L'incendie
- Te revoilà ma beauté ! j’ai failli attendre tu sais…, me fait Aoi, la mine boudeuse.
- Coucou Aoi… je ne suis pas censée être endormie ?
- Ton corps physique se repose, il faut dire que je t’ai peut-être donné un peu trop de pouvoirs moi… Il va falloir que je fasse plus attention… En revanche, ton esprit est bel et bien éveillé ! Que me vaut l’honneur de ta visite ?
- A vrai dire… je ne sais pas moi-même… la seule chose que je me souvienne c’est d’avoir posé ma tête sur l’oreiller et me voici…
- Tu brûlais d’envie de me revoir avoue-le ! Je lui lance un de ses coussins à la tête, il rit.
- Peut-être bien après tout…
Il cesse de rire et me regarde. Il me sourit d’un air chaleureux et m’invite à prendre place. Ici, je fais la même taille que lui. Je m’installe sur le tapis soyeux et ferme les yeux… la sensation est agréable… Aoi s’assoit près de moi, pose ma tête sur ses genoux et se met à jouer dans mes cheveux. Depuis ma mère, personne ne l’avait fait… Il n’a aucune mauvaise intention : je ne sais pas pourquoi mais c’est le sentiment que j’ai au fond de moi. Nous sommes comme… connectés. Oui, c’est le mot : connectés.
- Dit-moi, Alyana…
-Mmmmh...
- Tu n’es qu’à moitié Titan n’est-ce pas ?
J’ouvre les yeux, interloquée par cette question… puis je me souviens qu’Aoi a « discuté », pour reprendre le terme, avec l’eau contenue dans mon corps. J’opte pour la vérité.
- Effectivement : je suis à moitié humaine, à moitié Titan. Je l’ai appris il y a à peine quelques mois… T’imagines pas le choc…
Je lui raconte tout : il m’écoute d’une oreille attentive tout en continuant de jouer avec mes boucles. Entendre mon histoire de vive voix me paraît improbable : pourtant je suis bien ici, dans un recoin de mon esprit, à discuter avec un prince aquatique d’un autre monde avec qui j’ai scellé un pacte.
- Si je comprends bien, non seulement la race humaine existe mais en plus tu ne connais rien de notre monde ?
- Oui et oui,lui répondis-je en souriant… Vic, le petit garçon de la famille chez qui je vis actuellement, a bien un énorme livre mais j’ai l’impression qu’il ne parle que de Tensya et de sa faune et sa flore… Je me doute que ce pays n’est pas composé uniquement d’arbres et d’animaux…
- Bon, je vais t’apprendre ce que je sais… En revanche, cela risque d’être long… Tu sais 2500 ans d’histoire ne se raconte pas en deux minutes…
- 2500 ans ?
- Oui, oui je sais, pour un être aquatique, je suis encore très jeune…
- PARDON ? Je suppose que tu n’as pas demandé à mon corps quel âge il avait dans ce cas…, j’éclate de rire, sous les yeux médusés d’Aoi.
- Tu n’as que dix-huit ans ?
- Exact !
Le visage d’Aoi à ce moment-là aurait mérité d’être photographié pour la postérité. Dans ce monde avoir dix-huit ans revient à avoir dix-huit jours dans le mien semble-t-il… Mon petit prince est subjugué : selon lui je possède autant de pouvoirs en moi qu’un Titan de plus de 3000 ans ! Je suis flattée bien que je ne sois pas sûre de comprendre.
Il m’explique : à Tensya, les enfants vont chez le maître du village dès qu’ils ont atteint une certaine maturité. Chaque enfant étant différent, il n’y a pas un âge spécifique. Il y reste environ une quinzaine d'années : ils y apprennent les remèdes médicaux, la lecture et l’écriture et pour les plus doués d’entre eux quelques rudiments de magie. Puis tous les dix ans sont choisis quelques prétendants afin de passer le test du Register : bien évidemment, les enfants nobles sont prioritaires mais il arrive quelquefois que des enfants du peuple soient de la partie. Une fois que la nature des pouvoirs est révélée, l’académie des maîtres de stage magique se réunit afin de se répartir les prétendants. Chaque maître peut avoir jusqu’à trois élèves. Ensuite, ces apprentis Magister vivent avec leur maître le temps de leur formation qui peut durer un an ou dix ans, tout dépendra de l’élève et du niveau qu’il souhaite atteindre…
Tout ceci m’impressionne. Je me remémore le récit d’Abigaëlle au sujet de mon père : lorsqu’il avait trouvé Rémy, il avait dit être en formation de magie et avait même parlé de son vieux maître.
Là encore Aoi me félicite : j’ai atteint un niveau incroyable malgré le fait que je n’ai pas eu de maître de stage magique. Une question se pose : quel est mon véritable niveau ? Aoi m’avoue qu’il sent en moi une puissance insoupçonnée mais qui ne s’est pas encore réveillée, ce qui lui semble bizarre.
