C'est à Rennes-le-Château le lendemain que tout a de nouveau basculé. Grisés par les trois nuits que nous venons de partager, libérés par la fatigue, nos sentiments ont pris le pas sur nos raisons et au cours de cette journée, au bout du chemin de ronde qui contourne le village et arrive près de la tour Magdala, nous nous sommes jetés à l'eau, profitant de la beauté de la plaine qui s'étendait à nos pieds, pris dans notre silencieuse contemplation du paysage.

- Juss ?

- Mmm.

- A quoi tu penses ?

- A rien.

- Comme d’hab…

- Connasse.

- Sérieusement, à quoi tu penses ?

- Que t’es tellement envahissante depuis une semaine que j’ai oublié ce que je devais oublier en venant ici avec toi… Et toi ? À quoi tu penses ?

- A nous…

Sa réponse m’a surpris et ma réaction aurait dû en faire de même quand je me suis brusquement écarté pour me plonger dans son regard, pour essayer de comprendre le sens de sa phrase, mais elle a été plus prompte que moi en venant coller ses lèvres contre les miennes. Un court baiser, pudique, mais lourd de sens. J’en suis resté KO debout, ne sachant pas comment interpréter ce geste alors que cela aurait dû me paraître évident.

Nos regards se sont plongés l’un dans l’autre, nos lèvres se sont de nouveau jointes, tendrement, simplement dans un baiser encore chaste mais plein d'intentions, puis elles se sont entrouvertes, comme mues par la même envie, le même élan et pour la première fois depuis tant d’années, nos langues se sont retrouvées, elles ont joué délicatement ensemble, tout en se redécouvrant.

Une vague de bien-être m’a envahi, je retrouvais enfin la douce sensation que provoque le baiser d’une fille, d’autant plus dans ces circonstances, après une année pourrie, après une semaine de rêve, devant un paysage fabuleux, avec celle qui restait mon premier amour et pour qui brûlait encore cette petite flamme qui se ravivait au fil du temps.

- Juju… Pourquoi?

- Je sais pas… J’ai répondu… Et toi? Pourquoi?

- C’est toi… C’est nous… Ça te suffit pas comme explication?

- Si… Mais… Après? On fera comment?

- Chut… Je m’en fous de plus tard, je m’en fous de l’avenir, j’ai juste envie de profiter du moment, de ces moments avec toi, maintenant…

- Merci, Clems. T'imagines pas ce que ça me fait d’entendre ça…

- Oh que si, j'imagine et j'en ai des frissons…

- Alors, pourquoi on a attendu aussi longtemps?

- Je pourrais te retourner la question…

- J’en sais rien, peut-être que c’est juste le bon moment… Je crois… Et je m’en fous de demain…

Avant de reprendre notre visite main dans la main vers le cœur du village, ici, sur le chemin de ronde, au pied de la tour Magdala, j'ai embrassé encore une fois, du regard, la plaine du Razès, pris une grande inspiration, et j'ai rêvé…

J'ai rêvé d’avoir enfin trouvé la femme de ma vie, celle avec qui je serais vraiment heureux, qui me comprend et que je comprends, j'ai rêvé de construire ma vie avec elle et je l'ai serrée contre moi, si fort que j'ai senti son corps trembler sous la puissance des frissons qui me parcourent l'échine.

Une nouvelle fois nos yeux se sont rencontrés, nos bouches se sont soudées dans un baiser tendre et fougueux.

- Putain que ça fait du bien…

- C’est drôle quand même, qu’on se retrouve après tout ça, comme au premier jour…

- Ou presque…

- Pardon ???

- Ben ouais, c'est plus comme au premier jour, on se connait par cœur maintenant, on a fait le tour de la question, on a plus rien à découvrir l'un sur l'autre…

- Juss… Ferme ta gueule, et profite…

Nous avons continué à admirer les environs, enlacés, plongés dans le paysage, perdus dans nos pensées, pendant plusieurs minutes.

Cette dernière journée de notre voyage commençait de façon magnifique, j’avais rêvé de ce moment, surtout ces dernières semaines, de ce moment où, après tant d’années nous allions enfin nous retrouver, de ce moment où, malgré l’avenir incertain, nous allions décider d’essayer de construire quelque chose tous les deux.

La suite de cette journée est parfaite, visitant main dans la main ce charmant petit village dont l’histoire tourne principalement autour de l’abbé Bérenger Saunière, modeste curé de campagne qui a transformé en profondeur cette petite bourgade, pendant la période charnière entre le dix-neuvième et le vingtième siècle.

