L'Ecosse (suite)
Emmitouflée dans un édredon chaud et doux, je me réveille doucement. J’entends près de moi une voix d’homme qui chantonne un air très doux.
De la couleur agrume voici les Falanim et les Ritsua
De la couleur émeraude voilà les Atsurui aussi belles que mon Alyana
De la couleur de la nuit voici les Manakim
De la couleur de l’océan voilà les Némaska
Mais voici venir le plus grand de tous
C’est le plus grand des rois
Voilà l’Aokiring.
Mais c’est ma berceuse… je sens une présence rassurante près de moi… Oh cette main qui touche le visage… non… reste avec moi… papa !
J’ouvre brutalement les yeux. Je ne sais plus où je suis. Ma tête m’élance comme si un étau se refermait sur elle. Je m’assois péniblement dans cet immense lit à baldaquin. Les voiles pourpres en sont tirées. Je souris, cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas allongée à proprement parler dans un lit sans plier mes jambes. Une douleur fulgurante me traverse le corps et je me recroqueville sur moi-même. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je me lève et m’aperçois que j’ai été changée : je porte une robe de chambre en soie blanche, et des dessous en coton de la même couleur. Je rougis. A part, Me Alphonse et moi-même, il n’y avait personne d’autre dans le manoir, si ? Je m’approche des fenêtres et constate que ma chambre est attenante à un balcon donnant sur un jardin de rosiers magnifiquement entretenu. Le ciel s’est dégagé et le soleil se couche. Une myriade de couleur s’offre à moi : sur le vert sombre de la forêt, l’orange et le jaune du couchant sont beaucoup plus resplendissants. Ajoutés à cela, les roses, rouges et blancs des roses ainsi que le vert plus pâle de leurs buissons font de ce tableau une harmonie sans pareil. Je m’attarde jusqu’à ce que le soleil disparaisse et que le petit vent de la nuit m’incite à rentrer
De nouveau dans ma chambre, je jette un œil alentour afin de retrouver mes affaires : au moins mon sac que je puisse enfiler un jean. Tant de luxe dans une seule pièce : rien que le prix du lit pourrait payer mon loyer pour les dix prochaines années. D’ailleurs, il faut que je réfléchisse à cela aussi. Que vais-je faire de tout ceci ? Il semblerait que je sois à l’abri du besoin pour le restant de mes jours, si j’en crois le peu que j’ai vu. Mais est-ce bien raisonnable… Ma mère m’a toujours incité à réussir par mes propres moyens. Est-ce pour cela qu’elle ne m’a jamais parlé de ce père démesurément riche ? Je finis par ouvrir une double porte blanche et tombe sur … un dressing. Un dressing. Je m’approche doucement et regarde les étoffes présentes : soies, dentelles... Comment cela se fait-il ? Je finis par dénicher mon sac, choisis une tenue simple et part en quête de Me Alphonse.
En sortant de ma chambre, une bonne odeur de viande rôtie m’attaque les narines. Je réalise que je n’ai rien mangé depuis la veille. Me fiant à mon instinct, je descends les escaliers, le contourne et ouvre une porte. Sous un lustre de cristal, une immense table ornée d’une nappe immaculée est dressée pour une personne : assiette en porcelaine, couvert d’argent, verrerie magnifique. Un bouquet de lys roses et blanches trône fièrement au centre de la table. Cette dernière me semble démesurée, surtout si elle n’est mise que pour moi. Je continue sur ma lancée et ouvre une autre porte. Celle-ci donne enfin sur la cuisine, somme toute très moderne. Une femme d’un certain âge s’affaire là sans remarquer ma présence. Lorsqu’elle se retourne enfin et s’aperçoit de mon existence, elle pousse un cri.
« - Excusez-moi ! Je ne voulais pas vous faire peur ! Pardonnez-moi Madame ! Il est vrai que je peux paraître...
- Oh ! Ce n’est que vous, Mademoiselle Aly… Yona. Du calme, du calme. Je suis Mme Arrietty, la gouvernante du manoir. J’étais tellement plongée dans mon travail que je ne vous ai pas entendu venir.
- Mme Arrietty ? Enchantée de faire votre connaissance. Je suis donc Yona, la nouvelle maîtresse du manoir, semble-t-il.
