Chapitre 27 : Une victoire tant attendue
À trois, le ballon fut lâché en direction du ciel, bientôt poursuivi une nouvelle fois par les deux Elementaris. J’encaissai la rafale libérée à leur passage, sans les perdre de vue. Cette fois cependant, ils n’étaient pas au coude à coude. Alatorn se fit rapidement devancer par Tenëma qui se rapprochait dangereusement du ballon. Je serrai les dents, accablé à l’idée que les rouges se saisissent de la balle et remportent la victoire.
J’espérais sincèrement que mes mentors gagnent !
« Pourquoi est-ce qu’il se laisse distancer ? interrogeai-je Kacelia sans détourner les yeux des deux Elementaris. Alatorn est blessé ? »
Mon amie ne me répondit rien, tout aussi captivée que moi. Ils s’élevaient de plus en plus haut. Encore quelques mètres et Tenëma atteindrait le ballon… C’est alors que le joueur rouge fut projeté contre le plafond du nid, comme si quelque chose venait de le percuter dans son dos. Et alors je compris : Alatorn n’était pas blessé, il s’était laissé dépasser pour atteindre son adversaire par derrière ! Un coup bas qui avait au moins eu le mérite de fonctionner. Écrasé contre les multiples branches de la Zonëa par un vent d’une puissance remarquable, Tenëma ne pouvait plus bouger. Les branches des arbres s’animèrent alors pour le ligoter et l’ensevelir sous l’écorce. Fermement retenu par l’étreinte des arbres, Alatorn put cesser de se préoccuper de lui pour tendre la main vers le ballon qui commençait à ralentir.
Je baissai la tête et vis Taliyah, les poings serrés en direction de Tenëma. J’applaudis, rejoint rapidement par les supporters bleus. L’équipe d’Elysion avait trouvé un moyen d’empêcher Tenëma de monopoliser l’attention d’Alatorn ! Maintenant, Thorn aurait beaucoup moins de facilité à se déplacer sur le terrain comme il l’avait fait jusqu’à présent ! Si les tribunes bleues acclamaient avec vigueur la ruse et le travail d’équipe d’Alatorn et Taliyah, ceux des rouges laissaient au contraire échapper des grognements outrés.
Alatorn ne leur prêta pas attention. Il saisit la balle et pivota pour retourner sur la terre ferme où il se posta derrière ses coéquipiers pour protéger la balle. Mais il n’était pas la cible des rouges. Daisyatïs fit jaillir l’eau de la rivière en direction de Taliyah afin de délivrer Tenëma de son emprise. Kalya réagit d’instinct. Elle se plaça entre l’attaque et sa coéquipière et, d’un mouvement, elle figea le liquide dans les airs. Tout le monde retint son souffle en voyant le fluide suspendu ainsi dans les airs. L’eau commença alors à devenir instable, comme si elle était tiraillée entre deux directions.
Les deux jeunes femmes affichaient un visage crispé.
« Elles livrent un combat mental, me souffla Kacelia, fascinée. »
Je ne compris pas exactement ce qu’elle voulait dire mais c’était palpable : quelque chose était en cours. Après de longues secondes de silence, l’eau reprit vie et fit demi-tour pour se retourner contre son envoyeur. Daisyatïs tomba à genoux au même instant, épuisée. Thorn, contraint d’agir, forma un barrage d’un geste qui stoppa la riposte.
« Elle a retourné l’attaque de Daisyatïs contre elle-même ? m’exclamai-je, les yeux écarquillés.
— Tu as vu ? s’écria Kacelia, le poing levé. Daisyatïs n’a rien pu faire !
— Mais comment… Comment elle a fait ça ?
— Tout est question de contrôle et concentration, m’expliqua mon amie, excitée. Lorsque deux Elementaris agissent sur la même essence, la même matière, c’est leurs deux volontés qui s’opposent pour savoir à qui l’élément obéira. Cependant, il est plus facile d’arrêter une attaque que de la renvoyer à son envoyeur ! Ce que vient de faire ma sœur…
— … est exceptionnel, terminai-je en soupirant. Pourquoi ne suis-je pas surpris ? »
Kacelia rit et conclut :
« Son esprit combatif est sans égal. »
Je lui jetai un regard en coin. Son ton n’était nullement envieux. En réalité, je décelai plutôt de l’admiration briller dans ses yeux. Pendant un instant, je fus tenté d’examiner ses sentiments avec mes capacités sensorielles, avant de finalement me raviser. Cela aurait été irrespectueux de sonder ses émotions sans son accord.
