Les jours qui ont suivi, seuls quelques messages plutôt laconiques de sa part ont fait office de nouvelles.

“ Oui je sais ce que j’ai… Mais je peux pas t’en parler…”

“ Tu ne peux pas, ou tu ne veux pas?”

“ No comment…”

“ Caro, je t’aime, j’ai le droit de savoir, j’ai besoin de savoir… Et de te voir aussi accessoirement…”

“ Je t’aime aussi…”

Ses réponses sont brèves, monotones, je ne sais pas de quel mal elle souffre et surtout je ne sais pas pourquoi elle refuse de me répondre quand je l’appelle, ou que je vienne la voir. Mais il me reste une solution, cette solution c’est Ingrid, c’'est sa meilleure amie, elles se connaissent depuis des années, elle devrait savoir, elle…

- Ingrid? T’as des nouvelles de Caro?

- Et toi?

- Rien… Enfin quelques messages… Elle refuse que je vienne la voir… Elle répond plus au téléphone…

- Pareil… On a croisé ses parents hier, ils ont fait semblant de pas nous voir et ont fait demi-tour presque en courant…

- Putain mais il se passe quoi? J’ai besoin de savoir, ça fait une semaine que ça dure, qu’elle a disparu de la circulation…

- Je vois pas comment… Y’a toujours quelqu’un chez elle, soit son père soit sa mère…

- Et Alex? il doit pouvoir nous dire…

- Ouais, si ses parents ne lui ont pas imposé le silence, mais j’y crois pas trop…

- Appelle-le… Je t’en supplie…

- Là? Maintenant?

- Ingrid!!!

- OK… Salut Alex, c’est Ingrid… On a plus de nouvelles de ta sœur depuis une semaine… T’en as?... Sérieux?... Tu me fais ça à moi?... Tu veux vraiment rien dire?... Elle est en vie au moins?... Si tu la vois, dis-lui de nous appeler, Justin deviens fou… Ouais c’est ça… Salut!!!

- Alors?

- Il veut rien dire… Ordre de ses parents… Fait chier!!!

Je n’ai plus aucun autre moyen de la contacter discrètement ou d’avoir de ses nouvelles, sauf aller directement voir ses parents, Ingrid me l’avait fortement déconseillé, mais j’ai l’impression que personne ne se rend compte de l'immense désespoir qui m’étreint.

J’ai tout de même attendu encore une bonne semaine, supporté le vide, l’inquiétude, la solitude, me contentant de quelques messages brefs et impersonnels, comme si ce n’était plus vraiment elle qui me répondait, pour finalement tenter le tout pour le tout.

J’ai débarqué chez elle le mercredi à la place de notre séance de sport, en tout début d'après-midi, tambourinant comme une sourd à la porte jusqu'à ce que quelqu’un daigne venir m’ouvrir… J’aurais dû écouter Ingrid…

- Qu’est ce que tu fout là? Tu veux quoi?

- Caro!

- Tu lui a suffisamment fait de mal!

- De quoi? Quel mal? De quoi vous parlez?

- Dégage d’ici, on veut plus te voir! Et elle non plus!

- CARO!!!!! MA PUCE!!!! EXPLIQUE-MOI!!! JE T'EN SUPPLIE!!!!

- Hervé !!!! Viens ici, je m’occupe d’appeler les flics…

- C’est bon je gère…

- Mr Fournier, je vous en supplie, expliquez-moi… Laissez moi la voir… Je veux comprendre…

- Y’a rien a comprendre Justin… T’as gâché nos vies, celle de ma fille aussi… Vas-t-en vite, avant que ça se termine mal… Et n’essaye plus de la contacter… On a récupéré son téléphone et on surveille toutes ses communications.

- LAISSEZ-MOI LA VOIR!!! OU C’EST MOI QUI VAIS CHEZ LES FLICS!!!

- Justin, je te le dis une dernière fois calmement, rentre chez toi, laisse-la, laisse-nous tranquille et ne cherche plus à la recontacter… C’est fini, c’est comme ça et c’est tout… Faudra l’accepter et t’y faire…

Je suis resté stupéfait par son calme, alors qu’il me semblait le plus à même de piquer une crise, à l’inverse de sa femme. Je n’ose pas bouger, je ne veux pas bouger, je garde l’espoir de l'apercevoir, même une seconde, savoir qu’elle est en bonne santé, en vie…

C’est ici, recroquevillé devant cette porte, en pleurs, que je passe plusieurs minutes avant qu’Ingrid ne débarque.

- Justin. Viens avec moi, faut qu’on parle…

- Qu’est ce que tu fous là? Laisse-moi!!!

- Non, viens s’il te plait… Je sais que c’est dur… Pour moi aussi… Mais tu dois venir avec moi…

- CAROOO!!!

- Ta gueule ou tu vas finir chez les flics pour de bon!!! De toute façon elle est plus là… Viens ici maintenant…

- CAROOOOO T’ES OU????

- Viens avec moi, je t’expliquerai ce qu’on a bien voulu me dire…

- T’as de ses nouvelles? Par qui? Elle est où?

- Ferme-la maintenant et suis-moi…

Sans attendre ma réponse, elle m’a tiré par la manche, m’obligeant à me relever et à la suivre.

- Tu sais quoi? Elle est où? Il se passe- quoi?

- Je sais pas grand chose. Ses parent l’ont envoyé chez des proches, pour qu’elle se soigne, j’en sais pas plus.

- Tu parles… Ils ont dit que c’était de ma faute, que j’avais gâché leurs vies, que je lui avait fait du mal…

- C’est des conneries et tu le sais très bien… Ils sont juste paniqués à mon avis… Ils ont paré à l'urgence pour la remettre sur pieds le plus vite possible… Sans penser forcément à nous…

- Honnêtement j’y crois pas… Ça fait plus de huit mois qu’on sort ensemble, que je suis là, près d’elle, un an et demi qu’on est potes, qu’on s'entraîne ensemble, ils ont pas le droit de me l’enlever comme ça, sans donner de nouvelles… Je veux savoir…

- Laisse tomber… Je sais pas ce qu’elle à, je sais pas où elle est, mais je crois que tu dois leur faire confiance… Laisse leur le temps de digérer le truc, de se réorganiser, et dès qu’elle ira mieux, elle reviendra… Crois en elle, Justin…

- Comment tu fais? Je veux dire, pour ne pas t'écrouler? Pour garder l'espoir?

- Je suis comme ça… J’y peux rien… Ça me fait mal, autant qu'à toi, mais j’espère… Ça me permet de tenir… Allez, rentre chez toi maintenant…

Je l’ai remercié du bout des lèvres, j’ai pris le dernier bus de la journée pour rentrer chez moi, sans un mot, et j’ai plongé sous les draps pour pleurer toutes les larmes de mon corps.

Je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont décidé de me l’enlever tout à coup, j’ai mal, je me sens vide, seul comme jamais je ne l’avais été, sans vie.