Guet-apens
J'entends comme des bruits étouffés…
Quelqu'un approche…
Une main énorme se plaque contre ma bouche, me réveillant en sursaut. Je suis maintenue fermement par deux Titans. Je cherche Aoi du regard : il est lui-même prisonnier. Un Titan s’approche de moi : je le reconnais, il s’agit de l’homme de la fontaine. Il tient dans sa main une dague dorée avec laquelle il se cure les ongles, tout en sifflotant. Il se rapproche de moi, d’un air détaché bien que menaçant.
- Te voilà, ma jolie… Je t’ai enfin retrouvée… Pardonne-moi de te réveiller au milieu de la nuit mais il me semble que tu n’as pas payé tes droits de passage…
Au moment où il me dit ces mots, son visage se trouve à quelques centimètres du mien : il a une haleine qui empeste l’alcool. Sa dague passe près de ma joue et descend vers mon cou tout en ouvrant ma peau. Mon sang s’écoule et Aoi se débat comme un diable mais il n’a aucune chance face à la force physique des Titans qui le maintiennent.
- Oh, oh… Mais… C’est que son sang est rouge comme ses jolis cheveux… Incroyable… Je crois bien que je ne vais pas te défigurer finalement… Tu vas me rapporter un joli pactole !
- Alyana, je n’arrive pas à bouger ! Leur force physique est bien trop pour moi ! Ils veulent te vendre au marché des elfes ! Ce commerce est totalement illégal mais bien des Titans continuent de le perpétuer ! Alyana ! Que dois-je faire ?
- Aoi ! Rentre ! Je ne veux pas qu’ils te fassent du mal ! Je réussirai à me débrouiller seule !
- Non, je…
A ce moment-là, mon petit prince aquatique se prend trois coups de couteau rapides en plein estomac. Gratuitement.
- Toi par contre… Je n’ai absolument pas besoin de toi…
Sous la force des impacts, le corps d’Aoi a des soubresauts avant de se plier en deux. Ses yeux s’écarquillent d’effroi et de douleur. Il n’a même pas la force de crier : c’est moi qui le fait à sa place, bien que mon cri soit étouffé par la main qui enserre ma tête. Il reprend sa forme d’origine sous les yeux effarés du chef de bande qui regrette aussitôt son geste, comprenant qu’il a perdu gros. Je sens une profonde haine s’emparer de moi : mon sang brûle dans mes veines. Ma respiration se fait de plus en plus saccadée et ce n’est pas à cause du manque d’air.
Je vois mon énergie se matérialiser autour de moi : sa belle couleur dorée passe au rouge grenat avant de virer au noir. Surpris par ma véhémence, les Titans qui me maintenaient lâchent un peu la prise et je profite de ce moment de faiblesse pour me dégager d’un violent coup d’épaule. Je leur assène à chacun un poing au visage d’une telle puissance qu’ils s’envolent à plusieurs mètres de moi. L’un d’eux heurte un arbre, dans un bruit sinistre d’os qui se brisent. Je m’approche d’Aoi, sous les yeux effarés du chef qui n’ose même plus intervenir.
- Je m’occuperai de toi plus tard…
Ma voix est caverneuse, je ne la reconnais pas. Je suis dans une telle colère ! Je me penche sur le corps d’Aoi, ses écailles argentées sont salies par son sang d’un bleu roi. Je me coupe l’intérieur de la paume avec ma propre dague. Son sang et le mien se mélangent et j’arrive à cicatriser les blessures de mon ami si cher à mon cœur. Elles sont si profondes, presque mortelles : cela m’affaiblit considérablement de le soigner mais je tiens bon. Aoi ouvre les yeux faiblement et articule un petit “non”...
Le Titan remarque sûrement mon soudain manque d’énergie car lâchement il s’apprête à m’attaquer pendant que je prodigue les soins. Bien que j’ai le dos tourné, je le vois s’approcher de moi et lever sa dague. Sans prononcer un seul mot ni même bouger le petit doigt, je lui lance un sort de feu qui lui atteint le visage. Cependant, il est trop faible pour le consumer entièrement. Des flammes d’un noir profond lui lèchent le visage et lui brûlent ses longs cheveux. Je l'entend hurler et vociférer des insultes, tout en essayant d’éteindre le brasier qui s’étend de plus en plus.
- Attaquez-les, bon sang ! Tuez-moi ces deux tourtereaux ! J’offrirai une belle prime à qui me ramènera sa tête !