Je préférai reporter mon attention sur le match.
Taliyah, les sourcils plissés et le front en sueur, se démenait pour conserver Tenëma dans son étreinte. Ce dernier était toujours fermement maintenu par les branches au-dessus de nos têtes et se débattait pour s’en libérer. Sans omettre la distance, la tâche devait être rude pour Taliyah. Elysion se trouvait à côté d’elle et semblait lui murmurer des paroles inaudibles. Probablement lui soufflait-il des encouragements. De leur côté, Alatorn et Kalya étaient partis en avant. Ils passèrent du côté des rouges pour faire face à Thorn et Daisyatïs, qui s’était relevée.
Un tintamarre de clappements commençait à naître à l’intérieur de la Zonëa. Les spectateurs frappaient dans leurs mains au même rythme et accéléraient à chaque seconde, jusqu’à rendre l’atmosphère tendu. Pour ma part, je sentais mon cœur battre de plus en plus vite, patientant avec un mélange d’appréhension et d’excitation le moment où les Elementaris s’attaqueraient. Je ne pouvais plus détourner le regard de Kalya. Elle affichait un visage dur, poings serrés, prête à faire face à ceux qui lui barraient le chemin. Alatorn, à son côté, gardait précieusement la balle dorée sous sa main. Il affichait un air plus dégagé même si je me doutais que ce n’était qu’en apparence.
Après quelques instants à se dévisager, Thorn fut le premier à rompre l’attente. Dans un hurlement, il engagea l’assaut. Des rochers fusèrent en direction des deux membres de l’équipe bleue. D’un bond sur le côté, Kalya et son coéquipier esquivèrent l’attaque avant de se remettre en position défensive, sans répliquer. Ils cherchaient certainement une faille afin de percer la défense des rouges.
« Immobilise Alatorn ! ordonna Thorn à Daisyatïs.
Sans aucun signe avant-coureur venant de cette dernière, de la rivière jaillit une main liquide qui tenta de saisir Alatorn. L’Elementaris blanc, dans un réflexe exceptionnel, se jeta sur le côté pour esquiver. D’un mouvement, il appela l’air à l’aide et trancha le membre aqueux en deux. Mais Daisyatïs n’allait pas en rester là et la main se reforma presque aussitôt pour tenter une nouvelle fois de l’attraper. Cette fois cependant, le membre s’arrêta en plein élan. Kalya, dents serrées, opposait encore une fois son contrôle de l’élément face à celui de Daisyatïs.
La main devient instable et explosa en gerbes d’eau.
Néanmoins, Thorn et l’Elementaris de feu ne comptaient pas rester en retrait et, bientôt, une boule de feu et un bloc de terre assaillirent Kalya. Elle esquiva la première mais le second changea de trajectoire au dernier instant et la percuta en plein estomac, lui coupant le souffle. La main gauche sur son abdomen, elle se ressaisit et, d’un geste, tel un fouet, l’eau sortit de la rivière pour s’abattre sur ces deux adversaires. Thorn forma un mur qui stoppa net l’attaque qui les aspergea à peine.
« Elle ne pourra jamais vaincre les deux à la fois, grommelai-je, un peu inquiet. Pourquoi Elysion ne vient-il pas les aider ?
— Parce qu’il sait qu’ils n’ont pas besoin de lui, répondit simplement Kacelia, ses yeux bleus braqués sur sa sœur. »
Je regardai Alatorn, ballon toujours sous le bras, invoquant des rafales qui tranchaient chaque attaque de Daisyatïs qui l’assénaient. Kalya, quant à elle, devait faire face aux deux Elementaris.
« Parce que tu trouves qu’ils sont en bonne posture, là ? ironisai-je.
— Je pensais que Kalya t’avait déjà prouvé être plus doué que cela, répliqua sa sœur. Crois-moi quand je te dis qu’elle s’est entraînée suffisamment pour ne pas être vaincue aussi facilement. Elle sait rivaliser d’ingéniosité pour utiliser son élément, elle a forcément un plan !
— Tu as l’air sûre de toi, dis-je en haussant un sourcil. »
Pour toute réponse, elle posa son index sur ses lèvres pour m’inciter au silence. Puis, elle me fit signe d’observer le terrain tout en m’offrant un clin d’œil. Intrigué, j’obtempérai. Que voulait-elle dire ?
