Scène 5 : rencontre inamicale

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Joachim poussa la porte du restaurant. Elle résista farouchement puis s’ouvrit vivement vers lui. Il fut éjecté et termina par terre. Le sol composé de boue et de crottin de cheval amortit sa chute. Devant lui, deux jeunes gars sortaient de la taverne et le regardaient en riant puis s’éloignèrent en échangeant des blagues à son sujet. Il attendit un peu avant de se relever, essuya tant bien que mal son pantalon et avança vers la porte.

À l’intérieur du restaurant, le tabac se mêlaient à l’odeur de sueur, de graillon et de mauvaise bière. La lumière chiche des lampes à pétrole éclairait les lézardes des murs, mais laissait dans l’ombre les visages. Près de l’entrée, trois types attendaient leur commande devant un comptoir grillagé. L’un d’eux frappait en rythme la protection derrière laquelle des employés préparaient son repas, indifférents aux menaces.

Deux rangs de tables en bois mal dégrossi et jonché de déchets se projetaient vers le fond de la salle. De part et d’autre, assis sur des bancs, des petits groupes de types patibulaires se goinfraient de hamburgers au pain imbibé de graisse. La viande débordait de toute part et dégoulinait sur les joues hirsutes et entre les doigts sales.

Tout au bout, la jeune femme, attablée à l’écart, avait retiré sa capuche et regardait ses interlocuteurs, trois individus aux épaules larges. Joachim ne voyait pas leur visage, mais pressentait qu’ils devaient être très antipathiques.

Figé au milieu du passage, Joachim tentait de réfléchir. Un grand type le poussa avec son plateau.

— Dégage ! dit-il, avant de s’asseoir.

Le jeune homme prit alors conscience que les regards commençaient à se concentrer sur lui. Des visages couturés, des yeux pochés, des sourires cruels se tournaient vers lui. Celui qui venait de le bousculer le toisait avec un dédain teinté de colère.

Joachim devait partir, quitter ce restaurant avant d’être étripé. Déjà, un gars à la face balafrée et au chapeau mongol l’observait en se curant les ongles avec un long poignard à la lame recourbée.

Une nausée insidieuse se propageait au creux de son estomac, la température lui semblait croître, malgré les ondes de sueur froide qui lui coulaient dans le dos. Chaque regard le transperçait, plein de menaces. Joachim se força au calme, sans y parvenir. Il se tourna en direction de la jeune femme. Elle paraissait tranquille et sûre d’elle au milieu de cette jungle humaine. Son champ de vision se rétrécit. Il ne voyait qu’elle. Le reste, la salle et ses hostiles convives se réduisaient à un brouillard opaque. Il avança d’un pas raide, malhabile. Le deuxième fût plus déterminé, mais tanguant. Au troisième, il avait trouvé le bon rythme, une marche de robot sous hallucinogène. Il ne distinguait qu’un tourbillon dont la jeune femme constituait le centre.

Imperméable à son environnement, il parvint à sa table. Devant elle, Une espèce de scie électrique portative et des batteries reposaient sur un linge beige. De l’autre côté du plateau, trois hommes de forte carrure la regardaient, les bras croisés. L’un d’eux jouait avec un pendentif en cristal ambré, accroché au bout d’une ficelle en cuir.

— Ramenez-moi chez moi ! croassa Joachim.

La jeune femme se tourna vers lui, surprise, puis reprit une expression indifférente.

— Ramenez-moi chez moi ! parvint-il à articuler.

— Désolé que tu aies perdu tes parents, mon garçon, répondit-elle. Mais là, j’ai autre chose à faire, alors va jouer ailleurs.

De leur côté, les trois brutes semblaient trouver la situation amusante. Ils s’échangèrent des regards et des hochements de tête.

— Non, vraiment, madame, je vous supplie de m’aider. Je me suis perdu en… chemin et je ne sais plus comment retourner au Millenium Center. Après, je vous laisse tranquille, promis.

Un court moment, l’expression de la jeune femme passa du dédain à l’étonnement.

— Qu’est-ce que c’est que ce micmac ? interrogea une des brutes en rangeant l’amulette dans sa poche et en posant sa grosse patte près de le disqueuse.

Elle avança la main vers les appareils. Un des hommes interposa la sienne. Large comme une raquette de tennis, elle prolongeait un avant-bras aussi épais qu’un jambon. Il découvrit de magnifiques canines longues et pointues dans un sourire funeste.

Des alarmes contradictoires hurlaient dans la tête de Joachim. D’une part, son instinct l’incitait à fuir devant ces Brandon, Kevin et Lucien d’un autre monde. D’autre part, l’unique chance de retrouver son chemin reposait sur la jeune femme. Il hésitait entre s’enfuir et gérer la situation.

La jeune femme observait le matériel sur la table. Elle se leva et tenta de le saisir dans le même mouvement. La brute réagit et la repoussa.

Déséquilibrée, elle lâcha les la scie et retomba assise.

Elle se releva et, d’un geste rapide, envoya sa lourde chaise vers la plus proche des brutes. Celle-ci ne broncha même pas, la dévia d’un revers et la propulsa vers le fond de la salle.

La jeune femme se tassa sur elle-même. D’un coup d’œil, elle analysa ses options, puis se lança vers la sortie. Tous les regards se tournèrent vers elle, mais personne ne s’interposa.

Joachim se figea complètement. De longues traînées de sueur glaciales lui inondèrent le dos. Devant lui, les brutes semblaient trouver plus productif de s’en prendre à lui que de poursuivre la jeune femme.

« Il n’y a pas de honte à fuir devant plus fort que soi. Par contre il est souvent fatal de négliger l’astuce dans la retraite. En toute chose, tu dois mettre ton cœur et ton esprit, y compris dans la fuite. » Le conseil du maître venait à propos. En trois pas, Joachim rejoignit une des longues tables, sauta dessus. Il courut aussi vite qu’il pouvait en évitant les mains qui tentaient de l’attraper.

Sur son passage, des clients se levèrent et bousculèrent les brutes qui le poursuivaient. La situation dégénéra. Lorsque Joachim atteignit la porte du bouiboui, une bagarre générale éclata derrière lui. Il sortit juste avant qu’un projectile ne lui heurte le dos.

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