7. En cage

10 minutes de lecture

Les heures passèrent.

Ou bien étais-ce les jours ?

Je ne savais plus. J'avais perdu toute notion du temps, dans cette cellule humide et mal éclairée, avec pour seule compagnie mon angoisse à l'idée de ne pas réussir à m'infiltrer.

Je me demandais sérieusement pourquoi mon père m'avait confié cette mission à moi et non à un espion expérimenté, quoique mon expérience de la Cour me laissait quand même quelques notions dans ce domaine.

La réponse me parvint aisément. Les espions étaient recrutés enfant parmi le peuple ou les branches secondaires des familles nobles. Ils étaient doués, certainement plus que moi, mais aucun n'avait mon poids. Aucun ne pouvait représenter aussi bien que moi l'évolution, le changement. Aucun ne pouvait renvoyer l'image de la royauté prête à prendre les armes.

Aucun n'avait la portée symbolique que ma personne donnait à ce geste. La princesse qui se met en danger. La princesse qui délivre son peuple.

Ils avaient besoin d'une figure charismatique, autre qu'une fille ayant fuit la noblesse, autre qu'un garçon Supplicié… Ils avaient besoin d'une princesse. D'une future Reine. Ils avaient besoin de croire que leur geste avait atteint jusqu’à la famille royale, que nous nous sentions en danger, que j'avais rallié leurs idéaux. Et qu'après tout cela, je pourrais les diriger. En pensant me connaître, ils me feraient confiance, et auraient foi en le Reine que je serais.

J'avais prétendu être tombée sur eux par hasard, en cherchant un refuge. Et je devrais prétendre vouloir combiner les forces de toutes les guildes de rebelles, de toutes les forces d'oppositions et de tous les groupes de dissidents, pour que mon père les cueilles au creux de sa main au même instant.

Un coup fatal. Un seul.

Du bruit dans le couloir m'indiqua que quelqu'un s'approchait. Je levais les yeux, affalée sur mon lit de fortune. C'était un homme, dont le visage était couvert d'un foulard noir, un plateau repas à la main. Il le fit glisser sous la grille avant de s'en aller en emportant le précédent.

Si je me fiais au rythme de son passage - deux fois par jour - j'étais dans cette cellule depuis quatre jours. Mais si il ne passait qu'une fois par jours, puisque le temps semblait être altéré, alors ceux-ci étaient multipliés.

Je soupirais en allant chercher le plateau.

Il n'y avait aucune lumière naturelle ici, aucun bruit. Rien permettant de savoir l'heure. Et je m'ennuyais ferme.

Le repas se constituait uniquement d'une sorte de porridge très fade, d'un verre d'eau et d'une pomme. J'aurais cru que des rebelles terrorisant mon pays et volant les ressources des honnêtes gens auraient des mets légèrement plus distingués.

Ou bien ces repas à peine mangeables étaient-ils réservés uniquement à leurs prisonniers.

Je mangeais en silence avant de m'allonger sur ma paillasse et de fermer les yeux.

Un bruit me réveilla. Des ordres.

Lancés par une voix masculine, aussi tranchante d'une lame.

Une touffe de cheveux blancs passa en trombe devant ma cellule, tenant par le bras un homme, habillé en uniforme rouge et blanc. Un soldat de l'armée royale.

Il l'enferma dans une cellule au bout du couloir. Quand il repassa devant mon cachot, il pilla net.

Ses yeux d'émeraude s'agrandirent et ses sourcils se froncèrent.

- Atal…

- Ce n'est pas elle, l'interrompit brusquement une voix féminine.

June O'Brien.

- Ce n'est pas elle Thomas, reprit elle en apparaissant à ses côtés. Elle, c'est Aurora.

L'incrédulité de Thomas Walker se mua en un maelstrom de rage et de dégoût.

- Aurora De Ciaran, cracha-t-il. J'espère que ta cellule est confortable, parce que tu vas y rester un long moment.

Je déglutis. Il se détourna et quitta le couloir à grandes enjambées, sans un regard en arrière.

Quand le bruit de ses pas s'évanouit, je demandais à June :

- Depuis combien de temps suis-je ici ?

- Cinq jours. Et tu y resteras encore.

Et elle m'abandonna.

J'arrêtais de compter les jours. J'arrêtais de compter les fois où June me rendais visite, avec quelques gardes aux visages camouflés sur leurs visages.

J'arrêtais de compter le nombre de questions qu'elle me posait, sur ma vie au palais, sur mon rôle et ma nomination d'Héritière où encore les mesures politiques de mon père.

Je faisais de mon mieux pour paraitre convaincante, cachant mon dégoût des rebelles sous une conviction profonde des abus que faisait le gouvernement de Ciaran.

C'est un soir - ou un matin peut-être - que Thomas Walker vint me rendre visite. June n'était pas avec lui. Il n'était jamais venu, June avait toujours pris la responsabilité des interrogatoires.

- Je l'ai lu. Tu as une très belle plume, digne d'une princesse, moqua-t-il, pourtant, c'est trop bien écrit.