Deux boules de feu venaient de fuser sur mon mentor qui les évita de nouveau avec une grâce presque désinvolte. Elle semblait davantage danser que combattre. Après trois autres esquives, elle bondit en arrière et atterrit sur la surface de la rivière. À la manière de Leucaryos, elle ne coula pas.
Alors que ses adversaires hésitèrent à l’attaquer, perplexes, elle leva ses deux mains en direction du ciel. Rien ne se passa mais, soudain, une douleur indescriptible tordit son visage. Elle paraissait soutenir tout le poids du ciel à la seule force de ses mains. De ma vue aiguisée, je vis ses muscles contractés à rompre. Mais plus que tout, je ressentis la rage de vaincre qui l’animait.
Obnubilé, je mis quelques secondes à voir ce qu’elle préparait.
Toute l’eau qui avait été absorbée par le sol depuis le début du match était en train d’en être extraite sous forme d’une multitude de gouttes. Thorn et l’Elementaris de feu regardèrent ce spectacle, tétanisés. Les gouttelettes se réunirent et se resserrèrent pour les encercler. Le cri de rage de Kalya qui s’ensuivit aurait fait prendre peur n’importe qui. L’eau amassée fondit dans toutes les directions, telle une pluie de balles. Thorn fit apparaître de nouveaux murs mais tous s’effondrèrent sous le nombre. Les deux joueurs rouges ne tentèrent même pas de s’opposer et se recroquevillèrent, protégeant au mieux le visage.
Daisyatïs, alertée par ce revirement de situation, perdit une précieuse seconde à regarder ce qu’il en retournait. Cela offrit à Alatorn l’opportunité qu’il attendait. Il la propulsa dix mètres en arrière en invoquant une rafale. Puis, d’un bond de près de vingt mètres, amplifié par le vent, il ne perdit un instant et atterrit immédiatement sur la zone noire où il posa le ballon. Kalya cessa son attaque au moment où les gongs des tambours retentirent.
Les supporters bleus s’époumonèrent en cris de victoire. Eux-mêmes avaient du mal à croire ce qu’il venait de se passer. Tout en scandant le nom de Kalya, ils applaudissaient avec frénésie. Cette dernière tomba sur le fessier, haletante, tandis que ses coéquipiers la rejoignaient. Taliyah avait immédiatement libéré Tenëma qui était aux proies à une profonde colère. Avoir été ainsi exclu du combat, de la même manière qu’Alatorn plus tôt, ne lui avait pas plu. Mais je m’en fichais. En cet instant je n’avais d’yeux que pour mon mentor qui venait de me prouver que, malgré son jeune âge, elle savait rivaliser de virtuosité et de dextérité face à des guerriers tout aussi compétents qu’elle.
« Je te l’avais dit, me glissa Kacelia, pas peu fière. »
Je ne répondis rien mais le sourire que j’affichais suffisait amplement. Je faisais déjà de gros effort pour ne pas allier ma voix à celle des spectateurs.
« Ils sont à égalité à présent, poursuivit mon amie en martelant ses genoux de ses mains. Il reste à savoir si ma sœur arrivera à poursuivre ou non... Extraire une telle quantité d’eau du sol a dû lui demander beaucoup de ressource. Elle doit être exténuée ! »
En effet, sa sœur était encore au sol, vidant d’une traite la gourde apportée par Taliyah. Mais je savais déjà qu’elle n’allait pas abandonner maintenant, pas tant qu’elle tiendrait encore sur ses jambes. Comme pour me donner raison, elle finit par se relever avec l’aide d’Elysion et Alatorn, sous les encouragements de la foule. Elle fit ensuite signe à Leucaryos pour confirmer qu’elle continuait.
À cette annonce, le brouhaha doubla de volume.
L’Ancien venait de récupérer le ballon pour la troisième fois et s’apprêtait à le remettre dans l’eau. Les joueurs s’étaient réunis pour se mettre d’accord sur la stratégie à adopter, avant de finalement reprendre place sans qu’aucun des huit ne décide de laisser sa place. Cela devait bientôt faire une heure qu’ils jouaient et je voyais bien que tous étaient fatigués. Les voir ainsi, prêts à livrer l’ultime affrontement malgré leur état, forçait le respect. Les Elementaris de l’air atterrirent sur les rochers d’un bond pour une ultime fois. Le silence s’imposa peu à peu dans les gradins si bien que l’on pouvait presque entendre le crépitement des flammes. Les visages des joueurs étaient graves, entièrement focalisés sur la suite des événements.
