Disruption
Disruption
Ce monde, vingt et unième monde selon notre calendrier.
Notre Monde est nécessairement Le Monde, ne nous en déplaise. Monde où le neuf étouffe l’ancien qui le porte, où chaque strate dépose son écriture comme un sédiment, avec ses ruptures, ses cicatrices fossilisées, ses affleurements douloureux, ses cris. Et parmi tous les mondes qui nous appartiennent, il y a ce monde- là que tu nommes Nouveau Monde.
Les mondes de Christophe. Christophe Colomb. Mais dans ce nouvel ordre, le vingt et unième, on ne se nomme pas, vieil homme, on se prénomme. Monde des Christophe donc, monde, jeune monde. Monde à numériser avec ses premiers d’une cordée encensée, insensée peut-être, jeune monde qui ruisselle en flots d’or, dans quelques poches à dollars sûrement, peu nombreuses les poches.
Un nouveau trésor pour une nouvelle ère, quelque part circule dans des tuyaux, sous les océans, dans la terre et dans les airs, alimentés par tous les foyers du Sud au Nord et d’Est en Ouest, il circule dans la quadrature d’un cercle, plutôt d’une sphère, notre sphère, notre planète. Sainte Planète ? La seule qui nous accueille, bien amochée, que nos jeunes missionnaires voudraient Terre augmentée ou Terre sacrée. Trop sainte. Sainte Terre se laisse faire et se fait dépecer.
D’autres voudraient l’abandonner pour aller s’installer quelque part dans le cosmos. Mars serait ce nouvel eldorado et nous irions en convoi vers l’ouest cet ouest déjà conquis mais rebondissant un peu plus loin. Au rencart les chariots, en réserve les indiens, les nouveaux colons garderont le chapeau au bord retroussé sans le colt à barillet, un laser l’a remplacé . Le chapeau et dessous la nouvelle panoplie du conquérant : une combinaison spatiale. Plus de cheval mais une station orbitale. Au bout du voyage, un sol totalement étranger impropre à la vie des hommes.
Qu’importe, la conquête l’emporte sur le respect de la terre. Conquérir plutôt que sauver, ravager comme une nuée de sauterelles, ne laisser derrière soi que la désolation, le chaos, le silence et la mort. Abandonner ses frères pour s’adonner à l’IA, gonfler par implant le cerveau, fini le parler, le langage, émettre une pensée par puce interposée. S’acoquiner avec la machine, s’hybrider. Tant pis pour ceux qui ne seront pas du voyage. On leur laissera un désert à fertiliser puisqu’ils veulent la sauver, cette planète bleue. Elle n’a plus rien à nous donner.
Et moi, de cet ordre- là
Moi de cet étage juste sur le dessous,
vingtième étage donc, moi je ne vois plus tout,
ma vue se fait courte, courte vue,
écourtée achoppe contre son horizon,
vue sans perspective, vue basse et résignée,
vue de déclin, vue s’écroulant, vue de croulants.
Monde des anciens, vingtième monde.
Besoin de neuf, dis-tu
A vos âges, il faut céder la place, dis-tu !
Un nouveau point de vue pour un nouveau monde
et nous, nous, nous flanqués de notre myopie,
friands d’arrière-pays loin de votre monde,
nous vieillis, face à vous, fringants trentenaires,
de VOTRE horizon devrions nous soustraire
pour ne rien comprendre de ce monde nouveau.
NOUS les veaux, les bigleux, pauvres vies, pauvres vieux.
Et tu ironises : Vite allez, allez !
Du balai, hors du palais, s’il vous plaît.
Que cela vous plaise ou non d’ailleurs,
allez zieuter ailleurs
coté vingtième révolus,
turlululu !
Allez , allez ! Et allez tu nous pousses…
gentiment, d’une voix douce ?
Gentil toi, tu mens.
Nous les myopes,
tout juste bons à garder vos mioches.
Vos petits mioches à chérir,
l’autre prunelle de vos yeux,
confiés à des gâteux,
les pieds dans leur passé,
aux idées dépassées,
pour les oreilles de vos chers, chers, cher-ubins ?!
Et toi au seuil de TON nouveau monde qui sera LEUR ancien,
toi, potentiel ancien
à la tête éprise d’un futur qui leur sera antérieur,
que penseras- tu du vingtième en dessous,
quand ils te soumettront le reflet délabré
de ton ère qu’ils conjugueront
au passé décomposé, eux dans leur présent ?
Moi, enseveli dans ma vingtième partie,
juste sous tes pieds, moi je ricane,
comme tous mes confrères dessous la terre.
Et je te plains mais ne te blâme
quand je me souviens que je fus locataire
de cette sphère dont je me croyais propriétaire,
du temps où le vingtième était mon présent
et votre passé imparfait.
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