Chapitre 1

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Il n’était que 8h du matin, pourtant la ville de Seattle se retrouvait déjà au centre d’une grande tempête de pluie. On disait qu’autrefois, cette ville était élégante, que tout le monde était heureux, que les rues étaient animées par des gens affichant un sourire sur leur visage. Mais aujourd’hui, cela ressemblait plus à un vestige d’immeubles en reconstruction. Certes, les rues étaient encore animées, mais les expressions des habitants étaient loin de refléter le bonheur. Le maire de la ville, voulant la reconstruire après les ravages d’il y a quelques années – ignorés par de nombreux autres maires – enchaînait les démolitions et reconstructions, faisant de Seattle une ville bruyante, peuplée d’habitants qui s’en plaignaient. Il pleuvait tellement en ce moment que la plupart des bâtiments n’avaient même pas de peinture, les peintres immobiliers n’avaient pas le temps. Et puis, ce n’était pas quelque chose de primordial dans la construction d’une ville. Le béton se laissait donc paraître, sale, ne donnant plus cette touche de beauté qui autrefois caractérisait la ville. La seule chose qui donnait encore à Seattle son petit côté unique était sa médiathèque, relativement bien entretenue comparée à d’autres. Ses grands couloirs de verre laissaient entrer le peu de lumière qu’il y avait dehors, sa peinture intérieure d’un bleu pâle apportait un air apaisant, et ses divers livres, jeux pour enfants accrochés aux murs entourés de poufs multicolores, CD, DVD, et même l’espace de jeu vidéo où la plupart des adolescents passaient leur temps, ajoutaient à l’ambiance. Une médiathèque qui avait même reçu le prix de « parfaite » aux États-Unis. Elle n’était pas parfaite, loin de là, mais comparée à beaucoup de médiathèques existantes avant et après, dans ce monde perdu et dévasté, cette médiathèque était aux yeux de quelques-uns une œuvre d’art. Malgré la présence de nombreux visiteurs, on ne le remarquait presque pas, car l’endroit, avec ses cinq étages assez vastes, donnait une sensation d’espace.

Fiora, la tête plongée dans son manga préféré, dont elle était devenue accro en seulement quelques pages, passait la plupart de son temps dans cette médiathèque. Ce manga, racontant une histoire d’amour entre un garçon et une fille qui n’osaient jamais se dire "je t’aime", la passionnait un peu plus à chaque page tournée.

Elle avait découvert cet endroit par hasard, un jour de pluie, il y avait déjà deux ou trois mois. Détestant être mouillée, elle s’était précipitée dans l’espace public le plus proche pour se mettre à l’abri. Et à sa grande surprise, elle n’avait jamais regretté cette découverte : la magnifique médiathèque de Seattle était devenue son refuge. Avec le temps, le personnel à l’entrée avait pris l’habitude de la reconnaître et la saluait désormais de manière amicale, même s’ils ne la voyaient qu’à cet endroit. De son côté, Fiora s’était peu à peu approprié un pouf précis, qu’elle considérait comme sa place. Et lorsque, par malheur, ce pouf était occupé, elle n’hésitait pas à utiliser ses pouvoirs pour faire discrètement voler le livre de l'intrus à l’autre bout de la pièce. Une fois la personne partie chercher son livre, Fiora en profitait pour s’y installer, triomphante. Bien sûr, elle ne faisait cela que dans des cas vraiment importants. Après tout, elle devait à tout prix préserver son secret. Si quelqu’un venait à découvrir qu’elle était une hybride, comment pourrait-elle continuer à venir ici pour dévorer ses mangas ?

Ses longs cheveux bleu foncé, délicatement ondulés, étaient soigneusement rassemblés en une queue de cheval haute, dont les mèches soyeuses glissaient parfois sur ses épaules. Avec un geste presque machinal, Fiora les replaçait derrière son dos, veillant à garder son allure discrète mais soignée. Installée dans son pouf habituel, elle savourait un rare moment de tranquillité, bercée par le son de la pluie qui frappait les vitres. Pour une fois, elle n’avait pas eu à recourir à ses pouvoirs pour libérer sa place favorite. Son regard, dissimulé derrière une paire de lunettes à monture fine, aurait pu paraître banal au premier abord. Mais en réalité, ses yeux recelaient un éclat surnaturel : deux perles d’un noir profond, dépourvues de blanc, rappelant ceux des colibris. Leur éclat sombre semblait absorber la lumière et leur conférait une intensité presque hypnotique, un détail qu’elle savait beaucoup trop inhabituel pour passer inaperçu parmi les humains. De ce fait, Fiora s’était procuré une paire de prothèses oculaires, des sortes de coques complètes qui enveloppaient entièrement ses yeux. Ces « lentilles spéciales » reproduisaient l’apparence classique des yeux humains, avec une sclère blanche et une iris marron, une couleur qu’elle avait choisie pour son aspect discret et courant. Mais ces prothèses n’étaient pas parfaites : elles altéraient légèrement sa vision, l’obligeant à porter des lunettes de vue par-dessus pour compenser.Ce camouflage lui permettait de se fondre dans la foule, même si le poids constant de ce déguisement la rappelait sans cesse à sa différence. Pourtant, elle n’avait pas le choix : dans un monde où hybrides et humains ne cohabitaient pas, dévoiler sa vraie nature était une prise de risque qu’elle ne pouvait se permettre.

