Dona eis requiem !
Dona eis requiem ! *
Un bruit inhabituel me sort de ma torpeur, j'ouvre les yeux pour apercevoir la mine déconfite de Saint Pierre. D'un revers de main, je frotte mes paupières et m'enquiers de ce qui semble le préoccuper :
- Qu'est-ce qu'y a Pierrot ? T'en tires une tronche ! On dirait que t'es constipé depuis trois semaines.
Ma remarque ne l'amuse pas, je peux le comprendre à son haussement de sourcils et sa moue désapprobatrice.
- Bon, tu la craches ta pastille ou j'attends que t'aies fini de bouder ?
- Nous avons un problème.
- Je m'en doute, vu la gueule que tu fais. C'est quoi exactement ?
- La neuvième planète du système solaire.
- Encore ?
Mon sang ne fait qu'un tour. J'ai que des emmerdes avec celle-là. Je me demande encore ce que j'ai bien pu fabriquer pour que ça foire à ce niveau-là.
- Bordel, vingt ans à peine depuis ma dernière sieste ! Qu'est-ce qu'ils ont encore foutu ces cons ?
- Je crois que le plus simple serait de vous rendre en salle de contrôle céleste pour observer par vous-même, chef.
Ni une, ni deux, j'enfile ma toge astrale pour m'élancer vers le colimaçon cosmique qui conduit à la régie universelle. D'un pas décidé, je dévale quatre à quatre les marches étincelantes de l'escalier. À peine arrivé, je constate avec effarement les visages défaits des larbins sacrés. Ils s'agitent comme des fourmis, tapotent sur des claviers et font défiler des arcs-en-ciel tactiles. Ça gronde, ça râle, ça peste.
- Alors ? Qu'est-ce que vous m'avez branlé, bande de cons ?
Une petite voix timide tente de se défendre :
- On a rien fait, chef, c'est pas nous.
- Faites-moi voir ça !
À la vue du désastre, je sens mon essence supérieure défaillir. Mon omniscience se brouille, mon omnipotence s'affaiblit. Je frappe d'un poing rageur le bureau sur lequel la console est posée, constatant l'ampleur de la catastrophe.
- Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Quel est le gros débile qui leur a refilé cette saloperie ?
- On n'y est pour rien, chef, c'est votre fils. Il est venu avec un hippie blondinet, je crois qu'ils avaient pris un truc. Ils avaient pas l'air bien net. Ils ont bidouillé et touché à tout.
- Pourquoi ils leur ont fait bouffer du pangolin ? J'avais dit de pas les rendre comestibles, bon sang !
Les employés essaient de se faire tous petits, sans y parvenir. La mimique rageuse que j'affiche sur mon visage n'est pas de nature à les rassurer.
- Et ça, c'est quoi ? Mais... ? Ils veulent interdire les rayons "produits bretons" dans les supermarchés ? Non, je rêve, c'est n'importe quoi. Ils sont fin prêts à se mettre sur la gueule. Appelez-moi le fiston, et dites-lui que s'il est pas là dans l'instant, je l'efface de l'histoire universelle.
***
Quelques millièmes de secondes plus tard, ce grand nigaud daigne enfin se montrer. Je crois qu'il a bien conscience de ce qu'il a fait, vu l'air niais qu'il arbore.
- Écoute, papounet, je peux tout t'expliquer !
- Je t'écoute, mais méfie-toi, méfie-toi !
- C'est pas ma faute. Avec Thor on a voulu se faire livrer des Heaven Mac, seulement, on a dû se planter dans la manipe.
- Des Heaven Mac ? Tu te payes ma fiole ? Est-ce que t'as vu le boxon que vous avez mis ?
- Je sais, mais c'est lui aussi, il m'a fait fumer des cristaux d'Asgard !
- T'as conscience qu'à cause de vos crétineries, ils ont confiné trois milliards de terriens ? Ils ont une pandémie sur le dos et ils arrivent pas à l'éradiquer ? Et en plus, maintenant, ils se foutent sur la gueule de partout ! Les religions se montent les unes contre les autres, ils veulent apprendre les caricatures dans les écoles, retirer les kouigns des supermachés, et voter pour des consanguins à la tête de leurs états !
- Non, mais ça, c'est pas notre faute, ils étaient déjà cons avant. Fallait pas leur refiler le libre arbitre aussi.
- Ne sois pas insolent, Jésus !
- Y a qu'à laisser comme ça, ça finira par s'arranger tout seul, une fois que les trois quarts se seront entretués ou seront morts de maladie, non ?
- J'avais dit, pas d'intervention divine, foutre-moi !
Je me tourne vers Saint Pierre et, d'une voix ferme lui intime :
- Ramène-moi ce corniaud de Thor par la peau du cul.
Je fulmine et quelques éclairs jaillissent dans l'air. Tout le monde sursaute. Mon imbécile de fils baisse les yeux.
- Comment vous avez fait pour confondre Éden Eat avec la touche Pangolin comestible ?
- On était raide défoncés, papa...
Thor arrive, trainé par deux anges en armures brillantes. Saint Pierre le pousse vers moi d'un geste brusque. Son regard se perd au niveau de mes pieds.
- Regarde-moi, imbécile ! Comme ça, tu fais fumer de la drogue au fiston ? Je vais convoquer ton père, tu feras moins le malin. Vide tes poches !
- J'ai rien, je vous jure, votre fils a tout fini. D'ailleurs, à ce sujet, il me doit quelques billets.
- Parce qu'en plus, tu oses me demander d'éponger ses dettes, après ce que vous avez fait ? Qu'est-ce qui m'a foutu deux mongoliens pareils ? Vraiment, je sais pas ce que je vais faire de vous. Maintenant, vous allez réparer vos conneries. D'une, vous vous démerdez pour me virer ce Trump de leur première puissance mondiale, de deux, vous me rélgez cette histoire de pangolin, et de trois, vous m'arrangez la sauce avec momo ! Allez, tant que vous avez pas terminé vos devoirs, vous restez. Ensuite, vous êtes consignés dans vos chambres, bande de conos.
* Donne-leur le repos
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