Le Dark Wolf
Aujourd’hui, j'aide chez ma mère pour le bar, mais avant je passe chercher les vieux journaux qu'elle conserve dans ces énormes classeurs que je vois depuis la nuit des temps.
Elle a emménagé dans un deux pièces près de son bar au troisième étage d'un immeuble d'avant-guerre qui sent la pisse et la bière. Dans la cage d'escalier désuète je grimpe les marches deux par deux pour ne pas m'attarder.
Le salon n'a jamais été peint et contient les restes de sa vie d'avant, des toiles décrochées posée à même le sol, des centaines de disques, des cassettes entassées, un vieux poste de radio et un canapé défoncé.
Dans sa chambre, il n'y a qu'un lit, quelques livres, un bureau et c'est tout. Sa vie, c'est ça, le bar qu'elle tient à bouts de bras, ses cassettes d'adolescentes et dans la cuisine sur la hotte-là où on ne les voit que si l'on sait qu'elles y sont, les photos de nous. Mon père et ses lunettes de geek à leur bal de fin d'année, les photos de mariage où elle porte une robe rouge qui la rendait sublime et moi six ans avec un petit Matthew trois ans dans les bras. Voilà tout ce qu'il reste de sa vie d'avant.
Je récupère quelques classeurs, sans traîner, je ne peux rien y faire et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Depuis la mort de Matthew, la vie de mes parents semble s'être arrêtée, une sorte de sursis douloureux qui semble vouloir les suivre jusqu'à la fin de leurs vies.
Alors que je sortais dans la cour sous ma capuche à cause de la pluie battant qui frappait la ville, mon téléphone a vibré. Deux messages le premier était une réponse du musée d'Halsen qui avait accepté ma demande d'exposition photographique pour les vacances de Noël, mon cœur crie silencieusement de joie et je crois que l'on peut voir mon sourire depuis l'espace.
Ça fait des années que j'en rêve de cette galerie, de voir sur les murs tous mes clichés alignés aux yeux de tous. Alors, j'ai osé, osé proposer mes œuvres à la galerie d'exposition de la ville, osé être vue autrement que comme un petit amateur qui fait des photos de rues et de feuilles mortes.
Le second message venait de William qui semblait faire un rapport de mission militaire.
Mission des officiers Bellingtons et Scott terminée
Aucun élément d'enquête alarmant
Cible Luna Stephens abordée, coopérante, mais sans plus d'informations
Doute fortement de la théorie de suicide, mais ne sait rien de plus
Super, on n'a aucun témoin concluant et une piste irrésolu depuis cinquante ans, on part bien.
C'est ce que je me disais quand je suis arrivé aux abords du bar, j'entendis les braillements et les fracas de verres briser s'échapper depuis la porte grande ouverte.
Une baston, semblait venir d'éclater entre celui que j'avais baptisé Mac Gros Lard et un de ses camarades. Ma mère de son mètre cinquante essayait de séparer a coup de tablier ce faisant copieusement insultée au passage.
Mon sang ne fit qu'un tour, ce qui, je vous l'accorde n'est pas très intelligent dans ce genre de moments.
-EH ! Tu n'as pas entendu ma mère ? Allez-vous battre ailleurs ce n'est pas une arène ici !
- Bah alors la Tapette ? On a eu peur que j'abîme la vaisselle ?
- Mais ferme là abrutit ! Vous n'aviez vraiment rien d'autres à foutre que de vous battre comme des gorilles.
-Comment tu m'as appelé Lawson ? Fait gaffe à ce que tu dis fillette ce n'est pas parce que ta mère est la proprio que ça va m'empêcher de te faire le portrait !
- Tiens, tu t'es mis à la peinture Gros lard ? Je ne savais pas.
- Logan... Souffla ma mère s'entant la grenade se dégoupiller, mais déjà l'abrutie bouillait littéralement dans son cuir de motard trop étroit.
Un rire résonna de l'autre côté de la salle.
- Qu'est, tu veux le morveux ? Toi aussi, t'as envie de mourir ? Cria-t-il a l'adresse d'un Gabriel qui accoudée à une table dans un coin semblait s'amuser de la scène.
- Mec, pas la peine de faire genre ! Balançais-je, si tu me touches un cheveu, tu ne pourras plus jamais boire une seule bière dans ce taudis, ce serait dommage pour un gros alcoolique comme toi, Hein ?
Ce fut trop, Mac Gros Lard projeta la table contre un mur et pointa son canif à deux centimètres de mon nez. Je n'ai jamais réalisé plus qu'à cet instant à quel point un nez pouvait être utile.
- Alors, on fait moins le malin l'asperge ?
Il y a eu un sifflement dans l'air et celui-ci se retrouva trois mètres plus loin la main plantée dans le mur par un couteau à steak beuglant comme un veau.
William, qui riait quelques secondes plus tôt était à présent debout sur une table, un second couteau tourbillonnant entre ses doigts. Ni une ni deux la baston repris de plus belle, les amis de Mac gros lard se précipitèrent sur nous ; qui ne purent qu'esquiver les coups et se protéger derrière le bar ou ma mère s'était déjà réfugiée pour attraper sa batte de Base-ball fétiche.
- Là, soufflai-je, tire sur le fils bleu, c'est de l'eau sous pression
William n'hésita qu'un quart de secondes avant d'éventrer le tube qui explosa dans un puissant jet d'eau pressurisée obligeant tout le monde à se coller aux murs. Nous nous précipitons dehors heureux d'échapper a plus de dégâts.
- Ce tire était incroyable ! Dis-je le souffle coupé
- Je gère pas mal avec des fléchettes.
- Tu viens juste de me sauver la peau.
- T'inquiète mec, on est associés non ? Et puis, je n'allais pas résister à l'envi de tailler dans un gros morceau de lard beuglant.
On s'est souri dans le noir, je ramassais mes classeurs abandonnés au sol, avant de nous fondre dans la nuit.
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