Nous étions trois face à l'univers puis elle ne fut plus

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Maïa

Ce matin quand je suis arrivée au lycée, il y avait du monde rassemblée devant l'entrée et des sirènes de police qui résonnaient. J'aperçus Athénais à l'écart qui perchée sur ces rollers bariolés semblait préoccupée. Elle m’expliqua que l'on venait de retrouver Clio Arsenault inconsciente dans un des labos, plus étrange encore son corps semblait gelée comme si elle s’était perdue dans un cercle polaire.

Athénaïs était censée lui poser quelques questions aujourd’hui sur ce qu'elle avait trouvé dans les archives et l'hypothermie inexplicable de celle-ci ne rassurait pas ses instincts de détective.

L’idée que Clio soit passée aussi près de la mort, sans que personne ne puisse l'expliquer me plongea sans prévenir dans mes souvenirs.

J’ai toujours eu une bonne mémoire, mais cette soirée, plus que les autres, ne quittera probablement jamais de mon esprit.

Il faisait nuit noire dehors, une nuit si sombre, que même la lumière électrique ne pouvait la transpercer, la lune s'était glissé derrière les nuages entraînant toutes les étoiles dans son sillage.

Je me souviens encore du parfum de ses cheveux contre mon visage lorsqu’on dansait et je sens encore ses doigts contre mon poignet lorsqu’elle avait peur. Je revois ses yeux effrayés avant chaque concert, sa voix puissante et mélancolique me hante encore chaque nuit.

Ce jour-là, on était seule au monde juste nous trois faces à l'univers.

Comme souvent, on errerait dans les rues en pleine nuit pour échauffer nos voix et réchauffer nos cœurs. Aussi loin que je me souvienne Nina avait toujours été là, elle nous connaissait jusqu’au bout des doigts. On avait tout vécue ensemble, on avait appris à lire, écrire, compter ensemble, elle était là pour mon premier cours de chant, mon premier fauteuil roulant. Elle avait été la première amie de William et elle avait été la première fermée ses yeux pour l'éternité .

Ce soir-là, on avait chanté des heures durant sans nous distinguer dans le noir, nous étions heureux de connaître notre insignifiance, heureux d’abandonner chaque soir, nos combats, nos peurs et nos rêves pour être seulement tous les trois.

Je revois le banc dans la rue des amoureux où nous nous étions échoué pour parler d'avenir en faisant des ronds de fumée dans le froid. Nous n'étions personne, juste nous avec nos problèmes, nos petites fissures et nos grandes fiertés.

Et puis quand nos yeux nous ont brûlés, que nos jambes criaient fatigue et que ma tête avait échouée sur les genoux de William nous nous sommes quittés. Le sourire aux lèvres, la fatigue plein les yeux nous nous sommes dit "A demain" et nous ne l'avons jamais revue.

Ce matin, l'air est aussi glacial dans la salle de musique que pour chacune de nos répétitions d’antan, c'est horrible, mais cette froideur me rassure, tout n'a pas totalement disparu. Je ne suis pas revenue ici depuis sa mort et maintenant je me souviens pourquoi. Cette pièce est emplie de souvenirs, nos souvenirs depuis le premier jour de lycée où nous l'avions découverte et où nous avions commencé à chanter pour en tester la résonance au dernier où nous répétions le concert de fin d'année. Chaque mur est décoré d'un poster qu'elle aimait, chaque étagère porte une de ses étiquettes avec son écriture droite de bonne élève, chaque particule de l'air a déjà vibré au son de sa voix.

- Elle n'aurait pas voulu que tu arrêtes de chanter à cause d'elle, tu le sais me glissa William me voyant hésiter.

-Je ne sais pas si je peux encore.

- Tu le peux et tu le feras parce que c'est ton don, ta force. Et tu réussiras pour lui prouver que tu es toujours Maïa la gamine passionnée de chant qu'elle a connue.

William aussi a mal je le sais, je le sens. À sa manière de parler et de me tenir, je sais que lui aussi a envie de s’enfuir loin et de se mettre en boule dans un coin. Mais il n'est pas du genre à abandonner. Ce groupe s'était notre rêve des années durant, qui sommes-nous pour le briser en plein vol ?

- Tu as une idée lui demandais-je

-Il n'a rien précisé, un des musiciens de l'orchestre est venu me parler hier, je crois qu'il aimerait bien jouer un peu avec nous pour voir si ça colle. Il m'a dit que notre musique sincère lui parlait et que ça pourrait donner quelque chose de cool.

Je souris malgré moi, notre musique était sincère, il n'y avait aucun doute à ce propos nous jouions nos peurs, nos peines et nos joies à travers les mots des autres comme s'ils étaient les nôtres.

Il commence à jouer et les premières notes font remonter en moi des centaines de sensations, d'odeurs, de souvenirs. Les paroles s'échappent de mes lèvres naturellement et je me sens un peu soulagée, elle n'a pas disparu, elle est toujours là dans nos chansons

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