- Encore une chose, si tu veux je peux me matérialiser à tes côtés : tu n’as qu’à m’appeler par mon véritable nom et imaginer la forme que tu souhaites que j’aie.
- Ton véritable nom ?
- A vrai dire… Je ne l’aime pas du tout… Je me présente dans les formes mademoiselle : je suis Aloïs Aqualya, quatrième prince aquatique du Royaume de Nymphea, pour vous servir, le tout avec une révérence digne de ce nom.
- A moi… Mon cher, je suis Alyana Ravilya Richard Atsurui, ravie de faire votre connaissance…
- Ravilya ??
Je me réveille en sursaut, coupant court à notre conversation, à cause des cris de terreur de Ninya. Je prends une grande inspiration et manque de m'étouffer : une épaisse fumée noire flotte dans l’air. La maison est en feu !
Mais ? Que se passe-t-il ?
Je récupère les enfants dans mes bras et les serre contre moi pour les protéger de la chaleur ambiante. J’avise l’échelle : à moitié brûlée, elle ne pourra pas supporter notre poids. Je me concentre afin d’utiliser le sort de lévitation : j’échoue lamentablement. Je lance une formule afin de pouvoir contrôler le brasier, nouvel échec…
Vic et Ninya pleurent sur mes épaules, hurlant qu’ils ne veulent pas mourir. La fumée m’empêche de respirer correctement, je commence à tousser.
Aoi ! Apparaît je t’en supplie ! Son véritable nom... Aloïs Aqualya…
Un petit renard blanc à trois queues aux yeux couleur argent saute sur mon épaule. De sa gueule, il lance une poudre blanche glacée, ressemblant à de la neige et éteint le feu sur les matelas de paille. L’épaisse fumée s’estompe un peu : je peux à nouveau respirer correctement.
Merci Aoi…
Il se perche sur mon épaule et me fait un câlin de la tête. Je regarde les enfants : ils sont terrifiés. Je cherche une solution : en contrebas, le feu s’en donne à cœur joie. J’entends Roc crier depuis la porte d’entrée. Je ne sais pas pourquoi mais impossible d’utiliser ma magie…
Tu es trop fatiguée… Notre pacte t’a affaibli… Tu ne peux compter que sur ta force physique.
Je jette un œil à la pièce principale : le plancher m’a l’air à une hauteur incroyable ! Je prends mon courage à deux mains, serre les petits contre moi et saute. J’atterris en souplesse sur le sol et fonce vers la porte d’entrée.
Les flammes lèchent mes vêtements et me brûlent la peau. Je sors en trombe de la maison et dépose Vic et Ninya avec leur père en larmes.
Je peux enfin respirer des grandes goulées d’air frais. Soudain, mon cœur s’arrête de battre.
Non… le livre de papa… ma cape…
Sans réfléchir, sous le regard ahuri de toute la petite famille, je fonce la tête baissée dans le brasier. Je cherche frénétiquement : je ne sais plus où j’ai posé mon sac. D’un bond, j’atteins le palier où nous dormions. Je regarde partout. Aoi est apeuré sur mon épaule.
- Rentre si tu as peur Aoi.
- Tu crois vraiment que je vais t’abandonner ? Tu rêves ma belle !
Une partie du toit s’effondre derrière moi, je sursaute et tombe à la renverse. Une petite lueur jaune attire mon regard. Mon sac ! Comme protégé par un sort, il est presque intact. Je le prends et tourne sur moi-même en quête d’un moyen de sortir. Je suis cernée par les flammes. L’atmosphère est brûlante autour de moi et l’air me manque. Le plancher cède sous mon poids et je tombe lourdement sur la table aux trois quart brûlée. Je me relève tant bien que mal et cherche Aoi des yeux. Il est devant moi mais sous sa véritable forme : de son corps s’échappe de la buée, comme s' il s’évaporait.
- Alyana… Vite... Répète avec moi… Aqualya y arumbi… et tend tes mains vers le ciel...
- Aqualya y arumbi...
Un geyser d’eau d’un bleu très sombre jaillit de mes mains et retombe en pluie drue autour de moi. Je sens en moi la puissance d’Aoi : son énergie d'un bleu très pur se mélange à la mienne couleur dorée, tout comme son corps épouse le mien de manière très naturelle. J’ai l’impression de me vider : cette eau me prend toute l’énergie qui me reste. Je tiens bon, il faut que j’éteigne ce feu. Je plie un genou à terre, puis le deuxième tout en essayant de maintenir constant le flux d’eau. Je regarde autour de moi, il me semble que le feu est éteint. L'atmosphère s'est rafraîchi : je sens même un frisson glacé me parcourir. Juste à temps… mon corps me lâche et je m’évanouis.
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