La première fois
C’était un soir, un de ces tristes soirs de décembre où la neige est notre seule compagne, où la pluie est notre seule amie, où la douleur est notre seul remède. Le ciel aurait pu être coloré de mille teintes, de fuchsia ou de magenta, rien n’aurait pu attirer notre attention tant notre coeur, ainsi que notre corps, n’étaient focalisés que sur le torrent d’incertitudes battant à travers nos veines.
- Un autre s’il vous plaît.
Mon troisième verre de vodka. Ou peut-être le quatrième ? Je ne savais plus vraiment, j’avais arrêté de compter à partir du huitième. Cette sensation de brûlure descendant lentement de ma bouche à mon œsophage était presque une bénédiction, une caresse. Un tendre mot d’amour comparé aux douloureux coups de massue dans mon cerveau.
- Et un cendrier aussi.
La quatrième cigarette qui se consumait au bout de mes lèvres n’arrangeait pas vraiment les choses. Et ce pauvre serveur qui était obligé de m’écouter, trop bien éduqué pour me demander de me taire. Si vous m'aviez vu... n’importe qui, même le plus pieux des chrétiens m’aurait sommée de la fermer. Mais lui non, il me regardai avec un sourire compatissant et des yeux pleins de pitié. Je n'en voulais pas, moi, de sa maudite pitié. Ou peut-être que si au final, peut être qu’à cet instant précis je ne cherchais que cela. Pourquoi serais-je assise en face d’un serveur inconnu à me lamenter si tel n’était pas le cas?
- J’ai mal au crâne, avouai-je.
- Vous feriez mieux de rentrer chez vous, je vais t’appeler un taxi, rétorqua-t-il.
- Non, je vais marcher ça me fera du bien.
Après avoir légèrement insisté, il finit par abandonner. Le contraire aurait été étonnant, peu de personnes font réellement preuve de persévérance. Qui aurait pu lui en vouloir? Il n’allait pas se battre pour forcer une petite merdeuse à grimper dans un taxi quand cette dernière lui a rendu la soirée impossible à force de jacasser.
La rue était sombre, les lumières inquiétantes, les passants me toisaient. Je devais admettre qu’une jeune femme comme moi, titubant en pleine rue, seule avec les yeux injectés de sang, ne donnait ni une bonne image, ni une réelle confiance. Mais je m’en foutais, je ne croyais même pas avoir été capable de distinguer la moindre silhouette. Je marchais comme sur un nuage, comme si ce dernier m’enveloppait et me faisait glisser sur le trottoir sinueux. Cette impression était si grande, elle avait l’air si réelle que je tombai littéralement en pleine rue, contre un mur.
Quelle image vous seriez-vous faite de moi ? Quelle piètre réputation m’accorderiez-vous si vous étiez présent dans cette rue ? Cette fille de joie, cette allumeuse ou encore cette toxico, Dieu sait quels autres qualificatifs vous m’auriez donnée.
C’était si ridicule, ce n’était pas moi. C’était si triste, si vide de sens. La seule réaction à avoir dans ce genre de moments c'etait le rire. Alors je riais.
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