Maerwin entraîna Joachim dans un immeuble abandonné aux murs lézardés et aux fenêtres barrées par des planches vermoulues. Quelques jours plus tôt, elle y était venue en repérage. Elle détestait se rendre à une entrevue sans s’être renseignée auparavant sur ses clients. Elle conduisit son compagnon dans une pièce rongée par l’humidité et la moisissure et se posta devant une ouverture.

La jeune femme observait la place en silence pendant que Joachim parlait tout seul. Elle tentait de faire abstraction de son interminable série de plaintes décousues. Mais comme la voix de Joachim devenait de plus en plus aiguë, elle s’agaça.

— Si tu me disais comment tu es arrivé ici, l’interrogea-t-elle.

— Je t’ai suivie.

— Impossible, personne ne peut me suivre d’un monde à l’autre.

— Donc, c’est ça, on a changé de monde, répliqua Joachim, heureux d’entendre cette confirmation.

Maerwin ne réagit pas, elle essayait de comprendre. Comment avait-il pu la suivre ? Possédait-il un don identique au sien ? Ou alors, l’avait-elle invité ? Cette dernière question la dérangeait. Car si elle l’avait invité, elle ne s’en était pas rendu compte. C’était perturbant.

Elle remonta le fil des événements. Bien sûr, elle avait aperçu Joachim lorsqu’elle s’apprêtait à passer dans ce monde-ci. Il la suivait. Comme ses affaires de ce côté-là étaient terminées, elle ne lui avait pas prêté plus d’attention qu’à un insecte. Il n’aurait pas dû pouvoir aller au-delà de la porte.

Justement, la porte. Elle avait hésité en arrivant devant. Maerwin sentait la présence de Joachim, elle savait qu’il voyait chacun de ses gestes. Est-ce qu’en fin de compte elle n’avait pas désiré qu’il la suive ? Une sorte d’invitation inconsciente et informelle. Elle ne voulait pas connaître la réponse à cette question. Elle en soulèverait d’autres encore qu’elle ne souhaitait pas se poser.

— Qu’est-ce que tu faisais dans mon monde ? interrogea Joachim que le long silence de la jeune femme commençait à inquiéter.

— Des affaires, je devais trouver ces appareils pour un marché avec eux, répondit-elle avec un vague mouvement de la main vers le repaire des brutes.

— Les talkies-walkies, c’est ça ?

— Oui.

— Que tu voulais échanger contre l’amulette de force !

— C’est ça, t’as bonne mémoire.

— Comment t’es-tu procuré les talkies ?

— Je les ai achetés, qu’est-ce que tu crois ?

— Comment as-tu eu l’argent pour les payer ?

— L’argent, par contre… je l’ai volé.

Joachim comprenait mieux les activités de Maerwin, mais sa curiosité n’était pas encore satisfaite.

— Comment peut-on se déplacer d’un monde à l’autre ? demanda-t-il pour lui-même, sans vraiment attendre de réponse.

— C’est à cause de la construction des univers. Normalement, ils sont totalement étanches, mais si l’on bâtit quelque chose de suffisamment gros cela crée un lien entre des mondes séparés.

Elle s’interrompit en voyant la figure de Joachim. Sa mâchoire s’était décrochée, ses yeux semblaient plus vagues qu’à leur habitude. Visiblement, il n’avait pas compris.

— Une grande masse attire les plus petites. Tu me suis ?

— Oui, répondit Joachim­ qui appréhendait mieux quand on expliquait simplement.

— C’est la même chose entre les univers.

— Tu veux dire qu’un gros univers attire les plus petits ?

— Non, ce sont les gros concepts qui attirent les plus petits. Dans notre cas, le très gros centre commercial a agi comme un aimant. Ça a créé des portes entre ton univers et un tas d’autres.

— Ha… s’exclama Joachim, sans être sûr d’avoir bien compris. Et comment fais-tu pour trouver ces portes ?

— Je me nomme Maerwin, celle qui trouve les chemins. Je trouve les chemins, c’est comme ça.

— Et tu peux aller dans n’importe quel endroit dans l’espace et le temps ? s’enthousiasma Joachim.

— La nuit va bientôt tomber. On va réviser notre plan, le coupa-t-elle, elle n’avait pas envie de poursuivre cette conversation.