Tout le monde avait le regard braqué sur les deux chasseurs, prêts à fondre sur leur proie. Le décompte débuta. La tension croissait à chaque doigt de Leucaryos qui s’abaissait. Lorsque son pouce s’abaissa, le ballon décolla et les deux Elementaris s’élancèrent à sa poursuite, mettant toute leur énergie à attraper ce ballon qui pourrait bien être celui de la victoire.
J’encaissai la rafale qui me repoussa lorsqu’ils passèrent devant-nous et les contemplai user de puissants vents pour se repousser, tout en montant de plus en plus haut. Le premier qui céderait mettrait en péril la victoire de son équipe, ils le savaient. Dans une impressionnante accélération, Tenëma dépassa Alatorn et se saisit du ballon. Il se retourna immédiatement pour faire face à ce dernier et, alors qu’Alatorn tendait la main pour saisir son poignet, Tenëma s’entoura d’un cocon de vent qui balaya Alatorn dès qu’il entra à son contact. Déstabilisé par la violence du cyclone qui venait de le frapper de plein fouet, et lui avait probablement coupé le souffle, il chuta.
À chaque seconde, je m’attendais à ce qu’il se reprenne et appelle un vent pour ralentir sa chute mais il dégringolait de plus en plus vite sans se ressaisir. Avant que je comprenne ce qui allait arriver, j’entendis une personne hurler au-dessus de moi et le Kalheni se lever brusquement. Mais un filet d’eau venait de jaillir de la rivière et atteignit Alatorn en vol, arrêtant sa dégringolade. Daisyatïs avait été la première à se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Avec douceur, elle le posa aux côtés de ses coéquipiers. Tous se pressèrent auprès de lui mais il s’était déjà redressé, quelque peu désorienté.
D’un geste, Elysion remercia Daisyatïs qui opina de la tête.
« Tu vois, me souffla Kacelia. Nous savons faire la part des choses. »
Je ressentis une bouffée d’affection pour l’Elementaris de l’eau tout en me sentant honteux de l’avoir si rapidement mal jugée. Comme en écho à mes pensées, toutes les personnes présentes applaudirent cet acte de générosité de la part de l’équipe rouge. Même les Kalhns s’étaient levés. Tenëma avait rejoint ses alliés, flottant encore à quelques centimètres du sol.
Après s’être assuré qu’Alatorn pouvait continuer, Leucaryos fit signe aux joueurs de reprendre la confrontation. Les joueurs se faisaient face de part d’autre du cours d’eau, prêts à relancer l’offensive. Tenëma conservait la balle dans ses mains, entourés de ses coéquipiers. Même l’Elementaris du feu était monté et avait délaissé son poste de défenseur. Kalya et Elysion ne perdirent pas un instant et, d’une même voix, s’exclamèrent :
« Encerclement ! »
Kalya s’élança et plongea. Instantanément, la rivière se mit à se balancer d’avant en arrière. Mon amie surgit alors à la tête d’une immense vague qui menaçait d’ensevelir l’équipe rouge. Thorn devait s’attendre à quelque chose de ce genre car il réagit immédiatement, formant un mur de terre plus imposant et résistant que tous ceux formés jusqu’ici. La puissance du raz-de-marée s’écrasa violemment contre sa défense, la faisant trembler. L’effort que produisaient les deux Elementaris pour ne pas céder était visible sur le visage mais c’était Kalya qui semblait sur le point céder en première.
Cela ne m’étonna guère après ses efforts précédents.
« Allez grande sœur, murmura Kacelia. »
Je devais être le seul à l'avoir entendu. Tout le monde regardait, époustouflé, ce combat de titans.
Derrière le tsunami, Elysion se mit à courir et bondit en direction du camp adverse. Son saut n’aurait normalement pas été assez haut pour dépasser Kalya mais Alatorn y remédia d’un geste de la main. L’air souleva son capitaine, le propulsant au-dessus de Kalya mais aussi dans le dos de l’équipe rouge, pris au dépourvu. Mon mentor se réceptionna dans une roulade et dirigea ses mains vers les trois autres joueurs des Grizzlys. Une vague incendiaire en naquit et menaça de les réduire en cendre. Mais son homologue de l'équipe ennemie répliqua, non pas en stoppant les flammes de la même manière que Kalya avait arrêté Daisyatïs, mais en invoquant ses propres flammes. Les souffles ardents, qui calcinèrent l’herbe sous leurs pieds, se bloquèrent mutuellement, libérant un flot de chaleur et de lumière éblouissante.
