De l’ordre mondial il ne reste qu’un tank prolongé de la pointe d’un canon.

Dans sa ligne de tir un cheval au galop, dessus un homme.

Ils fuient ?

Je crois.

Tout droit dans la neige.

Ils avancent avec peine, trop de blanc dans cette plaine.

Un jour blanc,

jour de guerre ordinaire, sur une plaine, jadis cultivée, avec des villages et des fermes, des enfants.

La quiétude.

Ça se voyait à la fumée qui s’échappait des cheminées, pas d’un fût de canon.

Dans le tank ?

On ne sait pas, peut-être des soldats, trois ou quatre coupés du monde par de la tôle blindée.

Silence à l’intérieur, des yeux figés, des bouches pincées, des corps reliés à de la machine, des encéphalogrammes plats, des synapses mus par quelque chose comme du métal sous la poitrine qui pulsent ou plutôt canonnent quand la cible coïncide avec le viseur, et que leur superposition stimule le neurone du tir.

C’est le cas, une voix de métal. Bruit sourd que le froid absorbe en partie, nuage de blanc devant.

Le cheval s’affale, l’homme avec.

Les yeux du tank ne le verront qu’après dissipation de la poussière.

Silence dans l’engin.

Les soldats sont-ils vivants ?

Ça bouge, ça tourne la tête, ça conduit à l’intérieur.

Pas un battement de cils.

La mort a glissé sur eux comme sur une plaque de verglas.

Le tank avance.

Devant, les restes du cheval et de l’homme,

éparpillés.

Sur le blanc du rouge.

Qui avale le blanc, gangrène sa pureté d’une coulée de sang.

Une trouée sale dans le paysage.

Le tank avance, dans le ronronnement de sa mécanique.

Ses chenilles froides passent sur les corps déchiquetés,

déroulent la neige et la boue mêlée,

comme un linceul.

Tous sont morts une seconde fois.

Aujourd’hui un narcisse ensemence l’hiver d’un nouvel espoir, et dans la flaque d’eau boueuse une douzaine de petits poulains fils de la fleur et du drame rouge sang, gambadent.

Avec sur leur croupe,

autant de jeunes enfants.