La source des fonds, à l'origine de l'investissement colossal réalisé pour l’embellissement de l'église et de ses alentours, reste encore aujourd’hui un mystère. Héritage caché, dons anonymes, pillage de tombes, trafic de messes, découverte d’un trésor historique toutes les hypothèses, même les plus folles ont été évoquées sans jamais trouver d’explication à cette soudaine fortune.

Toujours est-il que grâce à ce modeste curé, notre journée se trouve être très agréable et intéressante, rythmée par les découvertes des différents monuments qu’il a fait ériger pendant son ministère à Rennes. La tour Magdala, la villa Bethania et ses jardins, l’église Sainte Marie-Madeleine et son bénitier écrasant une reproduction effrayante du diable, le cimetière, tous les monuments et lieux de ce village méritent le détour, tout comme le château des Hautpoul, que notre hôtesse nous laisse explorer à notre guise en début d’après-midi avant que son mari ne nous conduise à Carcassonne où nous prenons le train du retour.

- Alors? Heureux de cette semaine mon Juju?

- Je crois que ça se voit, non? En fait, surtout de notre dernière journée ici… T’as vraiment eu une idée géniale et j’ai envie de recommencer…

- Moi aussi… L’année prochaine on remet ça?

- Avec plaisir, mais cette fois, on tente les châteaux de la Loire?

- Pourquoi pas, ou la Bretagne, ou l'Auvergne ? On s’organisera mieux que cette année… Mais avant…

- Neuf mois de cours… Mon Bac pour bien commencer… Mon BAFA et mon permis aussi…

- Et nous deux…

- Clems… On laisse venir… J’ai pas envie qu’on se précipite, qu’on planifie quoi que ce soit, au moins pendant le mois à venir… Tant que je ne sais pas dans quelle fac je vais être accepté.… D’ailleurs, je vais les appeler dès lundi… Le temps de reprendre mes marques demain…

- Désolée… Je me laisse emporter… Mais je crois que j’avais envie de ces retrouvailles… Depuis longtemps, sauf que je ne voulais pas l’admettre… Merci Justin… Merci de ne pas avoir oublié… D’avoir continué à t'accrocher à la vie, à moi, d’avoir remis le sujet régulièrement sur le tapis, même en plaisantant…

- De retour on fait comment avec nos parents? Tu te sens de tout balancer ce soir?

- Pas vraiment, je veux qu’on prenne un peu notre temps… Le mieux, c’est qu’on reste discret encore quelques jours, ce soir tu viens squatter à la maison, on prétextera la mise à jour de la page, le tri des photos… Ça passera… Qu’on profite au moins de cette nuit… Après on verra…

- Pas de soucis pour moi, mais mes parents vont faire la gueule, n’oublie pas que ça fait une semaine que je leur ai pas parlé…

- Ben si tu préfères, on squatte chez toi alors… Et demain on rejoint ma mère au marché, on se boit notre petit café, comme d’hab… Après on improvisera…

- Ok… Je les appelle vite fait alors. A tout de suite ma puce…

Je dépose un rapide baiser sur ses lèvres et rejoint le couloir du wagon pour appeler ma mère.

- Ah! Monsieur Justin est de retour à la civilisation…

- Coucou m’man! Comment tu vas?

- Contente de t’entendre enfin… Et soulagée de vous savoir sur le retour…

- Désolé… Mais j’avais besoin d’une bonne coupure, puis vous avez eu des nouvelles tous les jours par Clemsou et sur notre page…

- C’est pas pareil que de t’entendre. Alors cette semaine?

- Géniale… Des paysages magnifiques, des gens adorables, de belles rencontres… On vous racontera ça toute plus tard.

- On vous attendra vers la gare, rappelle-moi quand vous arrivez, on viendra à la dépose minute…

- Ok, au fait, Clems dort à la maison ce soir, on doit rédiger l’article final pour la page et trier toutes les photos de la semaine aussi…

- Je prépare le canapé de la salle de jeux ou celui dans ta chambre?

- Non, pas la peine… Heu oui, pardon, celui de la salle de jeux, si tu as le temps, sinon, on dépliera le clic clac dans ma chambre, Clems a son duvet…

- Et puis quoi encore? C’est fini les vacances…

- Ouais… Allez, à toute…

- A toute…