Nos rentrées des classes se passent plutôt bien, malgré l’inquiétude qui me ronge les premiers jours. Mais Clara semble bien s’intégrer au collège et se fait rapidement de nouveaux amis dans sa classe.

Depuis quelques semaines, elle a même choisi d’intégrer l’équipe d’athlétisme du collège et nous devinons rapidement que le plaisir du sport n’est pas sa seule motivation, lorsque nous la découvrons à gambader sur la piste en compagnie d’un jeune garçon un peu rond, aux longs cheveux bruns. D’un coup de coude dans les côtes, Clémence me taquine lorsqu’elle se rend compte que je ne les lâche plus des yeux, mais la situation, loin de m’inquiéter, me fait sourire tendrement, j’arrive à accepter que me petite fille grandit, avec une facilité déconcertante.

- Papaaaaaa!!! Viens vite!!!

- Princesse? Qu’est-ce qu'il se passe? Ouvre!

- NON! Appelle Maman… Ou Tata!!!

- Elles sont allées faire les courses pour Halloween.

- Justement…

- Pourquoi tu pleures?

- Tu les appelle et tu leur dis que les tomates sont cuites…

- Ok… J’ai compris… Tata range …

- C’est bon, je sais!!!

Je suis ému… Ma petite fille, ma princesse, mon bébé… Elle devient une jeune femme… Déjà…

“ Coucou les filles, message de la part de Clara: “les tomates sont cuites”. J’essaye de gérer jusqu’à votre retour…”

“ Caro vient de fondre en larmes… En plein milieu du magasin… Essaye de rassurer Clara si ça ne va pas, on a du paracétamol et des antispasmodiques dans l’armoire à pharmacie si besoin, on s’occupe du reste et on traine pas…”

- Princesse? Ça va?

- Pas trop mal… Tu peux me préparer une bouillotte?

- D’accord, je t’attends au salon. T’as besoin de rien d’autre?

- Ben… Si j’ai bien compris, on peut pas y faire grand chose, à part serrer les dents en attendant que ça passe…

- Ok, à tout de suite.

Dans le doute, j’accompagne la bouillotte d'une tasse de lait chaud dans laquelle je dilue une bonne cuillère de miel de châtaignier, je me prépare aussi une grande tasse de thé vert, que j’agrémente de quelques feuilles de menthe poivrée cueillies dans le jardin.

J’entends Clara arriver en soupirant et elle vient se blottir contre moi en posant la poche bien chaude sur son ventre.

- Tiens, bois tant que c’est chaud.

- Merci papa… Excuse-moi…

- De quoi?

- Ben tu t’inquiètes pas?

- Pas du tout… Je connais suffisamment maman et Tata pour savoir qu’elles ont fait ce qu’il fallait… Si la bouillotte ne suffit pas, on a des médocs et je sais que t’es courageuse… Non, je vois pas pourquoi je devrais m’inquiéter…

- Peut etre parce que maintenant tu va devoir supporter trois femmes à la maison!

- En tout cas je vois que t’as pas perdu ton sens de l’humour… Heureusement que Maëlou est là pour me soutenir… Mais d'où tu sors ça?

- Heu… Ben… Je…

- Je veux pas savoir, mais je veux que tu saches une chose: vous pouvez être aussi casse-pieds que vous voulez, je vous aime quand même. Surtout toi…

Tendrement elle est venue déposer un baiser sur ma joue, dans un geste encore enfantin mais pourtant très adulte, puis a terminé sa tasse avant de s’allonger confortablement, enroulée dans un plaid.

Lorsque les filles et Maël rentrent, Clara dort paisiblement à mes côtés, la tête sur un coussin posé sur mes cuisses, son doudou serré contre elle. La musique joue en fond et je suis plongé dans un nouveau roman historique sur les guerres des Camisards en caressant tendrement la longue chevelure ondulée de ma fille de temps en temps.

D’un geste je leur demande le plus grand silence, tellement heureux de profiter d’un de ces moments qui se font de plus en plus rare au fil du temps.

Clems monte coucher Maël dans sa chambre et Caro vient s’asseoir dans un fauteuil, à côté de moi.

- Merci, me murmure-t-elle pour ne pas réveiller la belle endormie, ça a été?

- Oui, vous aviez fait le plus gros du boulot avec Clems. J’ai rien eu à faire, à part la bouillotte et un peu de lait chaud…

- Et toi?

- Ça va, regarde. Je suis juste surpris, je m’attendais pas à çe que ça arrive sitôt… Pour moi, elle est toujours cette petite fille un peu perdue que j’ai vu débarquer en retard le jour de sa rentrée de CP…

- C’en est toujours une, ça ne change pas grand chose… Pour moi aussi ça a été assez précoce, alors je suis pas étonnée, c’est pour ça que j’ai préféré lui en parler.

- C’est un cap quand même? Tu le vis comment toi?

