Une vie de sottises et autres fariboles à raconter au coin du feu 4 : La première cigarette de Noël
Il était une fois une petite fille qui vendait des allumettes. Vous vous en doutez, si elle était réduite à de telles extrémités, c’était à cause de sa chère maman qui la battait pour oublier qu’elle avait honte de boire. Cette mère aurait mieux fait de sombrer dans la dépendance à la télévision, comme ça la petite fille serait soit devenue une reine de mode pesant quarante cinq kilos à vingt-trois ans, soit une fille de joie. Cette appellation est d’ailleurs abusive : ces filles ne sont pas joyeuses.
Toujours est-il que personne ne voulait acheter les allumettes de contrefaçon de la pauvre enfant. A notre époque, les gens sensés ne se dégivrent bien évidement plus les mimines devant un feu de bois, mais bien avec le chauffage central. Le feu de bois artificiel sur un écran LSD n’est plus là que pour faire joli et rustique. Cherchez l’erreur.
Bref, la pauvresse errait dans les ruelles enneigées, et finit par se blottir dans un coin sombre entre deux poubelles remplies de cartons de foie gras. Là, pleurant à froides larmes, elle se résigna à craquer une allumette afin d’allumer une cigarette. Sa grand-mère, morte l’année précédente d’un cancer du poumon, lui avait fait cadeau de ce paquet de bâtonnets de nicotine au cas où elle serait triste. La jeune fille n’avait encore jamais fumé, et dès la première bouffée de fumée, elle se sentit mal.
Brusquement, elle sentit comme un poêle chaud en ses poumons. Envahit par une douce tiédeur, elle s’allongea sur le tapis de neige. Elle aspira de nouvelles volutes grisâtres, et prise d’une envie folle, elle se jucha sur ses pieds et observa le réveillon d’une famille bourgeoise. Huîtres. Dinde. Viande. Légumes. Sauces aux couleurs chatoyantes. Gâteaux. Pâtisseries… Devant tant de délices, elle redescendit sur terre et vomit le peu de choses qu’il y avait dans son estomac. Elle mit cela sur le compte de la faim alors qu’en réalité, le coupable était bien le goudron.
Son cerveau dans un état à présent douteux, elle fixa bêtement le bout incandescent de sa clope. Dans son délire, elle vit un sapin magnifique illuminé de bougies et dont le pied était couvert de cadeaux étincelants. Sans retenu sinon sa fatigue, elle se lança dans les présents pour finir enfouie sous un monceau de boites de pizzas.
Enfin, une douleur fulgurante lui déchira la poitrine. Elle ferma les yeux devant tant de souffrances et aperçu, avant de s’endormir, une grande silhouette venir vers elle. Sa grand-mère allait l’emmener au paradis pour toujours.
Notes écrites sur un papier froissé et jeté à la corbeille ; commissariat :
Un clochard témoigne avoir trouvé le corps d’une jeune fille sous des déchets divers. Elle s’appellerait Sabrina Lapoisse. Elle avait avec elle un paquet de cigarettes dont une était consumée et entre ses doigts. D’après l’autopsie, elle souffrait d’asthme et la clope l’aurait achevée. Elle était d’ailleurs frêle de constitution. En allant chez sa mère, on l’a trouvé devant une télé récemment installée. La mère nous a dit qu’elle n’avait pas de fille, et nous a insultés pour qu’on la laisse tranquille.
« Purée ! Quelle histoire ! Si jamais j’avais du remplir un dossier, j’aurais manqué le réveillon » pensa l’agent en quittant son lieu de travail.
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