- Je vous imaginais plus grande… »
Devant mon air surpris, elle éclate d’un rire cristallin, qui me fait sourire à mon tour.
Je sens que je vais bien m’entendre avec elle. Elle ressemble à la grand-mère que j’ai toujours souhaité avoir.
Mme Arrietty me demande de bien vouloir passer à table, le dîner sera bientôt servi. Cette mise en scène était donc bien pour moi. Pour ne pas la vexer, je m’exécute à contre cœur. Je m’installe donc à cette place qui m’est si bien désignée. Lorsque Mme Arrietty m’apporte les plats, j’ai la tête posée sur mes mains entrelacées et les yeux perdus dans le vide.
« - Incroyable… c’est fou comme vous lui ressemblez. Mon bon vieil Alphonse avait donc bien raison… »
Je relève la tête, un peu interloquée par cette simple phrase. Je lui demande où est passé Me Alphonse. Rentrer pour la nuit, m’apprend-elle. Je dînerai donc seule. Devant ma moue attristée, elle rit et me propose sa compagnie. J’accepte avec plaisir. Elle soulève les couvercles des plats et je réalise que j’ai une faim de loup : pommes de terre sautées, rôti de poulet et sa sauce chasseur, accompagné de légumes de saison. J’en ai l’eau à la bouche. Je dévore plus que je ne mange mon repas, sous l’œil attendri de Mme Arrietty. Elle semble avoir compris que j’ai de nombreuses questions à lui poser et patiente gentiment que je termine mon dîner.
« - Ce fondant au chocolat était un délice ! Jamais, je ne saurai faire la même chose…
- Mademoiselle m’enchante ! Puis-je vous débarrasser ?
- Avant cela, Mme Arrietty pourriez-vous…
- Chaque chose en son temps, Mademoiselle. Permettez-moi de finir mon travail et installez-vous près de la cheminée. Je vais vous apporter un thé et ensuite je répondrai à toutes vos questions, si je le peux. »
Je lui sourit et m’exécute. Dans ladite cheminée, un feu de bois crépite joyeusement. Je m’approche afin d’y observer plus attentivement les armoiries gravées dessus. A l’intérieur d'un cercle se trouve une trèfle à quatre feuilles, dans lequel un papillon semble prisonnier. A sa gauche, il y a un croissant de lune et à sa droite… une étoile inversée ! J’ai soudain un éclair de génie et fonce vers ma chambre. Je recherche frénétiquement mon sac et fouille à l’intérieur pour en sortir le bijou que m’a légué ma mère. Je n’avais jamais pris le temps de bien le regarder : l’intérieur d’un cercle doré se trouve une pierre de couleur émeraude avec un papillon pourpre emprisonné. Lorsque je place la pierre face à la lumière, j’y découvre en filigrane… un trèfle à quatre feuilles d’un vert un ton plus clair ainsi qu’une lune et une étoile argentées.
Je redescends, le bijou à la main. Les questions se bousculent dans ma tête. Ce bijou appartenait finalement à mon père. Je m’assois dans l’un des énormes fauteuils faisant face à la cheminée. Mme Arrietty s’approche de moi avec une tasse fumante aux odeurs de menthe et d’herbes. Elle la pose près de moi sur le bras du meuble et s’assoie à mes pieds en me prenant délicatement le bijou des mains.
« - Il était donc avec vous… Il n’y a plus aucun doute, vous êtes bel et bien la fille de Maître Klaüs.
- Vous en doutiez ?
- Pardonnez mon insolence Mademoiselle… Mais les richesses ainsi que la propriété du Maître sont très convoitées vous savez… Ce cher Alphonse, lui, n’a eu aucun doute quand il vous a revu. De nous deux, je reste la plus terre à terre voyez-vous… Maître Klaüs a tellement fait pour moi… Je me perds en sentimentalisme… Que désirez-vous savoir Mademoiselle ?
- Qui était mon père ? D’où vient toute cette richesse ? Pourquoi n’est-il pas resté avec nous ? Je…
- Ouh là… Du calme Mademoiselle. Je vais vous raconter tout ce que je sais. Cela risque de prendre du temps en revanche…
- Peu m’importe. J’ai toute la nuit devant moi ! »
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