La blessure d’Aoi s’est presque refermée : il est hors de danger. Je lui donne l’ordre de rentrer : je ne sais pas s’il s’exécute de plein gré ou si c’est le pacte qui agit, mais il s’évapore sous mes yeux.
Te voilà en sécurité, mon petit prince...
Me voilà seule face à une vingtaine de Titans mâles, assoiffés de sang, de vengeance et attisés par l’attrait d’une belle récompense. Je suis affaiblie mais ma colère reste la même. L’aura noire autour de moi a diminué mais reste présente. J’évalue la situation : ils ne savent pas utiliser la magie, en face moi se trouvent essentiellement des Ritsua. Malheureusement pour moi, ils ont pour eux la force physique et le nombre. Je ne sais pas si je vais m’en sortir. En revanche, je ne vais certainement pas fuir à nouveau. Je sens bouillir en moi une force nouvelle, une vague de haine sombre déferle sur mes sentiments.
Debout bien droite, je me mets à marcher vers le chef de bande, une énergie noire irradiant de toutes mes pores, ignorant superbement ses sbires. Trois d’entre eux se jettent sur moi : je les envoie valser d’un revers de main à travers les arbres aux feuilles violettes grâce à ma maîtrise du vent. D’abord surpris, leurs acolytes accourent vers moi, leurs armes pointées : j’élève face à eux un mur de boue. Je suis trop faible : ce mur n’a que pour effet de les ralentir mais emprisonne tout de même leurs dagues. Deux autres s'attaquent à moi à mains nues : mes notions de self-défense reprennent le dessus. Je frappe mes adversaires de toutes mes forces : mes coups de poing se font moins forts mais je réussis tout de même à mettre hors d’état de nuire quatre d’entre eux. Je ne lâche pas le chef des yeux : voir son visage attise ma haine et me permets de rester debout. Ils sont trop nombreux : je finis par être capturée par ceux qui sont lâchement restés à l’arrière. Pendant que deux me maintiennent les bras dans le dos, d’autres s’en donnent à cœur joie, me frappant au visage et à l’estomac, ne me laissant aucun répit. Ils finissent par m’attacher à un arbre.
Le chef de bande est satisfait malgré le fait que j’ai mis à terre plusieurs de ses hommes. Le combat terminé, il s’approche de moi un petit air victorieux sur le visage. Il m’assène une gifle monstrueuse du revers de la main avant d’éclater de rire en voyant mon sang s’écouler de ma bouche. Je lui crache au visage.
- Qu’est-ce que je vais faire de toi ? Tu es une véritable zéthys ! Dommage, je vais devoir effacer ton joli minoi de Noctalya…
A ce moment précis, un hurlement, mélange du cri du loup et d’un rugissement de tigre, se fait entendre. Les Titans présents se figent de peur. J'aperçois dans les buissons deux billes de la taille de mon poing d’un orange luminescent. Une immense bête d’un blanc immaculé s’approche d’une démarche féline tout en montrant sa double rangée de crocs aiguisés. Elle grogne doucement de manière menaçante. Sur son front, un pique de couleur noir trône comme un diadème. Ses belles oreilles pointues aux pointes noires sont couchées sur sa tête. Derrière elle, dix queues, elles aussi à la pointe noire, comme celle d’un renard, ondulent lentement au gré de ses pas. Les hommes ne bougent plus : c’est à peine s’ils osent respirer.
Elle s’allonge entre le chef de bande et moi marquant ainsi son camp. Il n’en croit pas ses yeux. Les autres reculent à pas feutrés, cherchant par tous les moyens à fuir cette bête à six pattes aux crocs acérés. Quand ils estiment être à une distance respectable, ils prennent leurs jambes à leurs cous et disparaissent sans demander leurs restes. Ne reste que le chef : il hésite. Doit-il m’attaquer et risquer de perdre ainsi la vie dans la gueule de l’animal ?
Il recule à son tour, ne lâchant pas l’animal des yeux. Ce dernier continue de grogner doucement, faisant comprendre à ce lâche qu’il n’a plus la maîtrise de la situation. Soudain, le Titan se met à hurler, un cri perçant et guttural. Il ramasse quelque chose au sol et fonce vers le fauve. Vive comme l’éclair, la bête se remet debout et d’un coup de griffe sépare la tête du corps de l’homme.
J’assiste au spectacle, sidérée. Elle se retourne, s’approche de moi et me libère des mes liens grâce à ces mêmes griffes acérées. Je m’effondre au sol : guérir Aoi et me battre contre ces Titans m’a vidé de toute énergie. Avant de sombrer, je sens l’animal me lécher le visage et se placer tout autour de moi pour me serrer contre son corps chaud.
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