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Dans les escaliers du palais, perdu encore une fois. Deuxième rentrée parlementaire. Je me suis encore perdu dans ces foutus escaliers. Il n’y a que moi à qui cela arrive. Il va falloir arrêter, les huissiers m’appellent « le rêveur ». Cette fois-ci, les escaliers descendaient, puis après de longs couloirs, il m’a fallu remonter, mais ça n’en finissait pas. Le malaise augmentait, et rien à faire, c’était comme un pincement au creux des reins, au bas du dos, et l’impression d’être ailleurs, dans un espace cotonneux. De retour au bureau, j’ai pris la bouteille et puis une fois sorti, j’ai jeté la bouteille dans la Seine, depuis le pont Alexandre III, entre les Invalides et le palais Bourbon et puis le Grand Palais, les Champs Elysées, là-bas. Dedans, l’acte de décès de l’aïeul. Ben oui, il est mort, depuis le temps. Il est même mort dans les règles. Mort à l’ennemi. Mort pour la France. Enfin, bref, mort. Pas la peine de laisser la porte ouverte. En passant par la Marne, avec tout ce temps à réfléchir entre Mainlieu et Paris, j’ai finalement fait un détour. Un petit tour à l’ossuaire, pour prendre un peu de terre, et puis, dans la bouteille, avec le papelard.
Le papelard.
Sur mon ordinateur, j’avais tapé Julie + Demange, comme une connexion magique - qui sait ? Le nom est sorti en une fraction de seconde : Demange, Baptiste, Jules, Elie. Mon arrière-grand-père. Jules-Elie ou Julie : Julie et Lui ?
« Baptiste, Jules, Elie ». Je connaissais le prénom Baptiste, mais pas les autres. Comment se fait-il que mon fils s’appelle Elie ? C’est émouvant. Le gardien m’a vu. « Vous n’êtes pas le seul ». Qu’il m’a dit. «Y’en a beaucoup qui prennent de la terre d’ici, la terre, c’est pas ce qui manque. »
Oui, mais de la terre mêlée de sang.
Il a vu la cocarde tricolore. « Vous êtes officiel ? »
« Oui, député. »
« Faites que ça ne recommence pas. » Et il m’a regardé les yeux tristes, ça ne lui réussit pas tous ces morts entassés là.
Sur la route vers Paris j’ai repensé à ce qu’il venait de me dire. Le problème, c’est que la guerre elle est là partout et tout le temps, pendant la guerre, après - et ça dure longtemps - et puis, quand tout est pardonné-oublié nettoyé-récuré des âmes et des consciences, ça recommence.
Le faire ou pas ?
Sur le pont, j’ai hésité. Enlevé le bouchon, craché dans la bouteille. « Pardon l’aïeul, c’était pas pour toi. De toute façon, t’es mort et t’en as vu d’autres bien dégueulasses. C’est pour moi. »
Je l’ai regardée aussi loin que j’ai pu. Mon goût a changé, je crois. Je ne suis plus d’humeur à descendre les rivières et rêver d’Océan, de renoncement et d’abandon. Je me suis retourné, et puis j’ai regardé la Seine qui descendait vers moi, venant du pays crayeux au-delà de Bercy, vers les ruisseaux. Vers Elle.
J’espère qu’elle ira à la mer.
La mer, elle nettoie tout.
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