Chapitre 9 : Un repas surprenant et une décision prise
J’aimerais dire qu'après ça j’avais découvert que je savais aussi voler et que j’étais rentré chez moi avec classe. La réalité fut tout autre : je dus prendre le métro comme n'importe qui, et ce sans tarder. En effet, les sirènes de police se sont faites entendre peu de temps après que je quitte le quartier. Sûrement des voisins qui avaient entendu les bruits de l'affrontement et avaient prévenu la police.
Une fois l'adrénaline retombée, la fatigue me revint en pleine figure lorsque je m’assis sur un siège du transport en commun. Je somnolai durant tout le trajet du retour tout en essayant de ne pas rater mon arrêt. Maintenant que je me sentais en sécurité, après les efforts que je venais de produire, mes yeux peinaient à rester ouverts. Heureusement, il n’y eut aucun souci à signaler et, une fois chez moi, je m’écroulai sur mon lit sans même prendre la peine de me déshabiller.
J'avais un peu trop forcé sur mes capacités et mon corps me rappelait qu'il avait quand même besoin de dormir de temps en temps. Cette montée soudaine d'énergie était donc à double tranchant : elle me rendait plus fort et plus impulsif mais m'empêchait de me rendre compte de l'état de mon corps.
J'étais rentré chez moi vers minuit, et lorsque je me réveillai, le soleil commençait à se coucher. J'avais dormi près de dix-huit heures ! Nouveau record ! Je me relevai en me frottant les yeux avant de m’asseoir en grimaçant. Je remarquai avec surprise qu'il ne restait qu'une simple cicatrice de la coupure de la veille sur mon avant-bras. J'avais eu une nuit sans rêve, calme et réparatrice mais malgré tout, le réveil fut douloureux. J'étais courbaturé de partout ! J'avais l'impression d'avoir fait au moins trois marathons et un tour de France en prime.
Vous songez probablement : « Quoi ? Le mec fait des sauts surréalistes, est devenu plus rapide et plus fort en à peine trois jours et le lendemain, il a des courbatures ?! Va voir le système après-vente pour ramener tes pouvoirs au magasin ! » Oui, totalement d’accord !
Après en avoir fait part à Astérion en mangeant un bol de céréales, il me répondit :
« Je suppose que ton corps a encore besoin de temps pour être totalement adapté à ses nouvelles capacités. Tu ne possèdes ces pouvoirs que depuis quatre jours et ton corps commence seulement à en découvrir les effets. Et puis je n'ai jamais eu de courbatures de ma vie donc je ne peux pas t'en dire plus. »
Eh bien il était chanceux car ça faisait un mal de chien. J’avais l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur. J'espérais que ça passerait aussi vite que la blessure du couteau. Le pire, je pense que c'étaient les mollets. Je ne pouvais pas faire un pas sans que mes jambes se crispent et m'intiment de m'asseoir. Comme si je pouvais passer ma journée assis !
Mais mon désarroi se changea rapidement en peur et supplice car le pire restait à venir. Je sus sans le moindre doute que j'allais probablement mourir dans d'atroces souffrances sous peu. Non pas par des Xenos ou un autre dieu quelconque, que j'aurais presque préféré affronter, mais par quelque chose de bien, bien plus menaçant : ma mère. Je n'avais pas pris mon téléphone avec moi lorsque j’étais parti en direction du bar et c’est en le prenant et en remarquant que j'avais vingt-cinq appels en absence et quarante-deux messages non lus que mon cœur s’affola. J'étais foutu.
Je ne vous raconterais pas notre conversation au téléphone car elle fut à la fois animée et effrayante. Voir même terrorisante. Elle m'explosa le tympan gauche, me menaça de venir me chercher et de m'enfermer dans ma chambre à jamais, tout en employant d'autres menaces que j’espérais qu'elle ne mettrait pas à exécution.
Là je laisserai place à votre imagination.
J'étais surtout heureux de ne pas l'avoir en face de moi à cet instant, autrement j'aurais déjà été à genoux à implorer son pardon. Oui, il ne vaut mieux pas s'embrouiller avec ma mère, vous n’auriez aucune chance. Super gentille mais valait mieux pas la chercher ou je ne donnais pas cher de votre peau. C’était peut-être elle que j’allais envoyer face à Hepiryon finalement, elle allait le renvoyer dans le néant sans la moindre pitié.
Après lui avoir promis de venir manger le soir-même, soit dans un peu plus d'une heure et demie, et m'être excusé une bonne quinzaine de fois, je pus enfin raccrocher. Je pris une grande inspiration afin de calmer mon cœur devenu frénétique. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à vouloir me faire subir une crise cardiaque ?! Tout en suppliant pour que tout se passe bien, je reposais avec crainte mon téléphone. Je priai pour que mon frère vienne, ça rendrait peut-être, et je dis bien peut-être, le dîner plus convivial.
Je n'avais plus du tout envie de finir mes céréales mais je me forçai à manger. Je n'avais rien avalé depuis un moment et à ma connaissance, j'avais encore besoin de manger, boire et dormir pour survivre. Et si ce n’était pas le cas, mon ventre ne devait pas être au courant vu les gargouillis perpétuels qu’il libérait.
« Bon, intervint soudainement Astérion, après cette magnifique conversation mère-fils (je lui aurais bien jeté un regard noir mais c'était compliqué par la pensée) je pense qu'il serait temps que nous fassions quelques entraînements à présent.
— Tu as dit que les Elementaris, les créatures que tu as créées, s'occuperaient de mon entraînement martial, c'est ça ? Alors quels genres de choses vas-tu m'enseigner toi ?
— Oh, pour le moment des trucs basiques que les Elementaris ne pourront pas t'apprendre. Telle que la télékinésie, par exemple. »
J'en recrachai mes céréales.
« Tu veux dire que je peux déplacer des objets par la pensée ! Mais c'est génial ça ! »
Sans m'en rendre compte, je venais de parler à haute voix, emporté par l'exaltation de la nouvelle. La télékinésie signifiait plus besoin de se déplacer vu que les objets viendraient d'eux-mêmes ! Imaginez, vous êtes dans le canapé et la télécommande de la télé se trouve sur la table un mètre plus loin. Par la pensée elle vient délicatement se poser dans votre main sans le moindre effort ! Le rêve !
« Ne crie pas victoire trop vite ! me réprimanda-t-il d'une voix agacée. Il faudra développer ta concentration et ta résistance mentale, qui soit dit en passant est particulièrement pathétique, pour déplacer les objets. Et je parle de petits objets, ne t'imagines pas à soulever une voiture, comme tu le penses actuellement. Va t'asseoir par terre et emporte ton bol pour le poser devant toi ! »
Je détestais quand il arrivait à lire mes pensées.
J'avalai ma dernière bouchée brièvement avant de prendre mon bol comme il me l'avait demandé et de m'asseoir au seul endroit où j'avais de la place sur le sol, en face de mon lit. Je posai doucement mon bol devant moi et m’assis en position tailleur à sa demande. Je me sentais comme un moine prêt à méditer.
« Je suis prêt ! Que dois-je faire ? demandai-je, impatient.
— Commence par vider tes pensées, tu dois être totalement concentré sur le bol. Tu dois le visualiser entièrement, être capable de sentir la matière qui le constitue et ce qui constitue cette matière. Les molécules, les atomes, les électrons… Toutes ces choses que tu connais mais impossibles à percevoir. Tu dois les sentir, être capable d’interagir avec eux. Oublie toutes les lois de physiques que tu connais car la physique ne s'applique pas aux Eternels ! »
Même si je trouvais qu’il en faisait beaucoup, probablement pour se donner un air plus important, je fis comme il me dit. Je devais être tellement concentré sur ce bol que mon visage était probablement tout rouge.
« Je ne t'ai pas dit d'arrêter de respirer, imbécile ! ricana-t-il. »
Je faillis m’étouffer à sa remarque, honteux. Je pris une inspiration puis tentai de me détendre, essayant de calmer ma respiration et de me concentrer uniquement sur l'objet. D’après lui, je devais imaginer et ressentir le bol. Voir sa forme, sa structure, sa constitution. Laisser mon esprit dériver vers lui et lui intimer des ordres. Cela semblait tellement simple à dire mais étrange à réaliser.
En réalité, je me sentais stupide même si j’avais le désir fou de vouloir y croire. De la même manière que vous si vous essayiez, je répétai l’ordre dans ma tête tout en imaginant l’objet effectuer cet ordre. Et mon résultat était probablement le même que le vôtre : nada ! Rien du tout !
Je ne savais pas combien de temps s’écoula, mais j’avais passé un bon moment à rester concentré pour projeter mon esprit et ma volonté afin de faire voler ce fichu bol qui ne semblait pas vouloir bouger d'un pouce. Plusieurs fois j’ouvris les yeux en espérant le voir flotter dans les airs mais à chaque fois ce fut une déception. Astérion me disait de poursuivre en ajoutant que je devais être patient et continuer à persévérer car la plupart de mes pouvoirs se développeraient naturellement chez moi mais qu'il allait falloir m’exercer pour que j'arrive à les maîtriser. Il suffisait de les activer, de réussir à les employer, et ensuite tout deviendrait plus simple.
J'aurais voulu le croire sur parole, mais il m'était venu en tête qu'il pourrait se moquer de moi. Il en aurait bien été capable. Pourtant j’avais persévéré. J’en étais à un point que j'en avais des fourmis dans les jambes. Je n’en pouvais plus de me concentrer autant sur une chose aussi simple qu’un bol.
Et pourtant, c’était si complexe !
« Élève-toi ! ordonnai-je une nouvelle fois. »
Qu’avais-je fait cette fois que je n’avais pas fait les quelques trois-cents précédentes tentatives ? Aucune idée. Pourtant, je sentis nettement une torsion dans mon ventre. Comme si mon estomac et mes intestins se contractaient au moment où je réessayais.
« Tu y arrives ! s’exclama Astérion dans ma tête avant de se reprendre. Garde ton calme et ta concentration ! »
J’ouvris doucement les yeux en pensant qu’il se moquait de moi. Il m’avait déjà fait cette blague trois fois. Mais cette fois il disait la vérité : le bol flottait à plusieurs centimètres du sol. Je continuais de me concentrer tout en ne pouvant m'empêcher de ressentir une immense joie pour cette première réussite. Enfin la joie fut de courte durée lorsque je me rendis compte que cela faisait plus d’une heure que je m'exerçais !
« Le dîner ! m’exclamai-je. »
Toute concentration envolée, le bol tomba. Heureusement il n'était pas assez haut pour se briser. Je le reposai en urgence sur la table et me préparai en hâte.
« On reprendra ça plus tard, je suis désolé Astérion mais il faut que j'y aille ! dis-je précipitamment à haute voix.
— Ne t'inquiète pas ! Fonce avant que ta mère ne te tue, et donc moi aussi par la même occasion ! me répondit-il non sans humour. »
C'est qu'il commençait à faire des blagues, le dieu de pacotille !
J'enfilai ma veste en jean, mes chaussures avant de me rendre compte que je portais encore mes affaires de la veille. Mon tee-shirt était taché de sang et il valait mieux que je n'y aille pas habiller ainsi. Je n’avais pas envie que ma mère sache ce qu’il m’était arrivé ou je n’obtiendrais pas mon autonomie avant mes cinquante ans. Je jurai intérieurement avant de me déshabiller et me changer en prenant les premiers vêtements que je trouvais, la plupart se trouvant par terre. Je découvris avec stupeur que mon jean avait dû rétrécir au lavage car il m’arrivait au-dessus des chevilles.
Mais je n’avais pas le temps de me rechanger.
Je claquais la porte de mon logement, descendis les escaliers de l’immeuble quatre par quatre avant de rester encore bloqué devant la maudite porte d’entrée qui faisait encore des siennes.
Je tirai d'un coup sec pour l'ouvrir.
La poignée me resta dans les mains mais la porte n'était toujours pas ouverte. Je fus à deux doigts de démolir cette porte de mes propres mains.
« Donc tu es en retard parce que la porte de ton appartement est encore restée bloquée ? me demanda ma mère en croisant les bras. »
J’opinai de la tête, le regard baissé. J'avais réussi à remettre la poignée comme si de rien n'était et m'étais faufilé par la fenêtre du bureau du concierge qui, heureusement, était absent. Après, bien entendu, j’avais raté le métro et, à cause de travaux sur la ligne, la circulation était arrêtée pendant plus d'une heure. Astérion me portait la poisse bien plus que chance, de cela j’en étais certain !
Cependant, c’est lui qui me trouva une solution d’urgence : il m'avait conseillé d'y aller par la voie des airs. Non, je ne savais toujours pas voler à mon grand regret. J’avais juste grimpé sur un toit par l'échelle de service et sauté de toit en toit en faisant des bonds de plus de cinq mètres de longueurs. Une autre faculté étonnante que je venais de découvrir. Je me serais bien inscrit aux prochains Jeux Olympiques pour le saut en longueur.
Heureusement il faisait nuit tôt en automne, donc peu de gens traînaient la nuit dans le froid. Et ceux encore présents avaient très peu de chance de lever la tête et de me discerner au-dessus d’eux. J'arrivais déjà à peine à voir le toit sur lequel je comptais sauter grâce aux lumières des lampadaires. J’étais finalement arrivé en retard alors qu'avec le métro j'aurais été à l'heure et n'aurais pas eu à affronter le regard courroucé de ma mère.
« Tu es en sueur ! Tu n'aurais pas dû courir ainsi ! me réprimanda mon père. Je serais venu te chercher si tu nous avais appelé ! »
En faisant l’acrobate, c'était certes plus rapide qu'à pied mais c'était moins direct et bien plus fatiguant. Surtout que leur appartement n'était pas la porte à côté. Ma mère m’ordonna donc d'aller prendre une douche le temps que tout soit prêt. J'obéis, il ne valait mieux pas la contrarier ce soir. Ils m’informèrent aussi que Anaïs et Thomas ne mangeraient pas avec nous. Nous allions donc manger à trois ce qui termina de saper mon moral.
Pendant que ma mère retournait en cuisine préparer le repas, j’eus le temps de prendre ma douche. Ensuite, je fis le tour de l'appartement pour voir les changements depuis la dernière fois. Cela remontait seulement à trois mois, bien sûr, et donc rien n'avait vraiment changé. De taille modeste, il était constitué d'une cuisine, d'une salle à manger qui faisait aussi office de salon, d'une salle de bain et de trois chambres. Et bien sûr, de sanitaire. Un appartement normal en somme. L'ancienne chambre de Thomas, mon frère, était maintenant le bureau de mon père, qui était placardé de photos en tout genre. Il adorait prendre des clichés et m'avait toujours dit que s'il avait pu, il aurait été photographe. Cela faisait cependant un moment qu'il n'avait pas ressorti son gros appareil.
Les murs étaient tapissés de captures d'animaux et de paysages qu'il avait lui-même prises en photo plusieurs années auparavant. Il y en avait de tout genre : la tour Eiffel, les Champs Élysées, et même des villes qu'il avait eu l'occasion de visiter quand il était plus jeune telles que Barcelone ou Berlin. Côté faune, c'était surtout des animaux vus dans des zoos ainsi que des chiens. Son père, donc mon grand-père, élevait beaucoup de chiens avant qu'il ne décède.
Je m’arrêtai devant une photo d'un tigre prise dans un zoo lors de vacances d'été il y a quelques années. L’image en noir et blanc n'avait rien de particulier. Pourtant en la regardant je frissonnai. L’animal me rappelait les Gerydïon, ou rôdeurs, du souvenir d'Astérion. Si des créatures comme cela revenaient vraiment à la vie, je ne donnais pas chers de ma peau. Je déglutis en m’imaginant face à l’un d’eux.
« Je me rappellerai toujours de cette photo. »
Surpris je me retournai. Mon père venait d'entrer dans la pièce et s'était approché de moi. Rivé sur la photo du tigre, je ne l'avais pas entendu. De son doigt, il me désignait une autre photo, une des rares en couleur. On pouvait y voir ma mère, Thomas et moi-même.
J'étais encore bébé à l'époque et je tentais de nager avec maman qui me tenait par les bras. Thomas souriait à côté de moi, lui aussi alors très jeune, âgé seulement de six ans. Son visage était resté le même malgré les années. Et notre ancien boxer, Gipsy, collait son pelage marron trempé contre moi pour être sûr qu'il ne m'arrive rien, alors que nous avions juste les pieds dans l'eau. Mon père tout comme moi, affectionnait beaucoup cette race de chien, très protectrice et fidèle.
Je m’approchai à mon tour pour mieux observer la photo, souriant devant ce souvenir dont je n’en gardais aucune trace. Je remarquai alors quelque chose d'étrange : mon père, qui avait toujours été plus grand que moi de cinq bons centimètres, faisait à présent quasiment la même taille que moi. Avais-je grandi ? Les pouvoirs d'Astérion pouvaient-ils aussi pousser ma croissance à reprendre alors qu'elle était terminée depuis près de deux ans ?
« Nous étions en vacances sur les côtes bretonnes, reprit mon père sans sembler remarquer ce détail. C'était l'été et Gipsy ramenait chaque galet que nous lancions dans l'eau. J'adorais cette chienne, elle aimait tellement nager. C'était la première fois que tu allais dans l'eau, tu avais à peine deux ans et ta mère n'avait jamais accepté que tu ailles dans l'eau avant. Et Gipsy est resté à côté de toi au cas où il t'arrive quelque chose, malgré le fait que ta mère te tienne. »
J'étais étonné par son ton nostalgique. Il ne m'avait jamais raconté la petite histoire de cette photo. Je la connaissais déjà par l'intermédiaire de ma mère bien entendu, qui adorait nous raconter tous les moments de notre enfance, mais pas de lui personnellement.
« Ça te manque ? tentai-je, en tâchant de cerner ce qu’il essayait de me dire. Je veux dire, tu aimerais retourner en Bretagne ? »
Il sourit, ce qui faisait longtemps, en disant :
« Oh non, je n'ai jamais beaucoup aimé la Bretagne ! Il fait froid et il pleut tout le temps ! C'est pour ta mère que nous y sommes allés. Mais... cette photo me rappelle à quel point j'ai de la chance d'avoir une famille heureuse, même si elle a changé depuis, bien sûr. »
Je haussai les sourcils.
« Quelque chose ne va pas, papa ? demandai-je, surpris.
Il resta silencieux quelques instants, mal à l’aise, avant de soupirer et de se tourner vers moi. Son sourire avait disparu, et il admit d’un ton chargé de regret :
« Je voulais m'excuser. Je sais que je n'ai pas été le meilleur des pères récemment, je sais aussi que je n'ai pas été juste envers toi. Je voulais donc te demander pardon, fiston. »
J'étais stupéfait au point que si une météorite avait traversé le salon au même moment, je n’en aurais pas été autant surpris. Je ne m'attendais pas du tout à cela ! Nous nous dévisagions, et je scrutais ses yeux sombres à la recherche d’une trace d’humour. Mais tout ce que j’y voyais était une affection sincère.
Il me fallut même un moment pour trouver les mots justes tellement il m'avait pris au dépourvu. Finalement je me lançai :
« Je ne t'en veux pas, papa. Tu as seulement traversé une période difficile. Mais tu as été un bon père, et tu seras un bon grand-père. »
Il se décrispa et eut un autre bref sourire. Un vrai sourire de soulagement.
« J'ai de la chance d'avoir deux fils comme toi et ton frère. (Il se racla la gorge avant d'ajouter :) Allons manger avant que ta mère ne nous fasse une crise parce que son poulet est froid. »
Je savais que mon père montrait rarement ses sentiments, et ô combien cela avait dû être dur pour lui de me dire tout ça. Cependant il m’avait beaucoup touché. Plus que je ne saurais le dire. Je le suivis en me demandant si je n’avais pas rêvé. Mon père venait de me faire des excuses et d’admettre son comportement hostile ces dernières années. Je n’aurais pas pu espérer mieux !
En traversant le couloir pour retourner dans la salle à manger, Astérion en profita pour ricaner comme si de rien n’était :
« Si je peux me permettre, tu étais moche à deux ans. Tu n'avais pas beaucoup de cheveux et tu étais tout petit !
— J’étais encore un bébé ! C’est normal ! répliquai-je.
— Moi quand je suis né je savais parler et j'avais des cheveux ! Toi tu étais tout moche avec tes joues rondouillettes et tes quelques cheveux blonds !
— Eh bien, les « mortels » n'ont pas cette chance ! dis-je avant de réaliser quelque chose de pourtant logique en soit. Mais attends ! Je n'avais pas pensé à ça mais tu dois avoir des parents non ? Ce sont des dieux aussi ? »
Je ne m'étais jamais posé de question sur les origines d'Astérion mais après tout son frère et lui devait bien avoir des parents ! Suite à mes paroles, je le sentis plus prudent dans sa réponse.
« Oui, j'ai une mère. »
Je sentis au ton de sa voix qu'il ne me dirait rien de plus à ce sujet et qu'il ne servirait à rien d'insister. Encore et toujours des mystères. D'abord sur la raison pour laquelle il était enchaîné et pas moi. Ensuite sur le fait qu'il ait eu un fils, et maintenant à propos de sa mère. C'était compliqué de se rapprocher de quelqu'un qui persistait à ne rien vouloir dévoiler de lui. Bien entendu, c'était son droit. Mais je pensais que j'avais le droit d'avoir quelques informations tout de même, non ? Surtout que lui ne se gênait pas pour fouiller ma mémoire à la recherche d'information à mon sujet.
Je supposai qu'avec le temps, il finirait par se dévoiler à moi.
Nous arrivions dans la salle à manger, je sentis le poulet avant même de le voir. Ma mère était bonne cuisinière, c'était sûrement une des choses qui me manquait le plus depuis que j'étais parti.
Le dîner fut plutôt agréable, à ma grande surprise. Aucun d'eux ne me fit de remarque à propos de mon absence de réponse durant les quinze dernières heures. Nous en profitions pour parler de différents sujets tel que mes études, le travail de ma mère et la recherche d'emploi de mon père, ainsi que le mariage bien entendu. Après notre conversation avec papa, j'avais l'impression qu'une boule de tension avait disparu et qu'il m'était plus facile de parler avec lui.
À la fin de la soirée, ma mère me refit bien sûr la morale sur le fait que je n'avais pas répondu et qu'elle avait été folle d’inquiétude mais elle n’insista pas autant que je le craignais. Elle avait dû se retenir durant tout le repas pour ne pas passer pour une hystérique.
« Il ne faudra pas que tu tardes à aller chercher un costume pour la cérémonie, me dit-elle aussi. Étant donné que tu seras le témoin tu devras être habillé convenablement, plus encore que si tu étais simple invité. Tu devrais aller chez le coiffeur aussi pour raccourcir tes cheveux, ça fait négligé !
— Mais je les aime bien comme ça ! répliquai-je. »
Cependant je souris devant l’enthousiasme de ma mère. Elle avait le don pour me partager sa propre joie, tout aussi facilement qu'elle m'effrayait d'ailleurs. Un peu paradoxal, mais je supposais que c’était le cas de toutes les mères.
« Toute la famille sera là ? la questionnai-je.
