A bord du navire Nymphalien
Nous rejoignons notre convoi. Altea fait un signe de tête à l’un de ses hommes pour lui signifier que tout est en ordre. Ce dernier s’efface sans un mot et repart en direction de ses troupes. Deux personnes, entièrement recouvert d’une armure vert anis, de sorte que l'on n’aperçoit que les deux billes noires de leurs yeux sont postées près de notre calèche.
- Le général Rudeus s’impatiente : il souhaite rapatrier le prisonnier au plus vite. Chaque seconde est comptée avant qu’Athenor ne nous surprenne.
- Le prince Alois a été mis au fer, lui répond Evaïs, dans une cellule-calèche sécurisée sous la surveillance d’une psychique. Mon armée a été attaquée il y a peu et mon père doit nous envoyer un bataillon qui doit nous retrouver sur la plage.
- Bien nous vous y attendrons.
Sur ces paroles, les deux hommes effectuent un salut militaire avant de rejoindre leur propre contingent. Evaïs demande aux Falanims et aux Ritsuas de repartir vers Lachea dès maintenant. Les choses se sont corsées plus vite que prévu. Je n’aurais même pas eu l’occasion de dire au revoir à Lila. Nous montons à bord de notre calèche : nous ne sommes plus qu’une vingtaine de personnes si je ne compte pas l’armée des elfes qui nous accompagne.
Arrivés sur la plage, j’aperçois mouillé pas très loin de la berge un navire à voile dont la coque est mordorée. Les voilures d’une blancheur immaculée semblent transparentes. Deux canots nous attendent, chacun conduit par l’un des gardes venus nous voir tout à l’heure. Il semblerait que seules quelques personnes puissent monter à bord. Altea, deux elfes et moi prenons le premier, tandis qu’Evaïs, Korn, Cody et Aoi prennent le second. Nous prenons le large sans une note d’appréhension. Arrivés près du bateau, une échelle de corde nous attend afin que nous montions à bord : Aoi est le dernier, maintenu à genou au sol sous le poids de ses chaînes et du sort factice de Cody. Malgré cela, il reste droit et fier. Sur le navire, sont alignés, par rang de six, vingt-quatre hommes au total. Une porte s’ouvre.
Une tête de requin.
Ce n’est pas très charitable comme pensée mais c’est la seule que je puisse formuler lorsque je vois le général pour la première fois. Il n’a pas à proprement parler les attributs de l’animal, non, il est grand et anguleux : sa stature est impressionnante. Sa peau d’un gris bleuté semble rugueuse où aucun poil ou cheveux ne poussent. Ses yeux bleu roi semblent pouvoir lire le moindre de vos mouvements avant même que vous puissiez les esquisser. Il m’intimide un peu et pourtant je suis beaucoup plus grande que lui.
Altea, Evaïs et moi-même nous nous avançons vers le général. Par déférence pour la princesse, nous la laissons prendre la tête de notre trio. Rudeus semble surpris de voir l’elfe royale avec nous mais il reprend vite son masque d’impassibilité. Il s’incline gracieusement devant Altea et celle-ci lui tend la main gauche afin qu’il lui embrasse un anneau orné d’une pierre blanche aux milles éclats. C’est là que j’aperçois la nageoire caudale du général. J’ai un petit sourire malgré moi et Evaïs lève un sourcil interrogateur.
Mon sourire se fane aussitôt lorsque mon regard croise celui de Rudeus lors des présentations : un regard froid, glacial. On y lirait presque du mépris. J’ai la désagréable impression qu’il s’attarde un peu plus sur moi que sur les autres, me dévisageant avec attention. Attention qu’il reporte sur Altea.
- Je suis surpris que son Altesse Altea soit ici, dit subitement Rudeus, d’une voix gutturale.
- Il n’y a aucune surprise à avoir, général Rudeus. Le prince Alois est un renégat et au vu des accords qui lient nos pays, j’ai été nommée par Lynos, Roi de Fairya, afin d’enquêter sur sa possible réapparition suite à la déflagration d’énergie perçue il y a peu.
- Avez-vous trouvé la cause de cette... soudaine... déflagration ?
- Je n’ai pas encore pu questionner le prisonnier.
Altea est impressionnante. Malgré le fait qu’elle soit plus chétive face à ce mastodonte, elle le regarde de haut, sûre de sa position et sûre d'elle-même.