Il brandit mon journal. Je déglutis, et feint d'être blessée.

- C'est un journal. C'est personnel, répliquais-je en insistant bien. Ce n'est pas fait pour être lu, alors je pense avoir le droit d'écrire comme je le souhaite.

- Pourquoi un journal ? Tu aurais-pu être découverte. Il aurait pu tomber entre les mains de n'importe qui au palais et la sentence pour trahison…

- Est la mort, je le sais bien, dis-je en réfléchissant à une réponse. Cependant, je suis la princesse de Ciaran. Il n'y a que ma suivante qui est autorisée à accéder à mes appartements, et elle est la seule personne au palais en qui j'ai confiance. De plus, j'ai un tiroir à double fond sur mon bureau, personne ne l'a jamais vu.

Il ricana.

- Ou bien tu souhaitais qu'on le lise.

Une goutte de sueur froide glissa sur mon dos.

- Ne te leurres pas, Aurora de Ciaran, dit-il en s'accoudant au barreaux. Tu n'es pas l'une des nôtres. Personne ne te fais confiance, parce que ton histoire est trop parfaite : la jeune princesse modèle, qui s'enfuit le lendemain de son anniversaire et de sa nomination au titre d'Héritière… et surprise !, en réalité elle était contre son père depuis le début.

Il se mit à rire.

- Et quand bien même ce serait vrai ? Que feras-tu. Tu n'avais pas de plan, à ce que j'ai compris. Tu ne cherchais personne en particulier ? Alors comment es-tu tombée sur nous ?

Je haussais les épaules. "Un coup de chance".

- Tu te fous de moi ? Tu crois que nous ne savons pas qu'ils ont des fiches sur nous, que nos visages sont placardés sur tous les murs du royaumes, et qu'ils ne savent pas où nous nous terrons ?

Il leva les yeux au ciel en ricanant.

Je souris.

- Peut-être qu'en effet, j'ai volé des documents dans le bureau de mon père, que j'ai vu les zones approximatives où le gouvernement pense que vous vous cachez et que j'ai tout simplement suivi le chemin. Peut-être était-ce un coup de chance de tomber sur vous tout de suite, mais je te rappelle que ce sont tes hommes qui m'ont ammenée ici. J'aurais pu continuer ma route, rencontrer d'autres groupes de rebelles, m'allier avec n'importe qui tant que j'ai la garantie que mon père chutera de son trône.

Il me fixa, un sourire mauvais accroché aux lèvres.

- Crois-moi, petite princesse, nous sommes bien plus forts que vous ne le pensez, dans ta tour d'ivoire. Nous paraissons faibles à vos yeux, mais c'est uniquement pour mieux vous faire tomber. Nous n'avons pas besoin de toi pour détruire ton père et encore moins pour nous diriger.

Il reprit en soupirant : " nous n'avons cependant trouvé aucun émetteur dans tes bagages, uniquement des choses utiles pour un voyage, des vivres, des armes, et ainsi de suite, rien d'électronique, rien permettant de communiquer avec le palais. Ton histoire semble plausible, mais personne n'est disposé à la croire pour le moment. "

- Alors libérez-moi, et permettez-moi de gagner votre confiance, ou laissez-moi m'en aller. J'irais chercher de l'aide ailleurs.

Il reprit, un sourire mauvais accroché aux lèvres.

- Et perdre un potentiel moyen de pression ? Certainement pas, princesse. Tu resteras ici tant que nous n'aurons pas décidé de ton sort.

- Alors je ne suis qu'une otage, demandais-je en me rapprochant des barreaux. Moi qui cherche à aider mon peuple, je me retrouve enfermée par lui.

- Tu n'as pas de peuple. Tu n'es qu'une petite princesse sans couronne, sans royaume et sans légitimité. Ta dynastie est déjà morte, Aurora De Ciaran. Et d'ici à ce qu'on l'enterre, tu resteras ici.

" Estimes-toi heureuse, la paille de ces cachots est bien plus confortable que le sol des cellules des Suppliciés", lança-t-il en s'éloignant, mon journal à la main.

Je ne revis ni June, ni Thomas durant les jours qui suivirent.

Je ne pouvais m'empêcher de penser à ce que mon père penserait en me voyant croupir ici, ne parvenant pas à gagner la confiance de gens qui ne demandent qu'à avoir des personnes de poids dans leur organisation.

Serait-il déçu ?

Serait-il en colère ?

Me destituerait-il de mon titre fraîchement acquis ?

Enverrait-il Annie me seconder ou m'abandonnerait-il à mon sort, parmi ces traitres ?

Je ricanais. "Rester enfermée ici te fait perdre la tête, ma belle", murmurais-je.

Le garde enfermé à quelques cellules de moi avait longuement été interrogé également, mais je supposais qu'il n'avait pas été torturé. Je n'avais pas entendu de cris, et les bribes de conversation que j'avais saisi m'avaient juste appris que le Roi avait bel et bien lancé des avis de recherche dans tous le royaume et des patrouilles avaient été mises en place dans les grandes villes.

