Chapitre 2 (3)
La situation ne fit qu’empirer à mesure que les jours passaient. Elias avait établi son nouveau poste d’observation dans l’atelier de son père, mangeant les provisions sèches que sa mère lui avait laissé. Cela faisait déjà 5 jours qu’il vivait comme un ermite, indifférent pour le reste des habitants de la capitale. Il avait du mal à suivre le rythme de traduction des Volatyls qui s’enchainait dans le ciel mais cela lui était égal. Au moins il oubliait son mal-être, oubliait qu’il n’était qu’un paria d’aveugle, oubliait qu’il était inutile à la société. Sauf quand il se rappelait qu’il oubliait…
Et puis le pire arriva. La ville P à l’est se fit engloutir totalement par un trou, dans les tréfonds l’univers. A partir de ce moment, le bruit de la ville changea. Des affollements paniques et des cris, des beuglements entre ceux qui voulaient partir et ceux qui préféraient rester. Puis les émigrants se firent chaque jour de plus en plus nombreux jusqu’à ce qu’un calme retombe, quoique chargé d’angoisse et de peur. Un calme anormal, déserté par les bruits de vie quotidienne. Les portails alentours avaient tous été détruits, coupant toute tentative de fuite. Quand un jour, on toqua à sa porte.
Elias vérifia qu’il était habillé correctement avant de descendre lentement l’escalier jusqu’en bas. Il tendit la main vers la poignée avant d’hésiter. Avec le grabuge qu’il y avait dehors comment savoir si la personne derrière ne lui voulait pas du mal ? Ou faire exploser sa maison ?
—C’est qui ? cria-t-il.
—Isaac, abruti ! Ouvre.
Ah, il l’avait oublié celui-là. Sa bulle venait de voler en éclats et l’idée qu’un oncle qu’il n’avait pas vu depuis des années entre chez lui le dérangeait.
—Non. Je ne suis pas…
Le bois craqua violemment et Elias sentit un souffle d’air passer sur son visage. Abasourdi, il se précipita pour ouvrir la porte avant qu’elle ne lâche.
—Pas la peine, le repoussa Isaac d’une grosse main.
Un nouveau craquement plus tard et un soupir de rustre fut le salut qu’il reçut.
Elias n’était cependant toujours pas tranquille. Ce type pouvait être n’importe qui.
—Je peux vérifier ton identité ? demanda-t-il en tendant les mains vers le haut.
Dans ses souvenirs, Isaac avait toujours été immense. Mais c’était il y a quatre ans, il avait grandi depuis. Et perdu la vue.
—Ah, j’avais oublié.
Des mains rêches s’emparèrent des siennes pour le conduire à un visage carré présentant une courte barbe. Ce n’était pas ce que les doigts d’Elias cherchait mais là… la cicatrice commençait sur la pommette et descendait jusqu’à la barbe. Il la suivit jusqu’au bout pour être certain de ne s’être pas trompé. Isaac le chassa comme un insecte, brusquement.
—C’est bon t’as assez regardé. Fais tes bagages.
—Mes bagages ?
Ce n’était pas ce qui était prévu. Son oncle devait venir lui tenir compagnie, en attendant le retour de ses parents, rien de plus.
—T’as pas vu ce qui s’passe dehors ?
Elias ne répondit pas. Il allait faire encore combien de gaffes comme ça ? C’était d’un agaçant… Isaac soupira, il venait de comprendre sa bévue.
—Tes bagages, répéta-t-il.
—Non.
La situation n’était pas si catastrophique que ça. La capitale tenait encore debout. Les trous se concentraient à l’est. Il y avait juste ce problème de terroristes qui faisaient sauter tous les portails… mais rien qui justifia qu’Elias doivent quitte le seul endroit où il se sentait en sécurité.
—Le continent prend l’eau comme un shyrla plein de trous.
—On ne peut pas trouer un shyrla.
Isaac grogna pour seule réponse. Un sac percuta le plancher et des fesses s’enfoncèrent dans l’unique fauteuil en grinçant.
—T’as jusqu’à ce soir, petit. Après j’te laisse mourir ici.
Mourir ? Quelle importance ? Elias se contenta de hausser les épaules et remonta les escaliers vers sa tour dorée. C’était stupide, les trous n’étaient pas arrivés jusqu’au centre du continent. Pas la peine de s’alarmer à ce point. Même si sa mère avait prévu des situations de repli au cas où, Elias jugait qu’on y était pas encore à ce au cas où. Stupide. Des fables pour vieilles femmes. Voilà tout.
*
Le temps s’écoula lentement, jusqu’à ce que des pas lourds montent dans l’escalier. Quelqu’un se trouvait derrière lui.
—C’est l’heure. Dernière chance.
Elias secoua la tête. S’il parlait tout haut, sa peur risquait de prendre le dessus. Choisir entre la solitude ou l’inconnu n’était pas simple. Mais il préférait rester dans un terrain dont il connaissait les moindres recoins plutôt que de s’aventurer dans un monde hostile.
—Tu l’auras voulu.
Isaac se détourna sans insister et Elias suivit ses pas le long de l’escalier, bras en l’air, suspendu dans son déchiffrage.
—T’as pu de porte, au fait ! hurla Isaac avant de s’en aller tout à fait.
Elias frémit. N’importe qui pouvait monter jusqu’à lui ! Et puis il se rassénéra. Vu le nombre de demeures vides dans la capitale, un voleur choisirait d’abord celle où il n’y a personne. Dans le doute, il claquemura tout de même la porte de l’atelier. Ah non, d’abord il lui fallait des provisions. Il descendit au rez de chaussée, tressaillit devant l’air qui s’inflitrait à l’intérieur par le trou causé par Isaac et se saisit d’un grand plat où il fourra un maximum de denrées. Il remonta vite à l’étage et claquemura à nouveau la porte. Il posa le saladier devant, cela devrait suffire avec le poids. Son cœur battait à tout rompre. Il en voulait à Isaac d’avoir perturbé sa tranquilité. Sans son arrivée, il déchiffrerait encore les messages des Volatyls sans se préoccuper plus que ça du monde extérieur. Désormais chaque bruit et mouvement était surinterprété par son cerveau en panique qui n’arrivait plus à se poser.
Maudit Isaac. L’air frais de la nuit et le bruit des H ne l’aida pas non plus à se rassurer. Il était fichu. Quand les rayons chauds du soleil frappèrent à nouveau son visage, il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Il se demandait maintenant s’il n’aurait pas mieux fait de suivre son oncle tout compte fait. Un fort craquement relança sa peur. Qu’est-ce que c’était encore ? Un voleur ? Isaac ?
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