Chapitre 1 - Le démon (1)
Une main obstrua la valse immuable des grains de sable. Virevolte, tourne, chasse. Le sable coula entre les doigts bruns, perturbant le silence qui planait à la surface. La main laissa place à un poignet puis un coude jusqu’à ce qu’un corps tout entier s’extirpe de la dune. Un petit corps, fragile, faible toussa longuement, pour se libérer des grains qui s’étaient infiltrés dans ses narines et sa gorge. La fillette cessa de tousser pour se mettre à pleurer. Des larmes insatiables coulaient sur ses joues. L’horreur ne cessait de lui revenir en tête, encore et encore.
—Kelya ! hurlait Tania. Non, Kelya ! N’utilise pas ton pouvoir !
L’énergie dorée s’échappait de ses doigts en filets. Son cœur battait la chamade tandis qu’elle observait les terrassiers creuser désespérément une voie de sortie.
—Jaynia ! Jaynia !
Le mot d’alerte se diffusait dans la carapace de sable qui étaient sensé les protéger de l’azel qui rugissait au-dehors. Elle allait être leur tombeau. Les motifs du tapis ne se discernaient plus du sable qui s’infiltrait inlassablement. Sa tribu s’agitait, rassemblant les provisions, l’eau, tout ce qu’il pouvait contre eux. Le pouvoir battait en elle, l’invitant à le laisser sortir. Elle pouvait les sauver. Il lui suffisait juste de laisser le démon prendre possession d’elle.
—Kelya ! Non !
Mais l’interdiction perpétrée depuis son enfance était plus solide qu’un verrou. Elle ne pouvait aller contre des années d’enseignement. Impuissante, elle s’accrocha à un des piquets qui tenaient la voute. Le sol tremblait. La poussière faisait pleurer ses yeux. Le plafond s’effritait. Ils allaient suivre le sort des bêtes déjà englouties par l’effondrement de la première caverne. Son peuple continuait de se débattre, alors même que tout était perdu. Elle ne pouvait pas les laisser mourir. Pas alors que la solution battait en elle. Elle préférait être bannie.
Trop tard. Le plafond s’effondrait sur leur tête. Elle ne vit plus un homme, n’entendit plus un son, excepté ce battement de magie qui gonflait dans ses veines. Il s’extirpa hors d’elle, comme le vent frappe les battants de porte. L’énergie grisante lui fit oublier un moment le danger. Elle était plus vivante que jamais. Un cocon s’enroula autour d’elle, sensation familière. Née du sable, elle revenait à ce qu’elle avait toujours connu. Tania et sa tribu l’avait recueillie bébé, alors même que d’autres auraient préféré laisser mourir l’enfant du démon. Ce démon la poussa hors de la caverne. Tout son corps fut projeté hors du sable, comme si quelqu’un appuyait sur ses pieds pour l’aider à s’élever. Le sable s’écoula sur elle, comme d’un lit dont on s’extirpe.
L’azel ne soufflait plus. Ce bruit qui avait disparu l’avait sortie de sa torpeur. L’horizon calme dissimulait toute trace du drame qui venait de se jouer. Tous étaient morts. Tania, Tryss et tous les autres. Elle était seule. Incapable. Son hésitation leur avait coûté cher. Elle n’aurait pas dû les écouter. Si seulement elle avait appris à maitriser son pouvoir avant qu’il ne soit trop tard.
Le soleil frappait sa nuque. La sensation désagréable lui fait lever la tête. Une fatigue immense envahit ses yeux meurtris. Il serait si facile d’abandonner. Mais le démon du sable ne lui en laisserait pas l’occasion. Elle devait payer sa dette. Les muscles tremblotants, elle se redressa. Par deux fois, elle trébucha. Par deux fois, elle se releva. Un pas après l’autre, droit vers le village le plus proche. Les étoiles âmes de sa tribu brillaient dans le ciel, lui indiquant la bonne direction. Un pas. Encore un. C’était tout ce qu’elle pouvait encore faire, face au destin qui l’accablait. Elle les avait tués. Tous. Ils étaient morts par sa faute.
*
Les toits effrités de Linya accueillirent Kelya alors que le soleil se couchait au loin, rasant de ses rayons les têtes des villageois intrigués par son arrivée. Sa peau brûlée par les rayons réagissaient à chaque coup de vent qui se glissait dans les rues. Ses pieds avançaient difficilement, tellement chaque caillou lui entrait dans la plante. Sans chaussures ni voile pour le traverser, le désert avait laissé sa marque sur elle. Sa gorge asséchée gémit un peu d’aide.
—De l’eau…
Mais personne ne lui en offrit. Pire on s’écartait d’elle comme si elle pouvait leur transmettre ses blessures. Des murmures effarés se répandirent autour d’elle, tel un écho la suivant comme une ombre.
— C’est l’enfant de Tania et Tryss.
— Où est le reste de la tribu ?
Leurs inquiétudes se faufilèrent à l’intérieur d’elle sans résistance. Elle ne comprenait pas. Pourquoi tous ces visages se tournaient vers elle, mais pas un pour l’aider. La poussière s’approcha d’elle à mesure que la foule resserrait son étreinte autour d’elle.
— L’enfant du démon…
— On leur avait dit de la laisser mourir ce bébé dans le désert. Il n’aurait jamais dû survivre sans ses parents.
Ses pieds stoppèrent alors que sa procession était de plus en plus difficile. Les murs des maisons de pierre la jaugeaient tout comme les regards des habitants. Les habitants quittaient leur mine soucieuse pour revêtir un masque menaçant. Des ombres noires l’entourèrent. Elle se recroquevilla sur elle-même, cherchant la pitié.
— Qu’as-tu fait d’eux ?
— Maudite !
— Démon !
Les mots blessèrent sa jeune âme aussi sûrement que des coups de poignards, s’enfonçant comme des multitudes d’aiguilles qu’elle ne pourrait jamais extraire. Sidérée, les mots restaient coincés dans sa gorge. Que répondre à la haine ?
— Regardez ces yeux dorés !
— Chassez-la !
— Tuez-la !
Une pierre frappa son bras. Le silence résonna autour d’elle, répercutant l’impact du coup autour d’elle. Ils attendaient sa réaction. Ils espéraient qu’elle se révèle comme le démon qu’ils décriaient. Elle ne leur donnerait pas ce plaisir. Elle ne crierait pas. Supportant la punition qui était juste. Par sa faute, toute sa tribu était morte. Parce qu’elle n’avait pas su les sauver, Tania et Tryss ne seraient plus là pour la protéger des détracteurs. Comme elle ne réagit pas, une nouvelle pierre frappa son torse. Puis une autre. Encore une. La douleur lui arracha un cri et elle se prostra sur elle-même espérant qu’ils cesseraient quand ils auraient apaisés leur colère. Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues alors que son corps tressaillait à chaque impact. La pluie de pierre la détruisit. Elle ne sut bientôt plus distinguer ses plaies du corps sain. La douleur vrillait tout son être. Elle suffoquait. Puis, les pierres finirent par cesser. On l’abandonna sans un regard en arrière. Mal, si mal. Kelya ne pouvait plus bouger. Chaque mouvement n’était que souffrance. Son corps déjà affaibli par sa longue marche dans le désert n’avait plus la moindre ressource. Elle allait mourir là. Si personne ne voulait d’elle, elle cesserait d’importuner le monde de son existence non désirée.
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