5.
« Neige : eau qui tombe sous forme de flocons blancs et légers. »
« Amour : sentiment d’affection et d’attirance. »
« Départ : élément qui était inévitable pour sauver ma peau et mon pauvre cœur. »
Je suis pourtant assise sur un banc, juste devant l’entrée de mon travail, comme si j’étais incapable de le quitter.
Ex-travail, Émilie.
Eh oui, je suis incapable de le quitter : lui.
Des flocons me chatouillent le nez, la neige commence enfin à tomber. Quand j’étais enfant, je me couchais dans l’épaisseur blanche et j’ouvrais la bouche pour goûter le froid de la neige. Alors, je ferme les yeux, je fais comme lorsque j’étais petite, et chaque flocon piquant ma langue me fait frissonner.
Un corps s’assied soudain à côté de moi. Je grogne, aimerais qu’on me laisse en paix, panser mon âme seule. Je cligne des yeux, des paillettes virevoltent devant mes iris ; un homme est là, à côté de moi, les joues rougies, le souffle haché.
Mon cerveau met quelques secondes à analyser ce que voient mes yeux.
Et mon cœur, lui, m’envoie une dernière définition.
« Surprise : coup de théâtre, événement inattendu. »
***
J’ai couru comme un dératé.
Dans les couloirs, dans l’escalier, dans le hall d’entrée.
S’il existait un record mondial du « Je cours après une femme. », je l’aurais gagné haut la main.
Partie. Démissionnée. Partie. Démissionnée.
Eh meeeerde !
Alors, je me suis jeté à sa poursuite, dehors, dans le froid, sans manteau. Je l’ai trouvée sur un banc, mon bel arc-en-ciel, la tête tournée vers le ciel, là où est sa place, là où les anges siègent, après avoir malmené le cœur des pauvres mortels idiots, comme moi.
Je me suis surpris à prier les forces célestes, le bon Dieu et tout le bordel. Même ces foutus litchis qui ont mis en branle ma journée, non, ma vie tout entière. C’est Noël, ai-je hurlé pour moi-même, la saison de l’espoir, rendez-la moi !
Et elle était là, à m’attendre sur ce banc, la neige virevoltant autour d’elle, l’entourant d’un halo blanc de pureté, de douceur. Et d’éphémère. Car la neige finira par fondre, quoi qu’il arrive. En un regard, elle a pourtant dégelé le bloc de gel qui me servait de cœur.
Ce n’est pourtant pas ma faute s’il est ainsi ; impénétrable, dur, froid. Car il a été cassé il y a si longtemps que j’ignore comment le faire marcher à nouveau. J’ai connu un grand amour qui ne m’a laissé que le goût de l’amertume, une douleur sourde dans la poitrine. Alors, mon pauvre cœur, je l’ai barricadé, pour qu’aucune femme ne puisse plus jamais le toucher. Ni l’abîmer.
Et pourtant, je suis là, le soufflé coupé, face à une étoile rouge, un arc-en-ciel d’espoir et de bonheur, à qui j’aimerais confier un petit bout de mon cœur. Et, qui sait, peut-être, le jour où je me sentirai prêt, je le lui offrirai tout entier. Peu importent les conséquences, ou qu’il soit brisé à nouveau. Au moins, je me serais risqué à aimer, à vivre tout entier.
Ma langue me brûle autant que mes poumons. Je n’ai pas abordé une femme depuis… depuis quand, au fait ? Émilie bat des cils, ahurie, en attente de tout ce que je veux lui dire.
Un café, propose-lui un café.
Mais mes lèvres ne sont pas du même avis.
– Vous me plaisez.
Elle ouvre de grands yeux en même temps que la connerie que je viens de sortir percute mon pauvre esprit perdu.
Mais quel couillon !
Elle baisse la tête, serre les cuisses. Ses joues rosissent, illuminent son visage si pâle.
– Ce n’est pas l’impression que j’ai eue dans votre bureau.
– Veuillez m’excuser, je suis un peu con sur les bords.
– Un peu ?
– Beaucoup.
– Je crois que vous vous trompez.
– Et moi, je crois que vous m’attendiez.
– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
– Vous n’arrivez pas à partir. Si vous vous êtes assise ici, c’est qu’il y a une raison. Et… et cette raison, je crois bien que c’est moi.
Elle se mord les lèvres, cette peau si douce qui m’a offert le baiser du renouveau.
– Ça fait trop longtemps que je vous attends, soupire-t-elle, mon cœur est fatigué, je dois passer à autre chose.
– Non.
– Non ?
– Laissez-moi une chance, c’est Noël, la saison de l’espoir.
– C’est un mot que j’essaye de faire oublier à mon cœur.
– C’est la saison du pardon.
– Qu’avez-vous à faire pardonner ?
– Si je m’étais donné la peine de connaître mes employés, si j’avais appris votre existence, j’aurais grimpé au cinquième étage bien avant ce matin. Si je vous avais rendu votre baiser, vous ne vous seriez pas enfuie. Prenez un café avec moi, s’il vous plaît, c’est tout ce que je demande.
Je lui tends ma main dans une prière silencieuse. C’est elle qui choisit, mais si elle me repousse, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Mon nouvel échec m’aura appris à regarder le monde qui m’entoure, à arrêter de me lamenter sur moi-même, à accueillir chaque âme qui voudra bien s’ouvrir à moi.
Je souffle, grelotte, même si je bous intérieurement.
Puis des doigts qui m’effleurent, une peau qui me touche.
Et une décharge. Deux. Trois. Toute la foudre de l’amour qui me frappe plusieurs fois, toujours au même endroit.
Au cœur.
Au cœur.
Au cœur.
De sa main libre, Émilie rabat une mèche rebelle derrière son oreille.
– J’ai faim, m’annonce-t-elle.
– Alors j’offre le déjeuner.
Et mon cœur. Et ma vie entière. Un avenir à deux. Je prendrai tout ce qu’elle voudra m’offrir.
La neige nous recouvre tandis que nous marchons côte à côte dans la rue. Je suis allé chercher mon manteau, reposé d’autorité les affaires d’Émilie sur son bureau, là où est leur place. Nos épaules se frôlent, nos mains se touchent, nos doigts s’entremêlent. Elle m’adresse un grand sourire, éclatant, empli de bonté et de reconnaissance ; un de ceux que je veux voir sur son visage tous les jours.
L’amour est ainsi ; une succession de définitions dans nos vies.
Espoir.
Chance.
Pardon.
Cadeau.
Il y en a tant qu’elles sont impossibles à énumérer. C’est un chemin, des courbes, un réseau de terminaisons qui grossit.
Ce sont des lignes de vie que le cœur écrit à l’infini.
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