Daisyatïs n’osa pas reprendre le contrôle de l’eau que Kalya maintenait fermement sous son emprise. Elle préféra se tourner vers Elysion. Elle tendit sa main et fit naître un fouet d’eau qui cingla dans la direction du capitaine des Frôlons. Surgissant du sol, un mur intercepta l’attaque in-extremis. Taliyah et Alatorn venaient de rejoindre le combat, portés par les vents. L’Elementaris de la terre n’attendit pas que Daisyatïs réplique : elle posa sa main sur le sol et ce dernier se fractura sous les pieds de la joueuse rouge qui évita de justesse de tomber dans la crevasse. Alatorn tendit ensuite ses mains vers elle, faisant tournoyer l’air et enfermant bientôt la joueuse des rouges au cœur d’une tornade miniature. Je perçus Daisyatïs se jeter contre la muraille de vent pour s’en extraire mais au cri qu’elle lâcha, je compris qu’elle avait été violemment repoussée.
Tenëma, voyant que tous ses coéquipiers étaient en difficulté, s’élança dans les airs en direction du camp des Frôlons. Après tout, si Elysion se trouvait de ce côté-ci, il n’y avait personne pour défendre. Il avait le champ libre pour terminer ce match. Mais Taliyah avait anticipé la tentative. Des filaments épais, formés d’herbes entre-mêlées, s’étirèrent et s’enroulèrent autour des poignets et chevilles de l’Elementaris, qui se trouvait à un mètre du sol. Tenëma invoqua aussitôt du vent pour trancher l’un des entraves qui le maintenait par le pied mais Taliyah le fit revenir sur la terre ferme d’un mouvement puissant.
Là, la terre grimpa le long des jambes du joueur rouge avant de bientôt le recouvrir jusqu’au bassin et l’entraver pour de bon. Les lanières à ses poignets le forcèrent à relâcher sa prise sur la balle, qui tomba. À l’instant même où elle toucha le sol, elle redevint neutre. Alatorn invoqua une rafale qui la fit s’envoler immédiatement dans les mains de Taliyah.
« Fonce ! cria-t-il à cette dernière. »
Sa coéquipière ne se fit pas prier et fit s’extraire du sol un rocher dont elle se servit pour s’élancer en direction de la zone de point des rouges à la manière de Thorn plus tôt.
« NON ! rugit alors le capitaine des rouges. »
À cet instant, Kalya céda et Thorn repoussa sa vague qui se démantela. Mon mentor tomba dans l’eau, yeux clos, à bout de force. Mais Thorn ne se préoccupait plus d’elle. Il se retourna avec détermination et, d’un geste du poing, fit exploser le rocher de Taliyah en plein vol. Cette dernière, prise au dépourvue, roula sur le sol sans pour autant lâcher le ballon. Avant même qu’elle n’ait l’opportunité de se relever, Thorn ouvrit la terre sous les pieds de la pauvre Elementaris, sonnée, pour la recouvrir et l’engloutir telle une plante carnivore.
Les spectateurs des estrades de l’équipe rouge clamèrent le nom de celui qui venait de sauver son équipe de justesse. Il passa quelques secondes où les combats faisaient rage, mais tous les regards restaient braqués sur Thorn. Il restait dans la même position et nous nous attendions tous à voir le piège en forme de cocon se rouvrir et retrouver Taliyah, inconsciente par manque d’oxygène. Le visage de Thorn se tordit alors de douleur à l’instant même où une fracture se dessina sur le cocon. De nouvelles lézardes apparurent de part et d’autre de la structure jusqu’à ce que soudain, un morceau en tombe et je l’entrevis : Taliyah.
Debout, vaillante, les bras écartés, elle luttait pour reprendre le contrôle de la terre. Les cris des supporters des Grizzlys furent bientôt couverts par ceux des Frelons qui hurlaient le nom de celle qui tenait la victoire entre ses doigts. Je voyais dans les yeux de cette dernière tous les efforts qu’elle mettait en place pour lutter contre la volonté de Thorn. Ce dernier tentait désespérément de conserver le contrôle sur son élément et de consolider le cocon du mieux qu’il le pouvait.