— Tes oncles et tantes de Bretagne viendront, affirma-t-elle, ainsi que tes cousins et tes grands-parents. Et la famille d'Anaïs, bien entendu. Sans oublier les amis de la famille et ceux de ton frère. Il a quelques amis de l’armée qu’il souhaite inviter, je ne les ai jamais rencontrés. »
Mon père étant fils unique et ses parents décédés, c'étaient surtout le frère et la sœur de maman qui allait représenter notre famille. En tout j'avais trois cousins : Alexandre et Benjamin les fils de ma tante Sophie et Anna la fille de mon oncle Yann. Tous trois étaient plus jeunes que Thomas et moi, ma mère étant l'aînée et nous ayant eu assez tôt. Nous ne nous voyions pas souvent même si je les appréciais énormément. Ils avaient dû grandir depuis le temps, ça devait faire presque cinq ans que nous ne les avions pas revus. La distance n'aidait pas beaucoup même si ma mère leur téléphonait régulièrement.
Une fois le repas terminé, j'aidai ma mère à faire la vaisselle tandis que mon père nettoyait la table. J’en profitais pour lui raconter la conversation que j'avais eu avec lui, et elle ne sembla pas surprise plus que ça.
« Te voir à l'hôpital l'a secoué plus qu'il ne l'a laissé paraître, expliqua-t-elle. Ma grand-mère me disait souvent que l'on ne se rend compte de ce que l'on a qu'une fois l'avoir perdu. Elle avait raison : ton père a vu la chance qu'il a de vous avoir toi et Thomas après avoir vu ton frère partir en Syrie et toi après ton malaise. Il essaie de se rattraper comme il le peut donc ne soit pas trop dur avec lui.
— Je lui en voulais un peu de ne pas avoir été plus inquiet que ça lors de mon accident mais…
— Il a du mal à montrer ses sentiments, finit-elle. Tout comme toi et ton frère d'ailleurs. Mais il t'aime énormément, c'est la seule chose que tu dois savoir.
— Je le sais déjà, répondis-je. »
Elle me serra dans ses bras. Avant je trouvais cela ridicule mais une fois devenu adulte, on voyait les choses différemment. On se rendait compte que chaque moment était important à partager et à savourer avec notre famille. C’était pour cela que je pardonnais facilement à mon père son manque d’empathie, et aussi que je rendis son étreinte affectueuse à ma mère.
Cependant, je n’osai pas leur dire que je comptais partir pour le continent américain en fin de semaine. Si je l'avais fait, j'aurais dû leur donner une explication valable suivie d'une longue discussion qui n'aurait jamais abouti. Ils ne pouvaient pas comprendre les raisons de mon départ. Après tout, moi-même je n'étais pas sûr de bien les comprendre. Mais je m’étais juré de revenir pour le mariage de mon frère et de tout leur raconter à mon retour. Et si rien de cela n’était vrai, je pourrais toujours assurer que ce n’était qu’un simple road trip décidé sur un coup de tête.
Ses pensées me tourmentaient encore lorsque, après avoir embrassé et souhaité une bonne soirée à mes parents, je rentrais chez moi. La ligne de métro avait été réouverte, je pus donc le prendre pour le retour avec plus de simplicité qu'à l'allée.
Durant le trajet, Astérion me souffla :
« Tu sais, je ne sais pas si ce mariage est une bonne idée...
— Je serai présent, répondis-je aussitôt. Hors de question que je rate le mariage de mon frère. Peu importe ce que tu peux me dire, rien ne me fera changer d'avis. Je serai le témoin de mon frère le 13 décembre prochain, rien ni personne ne m'en empêchera !
— Je ne parlais pas de cela ! Je voulais dire, un mariage alors qu'une guerre approche... Cela semble tellement improbable.
— Les hommes ne sont pas encore en guerre, fis-je remarquer. Tu as dit toi-même que nous pouvions l'empêcher ! »
Il hésita avant de répondre :
« C'est vrai. Mais si nous échouons, c'est toi qui leur annonceras qu'ils seront à l’aube d’une extinction de masse. »
Une boule se forma dans ma gorge. Il avait raison. Si j'acceptais bel et bien de me battre, et si on imaginait qu'un immortel totalement dingue tenterait de revenir à la vie et nous déclarerait la guerre, ce serait à moi de le dire à tous les habitants du monde. J'allais devoir annoncer au monde entier le danger qui les guette ! Et si je n'arrivais pas à empêcher la réincarnation d'Hepiryon, une nouvelle guerre démarrerait. J'allais envoyer des hommes se battre et quitter leur famille sans leur assurer qu'ils reviendraient sains et saufs. Je tentai de me rassurer en me disant que peut-être cela n'arriverait jamais. Après tout nous n'avions aucun signe avant-coureur que ce Hepiryon tenterait bel et bien de se réincarner. Ou même qu'il y arrive. Je restai malgré tout silencieux durant le reste du trajet, et Astérion respecta mon silence comprenant et partageant mes inquiétudes.
