La mère d'Aruna
Sur le champ de bataille rose de la planète Aruna, tandis que les armées se faisaient face, un groupe armé tentait de prendre l'ennemi à revers. Douze hommes avançaient lentement sous la conduite de leur sergent. Seul une œil expérimenté aurait pu déceler leur présence, masquée par leurs combinaisons furtives. Un œil ou peut-être une oreille ; un soldat reprenant son souffle, le raclement d’une botte sur un rocher. Ils ne parlaient pas. Peut-être pensaient-ils à cette guerre, pour une mine de métaux rares située sur un monde perdu, loin des routes galactiques. Peut-être restaient-ils simplement concentrés sur leur approche, c’est ce qu’on attend de professionnels.
Inconscient de leur présence ou indifférent, un animal autochtone s’invita dans la scène ; un bébé Koujdou reconnaissable à son allure vaguement humanoïde, son pelage violet profond et surtout à son adorable bouille de chiot joufflu qui faisait le buzz aux actualités.
En dépit de son allure de peluche, son arrivée ne plut pas du tout au sergent. Plus haute qu'un homme et cinq fois plus lourde, la bestiole représentait un danger certain et pas seulement par elle-même.
Le sergent se figea, sitôt imité pour ses hommes qui distinguaient sa silhouette au travers de leurs visières. Pas d’autre moyen que d’attendre que le « petit » ne s’éloigne de sa propre initiative. Alors que chacun retenait son souffle, un appel retentît dans le lointain, un grondement profond si grave qu’il résonnait jusque dans les os. La situation venait soudain de se tendre, un adulte appelait l’enfant. Le sergent observait l’animal, espérant qu’il rejoigne enfin ses parents, mais celui-ci titubait en émettant des jappements plaintifs. Il tentait de fuir la zone avec la grâce d’un éléphant ivre.
A ses plaintes, des hurlements saturés de basses répondirent.
Brisant le silence, le sergent hurla un ordre que personne n'entendit. Sa voix fut couverte par un grondement assourdissant. La terre s'était mise à trembler. Chacun tentait de s’échapper dans un chaos de roches retournées. Mis courant, mi rampant; valdingant sous les coups de corde du sol, le sergent parvint à agripper l'antenne du champ de stase. Les ondes de force se deployèrent dans un vloup inaudible. Immédiatement il se sentit entouré par la mélasse protectrice, comme si l'air en s'épaississant l’engluait, ralentissant ses mouvements à l’extrême. A cet instant précis la masse considérable d'un pied de Koujdou adulte vient l'écraser.
S'adaptant immédiatement, la stase qui l'entourait, lui et quelques hommes, fût éjectée tel un savon glissant sous un pied imprudent.
La chute fût rude, la stase glissa dans le ravin.
Il perdit connaissance et son corps coula lentement au fond du champ.
Lorsqu'il revint à lui, la stase était désactivée et les secours s’affairaient. Son lieutenant lui annonça 5 morts dans son escouade.
– Vos hommes ont tous été éjectés dans le ravin. Ainsi que vous-mêmes d'ailleurs. Quelques-uns ont été protégés par la stase. La bataille tourne à l’avantage de l’ennemi !
– Sa voix sonnait lasse et agacée.
– Des blessés ? râla le sergent, épuisé.
– Aucun, cinq morts, c'est le problème... Qu'étiez-vous en train de faire au milieu d'une Horde de Koujdous sauvages ?
Le pauvre sergent, seulement inquiet du sort de ses hommes, manqua de s'étouffer sur son lit de camp.
– Un de vos hommes est toujours sur place, je vais aller le chercher. Je vous laisse, mais préparez-vous à des sanctions.
– Qui ?
– Le rescapé ? Tabort.
Tabort, un jeune gaillard vif d'allure, agitait les bras, à mi-pente. Il eut une réaction inattendue en voyant le lieutenant le hêler à son tour. Alors qu’il avait entrepris la descente de la pente, adoucie par les éboulis, il stoppa net et entreprit d'escalader le ravin. Il paraissait parfaitement indemne et bien décidé à mener ses affaires.
Il s'assurait des prises faciles le long des lourds rochers et progressait rapidement.
Tandis que son supérieur l’appelait, il redoublait d’efforts pour s’en éloigner.
– Où était-il le lieut. quand ça bardait ? pesta-t-il.
Indifférent, il reprit sa progression.
– Mais qu'a t-il en tête ce crétin ? se demanda le lieutenant. Est-ce qu'il s'enfuit ?
Il se mit à escalader, à son tour, la falaise.
Dans son dos quelques ordres furent donnés, qu'il n'entendit pas.
En haut, Tabort venait de retrouver l'animal. Celui-ci gisait sur le flanc. Il haletait. Son buste se soulevait douloureusement. Sa mère gigantesque, genoux à terre, le veillait.
Il s'avança, le dos courbé, humblement, mais sans peur. La bête le surplombait. Il entra dans son ombre.
Le petit gémissait encore faiblement. Un sang mauve s'écoulait de sa fourrure et formait une flaque sur la pierre.
Il a reçu une balle ! Je m'en doutais.
Il ne savait pas pourquoi il le savait, une sorte d’instinct acquis à force de cotoyer la mort, peut-être ?
Il posa la main sur l'épaule de l'animal. La mère gronda, mais s'apaisa. La balle était ressortie. Le trou était typique d'une arme de sniper.
Le lieut. est tireur d'élite. Tirer sur le petit ... Mais pourquoi ? Oh, je sais. songea-t-il.
Il défit son foulard et s'en servit de compresse.
C'est ce moment que choisit le lieutenant pour faire son apparition. Il pointait son fusil sur Tabort.
– Je te retrouve, sale fouineur ! Dit-il.
– J'espère qu'ils vous ont bien payés, cracha Tabort, écoeuré.
– Puisque tu connais mon petit secret, tu vas l'emporter dans ta tombe ! Un de plus, un de moins, quelle importance !
Un léger vrombissement se fit entendre. Un drone militaire filmait la scène. La voix du général retentit, sortant de l'appareil.
Lieutenant Morel, vous êtes en état d'arrestation. Veuillez lâcher votre arme !
Le lieutenant eut un moment de flottement. Le visage figé dans un rictus d’effroi, les yeux ronds, il balançait entre sa vie d’avant et une nouvelle donne qu’il ne parvenait pas à accepter.
Alors la mère avança son bras interminable et se saisit de lui. Dans la panique il laissa échapper son arme, devenue dérisoire. D'un mouvement de balancier implacable la bête colossale le projeta dans les airs. Puis après un dernier regard indéchiffrable pour le soldat, elle ramassa délicatement son petit et s'éloigna pesamment.
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