La jeune hybride, plongée dans son manga, totalement absorbée par l’histoire qu’elle suivait depuis des semaines. Ses doigts glissèrent sur la dernière page du tome, dévoilant une scène qu’elle n’espérait plus : le garçon et la fille, après douze volumes d’hésitations, d’occasions manquées et de silences maladroits, s’avouaient enfin leur amour. Un « je t’aime » timide mais sincère, suivi d’un baiser doux et tendre.

Fiora sentit son cœur s’emballer. Un sourire immense illumina son visage, et avant qu’elle ne puisse se contenir, elle bondit de son pouf, ses mains serrant le manga contre elle.

— Enfin !!! cria-t-elle, sa voix résonnant dans toute la médiathèque.

Le silence, déjà habituel en ce lieu, devint soudain oppressant. Tous les regards se tournèrent vers elle, des étudiants en train de travailler, des parents feuilletant des livres pour enfants, et même le bibliothécaire posté à l’entrée du premier étage. Fiora sentit une vague de chaleur monter à ses joues. Embarrassée, elle regarda rapidement autour d’elle, ses yeux dissimulés derrière ses lunettes cherchant un échappatoire. Elle baissa la tête, tripotant nerveusement les coins du manga, et murmura un « Pardon… » d’une voix timide, presque inaudible.

Quelques secondes passèrent avant que les chuchotements reprennent et que l’attention des lecteurs se détourne d’elle. Fiora se laissa retomber sur son pouf, son excitation ayant laissé place à une gêne palpable. Mais malgré tout, elle n’en démordait pas : ce baiser était incroyable !

Fiora hésita à se lever, la peur que quelqu’un d’autre la regarde encore la rendant plus gênée. Elle resta figée sur son pouf, les yeux baissés, espérant que l’attention des autres se détournerait. Mais, après un moment de silence gêné, elle prit finalement son courage à deux mains et se leva lentement pour remettre le manga à sa place dans l’étagère.

Elle se dirigea ensuite vers la section où étaient rangés les tomes suivants, espérant pouvoir saisir le prochain. Ses doigts glissèrent le long des étagères, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin la place du tome suivant. Mais, à sa grande déception, l’étagère était vide. Ses yeux parcoururent l’espace avec espoir, mais l’absence du livre la frappa. Un soupir de tristesse s’échappa de ses lèvres, et un sentiment de déception envahit son cœur. Elle avait tellement attendu ce moment, et voilà qu’elle ne pouvait pas continuer sa lecture.

Fiora s'installa à nouveau sur son pouf, l’esprit un peu ailleurs, perdue dans la déception de ne pas avoir trouvé le tome qu’elle espérait. Alors qu’elle s'apprêtait à ouvrir son sac pour fouiller à la recherche d’un autre manga, un bruit soudain attira son attention. Les télévisions disposées un peu partout dans la médiathèque commencèrent toutes à diffuser la même information.

— Urgence en cours à Seattle. Une alerte a été lancée concernant un hybride, un individu ayant été repéré dans la ville.

La voix du journaliste résonna dans l’air, grave et urgente.

— Selon les premières informations, cet hybride a été vu dans plusieurs quartiers de la ville, se déplaçant rapidement et échappant à la surveillance des autorités. Plusieurs témoins ont signalé sa présence, mais les détails restent flous. Les forces de l’ordre ont été mises en alerte. Il est recommandé de rester vigilant et d’éviter les zones où l’hybride a été aperçu.

Les informations se succédaient sans relâche. L’écran montrait des images floues d’une silhouette en fuite, se déplaçant dans les rues sous la pluie. Rien de précis. Aucune mention d’un nom. Mais la tension dans l’air se faisait palpable.

— Une enquête est en cours. Plus de détails seront fournis sous peu. Si des informations vous parviennent, si vous voyez l’hybride roder dans les rues, n’hésitez pas à contacter la police.

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