Une fois rentré chez moi, malgré le fait qu'il soit tard, je pris une feuille et un crayon. Mon humeur maussade, après mes réflexions, m'avait convaincu de rédiger cette lettre. Après plus d'une heure, à jouer au basket avec les boulettes de papier de mes précédents essaies jetées à la poubelle, je fus finalement satisfait de mon résultat : j'avais écrit un message que je laisserais à mes parents lorsque je partirais.
« Maman papa, je n'ai pas eu le courage de vous annoncer cela en face mais au moment où vous lisez ceci je suis probablement déjà loin. J'ai dû partir à cause de certaines circonstances que je ne peux vous expliquer pour le moment mais pour lesquelles je vous mettrai au courant dès mon retour. En lisant cela, vous ne comprendrez probablement pas mes raisons et serez inquiets, mais ne le soyez pas. Je ne peux pas vous dire où je pars et pour combien de temps. Sachez simplement que je reviendrai pour le mariage de Thomas et que je ne suis pas parti parce que je le souhaitais mais parce que je devais mettre certaines choses au clair. Je serai bientôt de retour, je vous le promets. Je vous aime tous. Peter. »
Cela fut plus compliqué que je ne le pensais d'écrire ces quelques lignes. J’espérais qu'ils ne s'inquiéteraient pas trop durant mon absence mais c'était le seul moyen que j'avais trouvé pour les informer de mon départ. Après mon séjour à l’hôpital, ils ne m’auraient jamais laissé m’en aller. Or, Astérion m’avait convaincu de partir au plus tôt. Je pliai le papier et le mis dans mon portefeuille pour l'avoir sur moi au moment où je devrais le laisser.
Je restais partagé entre l'improbabilité que tout ce que m'avait raconté Astérion se réalise un jour et le fait que sa présence ne pouvait pas être le fruit du hasard. Si lui était réel, son frère pouvait l’être aussi. Plutôt sceptique la veille, aujourd’hui je commençais à me demander si je ne me trouvais pas bel et bien pris en tenaille dans quelque chose qui me dépassait de loin.
Quelque chose que je ne pouvais comprendre entièrement.
Et si tout cela se réalisait vraiment ? Affronter des monstres et un dieu ? Certes mes pouvoirs et mon assurance me surprenaient et j'étais content de les avoir, mais je ne voulais pas que les posséder signifie que je doive me battre. Pourtant cela semblait être le cas et je n’avais pas d'autre option selon Astérion, excepté lui laisser le contrôle total, ce que je refusais. Quitte à posséder des pouvoirs, autant les utiliser et tout tenter par moi-même. Mais je gardais un infime espoir que rien ne se passe, que les Elementaris n'existent pas et qu'Hepiryon reste sagement sous forme d'esprit. Il avait dormi des milliers d’années, il pouvait bien dormir quelques millénaires de plus.
« Après cette lettre, je suppose que tu as pris ta décision, déduisit calmement Astérion.
— Je suis désolé Astérion, lui répondis-je. Je vais partir à la recherche des Elementaris comme tu me l’as demandé, mais si je dois vraiment me battre un jour contre les Xenos et ton frère, ce sera par moi-même. »
En disant cela, je craignis qu'il ne s'énerve.
« Tu sais déjà ce que j'en pense, souffla-t-il d'une voix pourtant paisible, mais je respecte ton choix. Espérons simplement qu'il soit le bon et que tu l'ais pris pour les bonnes raisons. »
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