- Ca m’a émue sur le coup, comme tu le dis, c’est un cap, notre petite fille deviens une femme. Ça me fait bizarre de le dire… Notre bébé… J’essuie tendrement une larme qui roule sur sa joue lorsque Clémence nous rejoint.

- Ben alors vous deux, ça fait quoi d'être vieux tout à coup?

- Ben alors Clemence, ça te fait quoi de te taper un vieux?

- Super-Tata, arrête de te moquer de mes vieux!!!

- Ça va mieux princesse?

- Oui… Merci p’pa… Coucou m’man…

- Coucou ma chérie…

Nous laissons mère et fille discuter tranquillement pour aller ranger les provisions dans la cuisine, même si je garde un œil discret sur le canapé.

- Alors comme ça je suis vieux? Je lui lance cette pique, sur un ton de défi, en venant me glisser derrière elle, emprisonnant ses bras contre son corps pour la chatouiller tendrement.

- Ben si tu regardes bien, ta fille devient une jeune femme maintenant et bientôt tu devras veiller à ses fréquentations, les garçons, les sorties le soir… Me répond-elle en riant et en se tortillant pour s’échapper.

- Si elle tire de ses parents, j'ai pas beaucoup de soucis à me faire… A part si sa Tata y met son grain de sel… Je la laisse se retourner au creux de mes bras.

- Je vais me gêner tiens…

- T’as pas intérêt…

- Vu ce que j’ai vécu avec l’autre connard, je crois que c’est surtout moi qui vais flipper…

- Je m’en doute bien… Tu lui en a parlé?

- Non, pas vraiment, ni à Clacla, ni à Caro, mais un jour je le ferais.

- D’accord… Nous sommes interrompus par nos voisines.

- Excusez nous de vous déranger, on file… A demain. Merci Juss.

- Je t’en prie. Clara se détache de Caro pour venir m’embrasser.

- Merci Super-Papa… T’as été génial… A demain Super-Tata!

C’est à mon tour de m'occuper de notre crapaud, ce soir, pendant que Clems cuisine et après lui avoir donné son bain en musique, nous jouons quelques minutes avant l’heure du repas. Un bol de purée et une tétée plus tard, nous nous retrouvons tous les deux dans la douce lumière de sa chambre, je prends quelques minutes pour lui lire une histoire. Un ou deux paragraphes suffisent pour qu’il s’endorme, mais je reste toujours un peu plus longtemps, je continue à lui parler doucement, à le regarder dormir paisiblement, à écouter sa lente respiration avec une pointe de regrets de ne pas avoir connu ce genre de moment avec Clara.

Ce soir je réalise de nouveau l’importance de savoir profiter de chaque instant, de chaque moment avec lui, parce que le temps passe vite et qu’avant que je ne sois prêt, il sera un grand garçon, puis un jeune homme prêt à affronter la vie.

Il arrive que Clara revienne, après avoir terminé ses devoirs, pour nous accompagner lors de ce moment, rapidement nous avons compris à quel point cela est important pour elle et rassurant pour nous.

Elle a toujours été très proche de son petit frère depuis sa naissance et nous sommes ravis tous les trois de cette complicité, de voir le sourire de Maël lorsqu’il la voit ou l’entend, de ces moments qu’ils passent tous les deux à jouer, du temps qu’elle prend pour lui lire une histoire ou lui chanter des chansons.

- T’as été génial aujourd’hui…

- Comment tu le sais?

- En vous voyant tous les deux, sur le canapé, en voyant son sourire, sa façon de te regarder. En général, à cette période, on a plutôt tendance à s'enfermer dans notre chambre pour dormir et pleurer… Pas à rester blottie dans les bras de son père.

- J’ai juste fait ce que je pensais être le mieux, je le fais pas exprès d’être comme ça, c’est… Inné… Je crois… Si elle était partie s’enfermer dans sa chambre, j’aurais compris…

- C’est bien pour elle que tu sois aussi cool.

- Ouais… Mais j’appréhende le jour où ça dérapera, où je vais être obligé de la punir parce qu’elle aura fait une connerie ou qu’elle m’aura mal parlé…

- Je crois que ça n’arrivera jamais!!!

- J’espère que tu dis vrai.

Clara n’a jamais été une enfant comme les autres et j’ai espoir qu’elle ne sera pas une ado comme les autres. Bien sûr, je suis conscient de la difficulté de la tâche qui s’annonce, surtout pour moi qui ai pour habitude de la surprotéger.

Fidèle à ses habitudes, son travail est toujours impeccable et porte rapidement ses fruits avec d’excellentes notes accompagnées d’appréciations très positives de la part de ses professeurs. Nous ne nous gênons pas pour lui faire part de notre joie et notre fierté à ce sujet, l’encourageant à continuer sans pour autant se mettre de pression, ni relâcher ses efforts.