La mascarade allait si loin pour ce plan. Et ce n'étaient que les premières mesures.

Ce n'est qu'un jour où je m'ennuyais ferme, tressant des brins de paille qui, à cause de l'humidité ambiante avaient commencé à moisir, en une couronne dorée, que Thomas et un homme à la peau halée ouvrirent la porte de ma cellule.

L'homme tenait un sac dans ses mains. Un sac noir.

Thomas ricana.

- On va en balade, Vôtre Altesse.

Je déglutis. Quelle genre de balade impliquait ce sac ?

- Oh, tu t'es fait une couronne ? Tu n'en as pas assez dans les doubles-fonds de tes tiroirs ?

Je bougonnais une insulte.

- Où m'emmènes-tu, demandais-je en éludant sa pique.

- Tu verras bien. Donne tes mains.

Je les gardais le long du corps. Avec un soupir, il saisit mes mains avec brutalité, et noua un lien en plastique autour d'elles. Je le regardais, excédée.

- C'est une blague ?

Il me lança un sourire mauvais. "Ce serait dommage de te faire passer pour quelqu'un de libre alors que tu ne l'es pas".

Et le sac s'abattit sur mon visage, me bloquant la vue.

Thomas m'attrapa par le bras, le froid de sa main s'insérant dans la toile de ma chemise, glaçant ma peau.

Sa poigne était ferme, brusque.

- Tu me fais mal, grommelais-je.

Il serra plus fort. Non, mais sérieusement ?

Il m'entraina, me faisant faire des tours et des détours, ce qui était parfaitement inutile, je m'étais perdue dès la sortie du couloir.

De temps à autres je percevais la rumeur d'une foule, de familles, des rires d'enfants, des voix sifflant joyeusement un refrain ou d'autres vociférant des ordres…

Des familles…

Des enfants…

Des rires…

Des mélodies…

Ma lèvre tremblait sous la cagoule. Comment des enfants avaient-ils pu être embrigadés dans cette révolte ? Comment ces individus pouvaient-ils chanter alors qu'ils enfreignaient les lois royales ?

Peut-être avaient-ils simplement été abusés par June O'Brien et Thomas Walker.

Thomas me tira par le bras et les voix s'évanouirent. Nous arrivâmes dans une partie de la base rebelle où l'air ambiant était plus froid, mais sans aucuns courants d'air.

Comme une sorte de salle hermétique, qui sentait le renfermé. Aucun bruit ne me parvenait, si ce n'était le souffle léger de quelques respirations.

Thomas retira brusquement ma capuche.

La lumière crue m'éblouit les yeux.

Devant moi, six hommes et femmes étaient réunis, assis autour d'une table ronde, dans une petite salle aux murs souillés de moisissure. Tous me fixaient.

Seuls June et Thomas avaient le visage découvert, les autres se cachant sous de vulgaires foulards noirs.

Six personnes. June siégeait au centre, Thomas sur sa gauche. La place à sa droite était vide. Personne n'était en retard cependant. L'homme qui s'asseyait encore il y a peu à la droite de la fille aux cheveux d'eau reposait désormais six pieds sous terre.

Je restait debout. Ils étaient armés, ce qui était bien inutile au vu de mes intentions. De plus, le gros bras de tout à l'heure attendait sagement derrière la porte, comme un bon chien de garde, et j'avais toujours les mains liées.

Je levais les yeux. J'avais l'impression d'être de nouveau dans la salle du Conseil, minuscule sous le regard implacable des Chefs de Clans.

Cette fois, c'était ces renégats - cette vermine qui asservissait mon peuple - qui me regardaient de haut, me jugeant moi, Aurora de Ciaran, Héritière de la Couronne et leur Princesse, leur future Reine, comme étant la menace qui planait sur ce royaume.

Je riais intérieurement. Je les voyais déjà en juges populaires, annonçant l'unique sentence qu'ils exigent pour tous nos "crimes" : la mort. Quelle sorte de mort me réserveraient-ils ?

Le billot, le bûcher ou bien la potence ?

Quelle mort réserverait-on à une Princesse de sang royal, qui n'avais de cesse de vouloir préserver son peuple, mais qui sera finalement condamnée par lui ?

June mit fin à mes divagations.

- Aurora de Ciaran, ici et maintenant nous déciderons si nous tu es digne de te voir accorder une période d'essai ou si tu restera notre otage jusqu’à ce que nous réduisions ta petite monarchie en cendre.

- J'espère que tu es prête, Princesse, ricana Thomas. La mort n'est jamais loin de ceux qui s'aventurent dans l'antre du dragon.

J'esquissais un sourire, en pure provocation.

J'étais prête.

Pour le salut de mon royaume, pour mon devoir envers ma Couronne et pour la gloire de mon père, je réussirais.

Je tuerais tous ces traites.

Annotations

Vous aimez lire skye-nightshade ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0