Mais son affrontement contre Kalya l’avait épuisé.
Taliyah, dans un cri de rage, fit exploser sa prison et, par la même occasion, surpassa la volonté de Thor. Le capitaine des rouges s’écroula, à bout de force. Les supporters hurlèrent le nom de la joueuse bleue, martelant de leur pied dans un tumulte assourdissant. Ils le savaient, elle venait de vaincre le dernier rempart qui se dressait entre elle et la victoire.
Au même instant, comme pour anéantir tout espoir, Elysion parvint à vaincre l’Elementaris de feu des Grizzlys, laissant ce dernier allongé sur le sol. Taliyah lança la balle à son capitaine qui s’en saisit avant de franchir les quelques mètres qui le séparaient de la plaque noire tant convoitée. Au moment où il posa la balle, le vacarme devint insoutenable. Mais cette fois je m’en fichais et me joignis à eux.
Les Frôlons venaient de gagner !
Taliyah rejoignit Elysion et tous deux poussèrent des hurlements de joie tout en riant. Kalya, repêchée par Alatorn et Daisyatïs, souriait faiblement. Quelques mèches humides tombaient sur son visage exténué. Elle eut malgré tout la force de saluer le public qui le lui rendit en scandant son nom. Thorn, dépité, donnait malgré tout des tapes amicales dans le dos de ses coéquipiers déçus. Puis il se dirigea vers Elysion, qu’il dominait aisément de sa taille, avant s’incliner de bonne grâce devant lui malgré la nette déception qu’il devait éprouver.
Les vainqueurs se réunirent de leur côté du terrain, aux côtés de leurs adversaires, et ils s’inclinèrent devant la foule qui scanda le nom de chacun d’entre eux. Leucaryos s’approcha avec, dans les mains, cinq foulards dorés où un frelon avait été brodés. Eldaf passa à côté de moi et descendit en direction du terrain, porté par le vent. Avec grâce, il se posa face aux vainqueurs. Les perdants reculèrent d’un pas tandis que l’équipe d’Elysion s’inclinaient face à leur Kalheni. Celui-ci leur fit signe de se redresser et leur offrit à chacun un des foulards qu’ils enroulèrent autour de leur bras. J’aurais été prêt à jurer que son regard brillait de fierté lorsqu’il tendit sa récompense à Kalya.
« Moins tape à l’œil qu’une médaille ou un trophée, pensai-je, amusé. »
Tout le monde les applaudit encore une fois, y compris les Kalhns. Je sentais Kacelia trépigner sur place, contenant avec difficulté sa joie.
Il devait être aux alentours de neuf heures du soir lorsque la cérémonie des récompenses se termina et que nous pûmes descendre des gradins. De nombreux spectateurs des deux camps se hâtèrent immédiatement de faire la queue pour féliciter l’équipe d’Elysion, ainsi que celle de Thorn, pour ce match d’anthologie. Pour ma part, je décidai de remettre cela au lendemain. J'étais tout aussi fatigué que si je venais de participer moi-même au Dænami et ne souhaitais qu’une chose : dormir. Je laissai Kacelia, qui souhaitait les complimenter sans attendre, et partis en direction de la sortie de la Zonëa.
Étant apparemment le seul à avoir eu cette idée, cela m’évita d’être de nouveau bousculé par la foule.
« Alors ? dit alors une voix dans l’ombre. C'est plus impressionnant que vos sports de pacotilles, pas vrai ? »
Au son de cette voix nonchalante, je me retins de soupirer. Kalya sortit de l’obscurité et s’approcha de moi à grand pas.
« Pourquoi es-tu là ? m’étonnai-je. Tu n’es pas en train de signer des autographes ?
— Ce mot n’existe que chez les Hommes, pas chez nous, répliqua-t-elle. Mais non, toute ces célébrations ce n’est pas trop mon truc. Cela t’étonnera peut-être mais je n’aime pas spécialement être le centre de l’attention.
— La grande Kalya, grande gagnante de la finale de Dænami, effrayée par une foule de fan ? ricanai-je. »
Elle fit mine de vouloir me frapper avant de se figer et de grimacer.
« Nom d’un Eternel, j’ai mal partout !
— