indifférence et haussements d’épaules. Encore plié en deux, il s’appuya contre le mur puis se releva. L’angoisse lui serra l’estomac. Rien ne pouvait être réel. Ni le nain boxeur ni le type à longues cornes qui poussait un tonneau devant lui.

La panique commença à le gagner et tenta de se raccrocher à ce qu’il connaissait. Il explora la foule du regard. La jeune femme avait disparu.