- En fait, je suis terrifiée Alyanna… j’ai peur que mes sentiments ne transparaissent sur mon visage.
- Non, tu es parfaite. Puise en moi si tu en éprouves le besoin : il ne me fait absolument pas peur.
- Merci de tout coeur.
Je la sens effectivement tremblante et je lui envoie une dose de courage qui j’espère lui sera utile. Elle redresse légèrement les épaules et il me semble être la seule à s’en apercevoir. Rudeus exécute une petite révérence avant de s’approcher d’Aoi. Je me crispe instantanément. Evaïs pose une main sur la mienne et cela me calme aussitôt.
Malgré qu’il soit à genou, Aoi le regarde fixement en restant digne de son rang de prince de Nymphea. Son regard est perçant. Il se lève et se trouve face à face avec Rudeus, ce dernier le dominant de sa hauteur et de sa carrure. Malgré tout, Aoi reste droit et fier. C’est alors que le général lui assène un revers de main monumental qui fait tomber mon petit prince à terre. Altea essaie de rester insensible, tandis que je serre les poings de rage. Je me fais force pour ne pas le soigner de suite.
- Sale petit parasite… Si tu savais combien de larmes ta mère a versé pour toi…
- Ah vraiment ? répond Aoi d’une voix narquoise, un petit sourire aux lèvres.
Rudeus s’apprête à le frapper encore lorsque Evaïs s’interpose afin de faire valoir les droits de Tensya sur le prisonnier et rappeler au général l’accord conclu. Ce dernier recule, sans avoir au préalable craché au visage d’Aoi. Il annonce un départ imminent : si le bataillon de secours n’arrive pas dans les prochaines minutes, nous serons les seuls à embarquer. Avant de se retirer dans sa cabine, il ordonne qu’Aoi soit mis à fond de cale, enchaîné solidement à la coque.
Evaïs prend Cody à part et lui murmure ses ordres. Altea s’approche de moi et me prend la main : ce simple geste réussit à nous réconforter toutes les deux. Deux hommes s’approchent d’Aoi et le soulèvent sans ménagement avant de l’entraîner dans les profondeurs du bateau. Je vois au loin Venitia rassembler les quelques hommes qui sont restés sur la plage, libérer les dragnirs de leurs chaînes puis se préparer à voler vers nous. L’armée elfique en fait de même mais ne se pose pas sur le navire : elle reste suspendue dans les airs, silencieuse et menaçante. Un Nymphalien élégant se dirige vers nous.
- Votre Altesse, Mademoiselle, si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire au salon où vous serez mieux installées pour le départ proche.
- Quand allons-nous partir ?
- Cela ne saurait tarder. Le prince de Tensya vous y rejoindra plus tard, le temps qu’il termine ses préparatifs.
- Mes préparatifs sont effectués, intervient Evaïs.
Sa présence me rassure. Je jette un œil vers la plage : Venitia ne va pas tarder à décoller. Le Nymphalien lui adresse un petit sourire contrit avant d’ouvrir une porte avec une clé argentée. Nous pénétrons dans une sorte de vestibule, le majordome s’efface pour nous laisser entrer dans une pièce carrée. Nous sommes à l’arrière du bateau : le mur du fond est une énorme verrière et laisse voir le large de l’Océan Turquoise. Le tableau est époustouflant. Nous nous installons dans un salon délicat : les fauteuils bleus sont ornés de coussins dorés et argentés et leurs bras sont magnifiquement ouvragés. Sur un tapis blanc aux arabesques noires est posé une table basse en verre dont le socle est une statue de sirène. Sur les murs sont accrochés des tableaux de toutes sortes de paysage marin. Il n’y a pas à dire, nous sommes bien chez un Nymphalien. Le majordome a à peine le temps de se retirer que nous entendons comme un branle-bas de combat sur le pont.
- Mon Général ! Mon général ! s’écrie la vigie. Un banc de vorastéryas s’avance droit sur nous !
- On appareille !
Tout à coup, le navire se met à tanguer puis à trembler avec une violence inouïe nous projetant les uns sur les autres. La chute est rude. Un craquement sinistre retentit puis j’ai l’impression que nous sommes attirés vers le fond : mon estomac remonte dans ma gorge, comme dans les manèges à sensations fortes.
Je regarde par la verrière : nous sommes sous l’eau.
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