Le combat d'Aoi
Je suis face à Aurale. Face à mon grand frère. Celui avec qui j’ai joué à cache-cache dans les dédales du château familial, durant toute mon enfance. Celui qui a soufflé sur le moindre de mes petits bobos pour les guérir. Celui qui me berçait les nuits noires où je faisais des cauchemars. Celui qui me faisait rire en projetant des ombres bizarres avec ses tentacules. Celui qui a toujours volé à mon secours lorsque les autres me faisaient des misères.
Je suis face à lui, vêtu de l’armure royale. Armé. L’arc royal ne tire que des flèches d’énergie pure. Dans ses yeux brillent une lueur que je ne connais pas. Ce n’est plus le grand frère que j’ai connu. Ce n’est plus cet Aurale prévenant et doux. Celui qui se tient devant moi veut détruire tout ce que j’aime : mère, Angeline et Alyana. Où est donc passé ce grand frère que j’aimais tant ?
Je sens les larmes couler le long de mes joues. Aurale en rit : je suis trop sentimental selon lui. Il a été trop gentil avec moi et du coup je suis devenu une vraie larve. L’odeur de son poison me pique les yeux, je sais que je suis immunisé contre lui mais j’en ressens quand même les effluves. Il est acide. Je regarde autour de nous : il n’y a rien d’autre qu’une table où trône les documents qu’Alyana m’avait mentionnés et un matelas de paille. Le minimalisme d’Evaïs me sera utile : il n’y a rien qui puisse servir d’arme. Il ne s’approchera pas des torches.
Il m’attaque : j’esquive à peine son tentacule meurtrier qui m’effleure la joue et l’égratigne. Je sens mon sang se mélanger à mes larmes. Je n’ai plus le choix : à défaut d’attaquer, je vais être obligé de me défendre. Je me mets en position et Aurale explose de rire. Apparemment, je ne lui fais pas peur : la différence de force est considérable. Je n’ai jamais été bon aux sports de combat et il le sait. Malgré les entraînements intensifs de notre maître, je n’ai jamais aimé la violence. Ce qu’il ne sait pas, c’est que j’ai tout de même retenu toutes ses leçons : ses techniques coulent dans mes veines malgré le fait que je répugne à les utiliser. Surtout envers mon propre frère.
Il m’attaque à nouveau. Cette fois-ci, son tentacule me transperce la jambe gauche. Je ploie sous la douleur qui… s’arrête presque instantanément. Sous mes yeux ébahis et ceux d’Aurale ma plaie cicatrise en un clin d'œil.
- Oh, oh… Je vois… Tu as passé un pacte avec cette fille ! Pour te tuer… Je dois donc…
Je ne laisse pas finir et lui décoche une flèche de lumière, transperçant deux des huit tentacules, avant de s’évaporer. Il ne touchera pas à un seul cheveu d’Alyana. Il semble surpris de ma véhémence. Un sourire malsain se dessine sur son visage et là… il se met à m’attaquer sans relâche. Je les évite toutes, en me concentrant comme le maître nous avait appris. J’esquisse un ballet d’esquives gracieuses, virevoltant autour de lui.
Aurale est décontenancé et sa colère augmente au fur et à mesure qu’il n’arrive pas à me toucher. Il déploie ses tentacules autour de lui et se met à tourner sur lui-même déchiquetant tout sur son passage. Chacune d’entre elles sont devenues des sabres noirs tranchants : elles sifflent dangereusement dans l’air. Le lit est déchiqueté, la table est projetée contre les voilures de la tente rouge et … se brise sur une paroi transparente. Les éclats reviennent nous frapper.
Aurale ne comprend rien. D’un geste furieux, il se met à lancer des boules de liquide tout autour de lui et le tissu rouge rouge se met à fondre. Il ne reste qu’un amas informe noir, suintant une horrible odeur de pourriture. Du coin de l'œil, j’aperçois Alyana assise sous un arbre, les yeux fermés et le visage concentré.
Elle a posé un dôme de protection autour de nous…
Effectivement, les effluves du poison d’Aurale ont cessé de se propager et remontent le long d’un mur invisible.
Elle est incroyable…
Aurale finit par le comprendre et pousse un hurlement de colère. Ce cri me surprend un instant : il en profite pour planter l’une de ses tentacules dans l’épaule et ne l’enlève pas. Je suis cloué au sol. Il se tourne alors vers Alyana et la foudroie du regard.
- Toi…, je l’entends murmurer avec colère.
Je prends la tentacule dans mes mains, son poison dégouline à travers mes doigts et la retire de mon épaule. Alyana m’est bien trop précieuse. Je me décide donc à me battre, pour Alyana, pour Angeline, pour Mère et… pour moi, tout simplement. J’attaque. Aurale est ravi de la tournure des évènements. Il est persuadé d’avoir le dessus sur moi.
Je n’en serai pas si sûr à ta place.
Les leçons du maître refont surface. Les coups pleuvent. Avec ses huit tentacules, il me donne du fil à retordre. Je continue mon ballet, je suis un peu restreint avec le dôme mais au moins le poison ne s’étend pas. Je ne veux pas me servir de l’arc… La tente autour de nous n’est plus qu’un amas de tissus et de cordes aux trois quart brûlés par l’acide d’Aurale. Les effluves commencent à remplir le dôme créé par Alyana. Mes yeux me piquent de plus en plus : je vais devoir les fermer d’ici un moment ou un autre.
Il finit par avoir le dessus. Je suis maintenu contre la paroi par trois tentacules : deux me tiennent les bras et l'autre les pieds. Je ne peux plus bouger. Je commence à sentir la fatigue du poison… Aurale en profite pour me taillader le corps de ses lames et en prend un malin plaisir. L’armure royale se fend petit à petit autant que la confiance en ma victoire.
- Dès que j’aurai fini avec toi… J’irai m’occuper de ta petite rouquine…
Il rit. Son rire sardonique me met hors de moi. La colère brûle dans mon corps.
Non. Pas Alyana. Tu ne la toucheras pas.
Je me débat comme un démon tout en hurlant… de douleur ? de rage ? Je ne sais pas trop… Je ne réfléchis plus. Je me relève. Mes blessures cicatrisent à la vitesse grand V. J’arme l’arc royal. Une flèche lumineuse jaillit de mes mains. La corde vibre. Le rayon de lumière lui transperce deux tentacules et se fiche dans son front, au milieu de ses yeux.
Son visage affiche un air de surprise. Il me regarde : ses yeux s’adoucissent et je l’entends me murmurer : Merci mon petit Aoi. Je le regarde et je sens mon visage s’inonder de larmes. Une épaisse fumée noire s’échappe de ses yeux et de sa bouche. Je m’approche et mon cœur se serre douloureusement. Je prends le corps sans vie de mon frère contre moi, en pleurant toutes les larmes de mon corps.
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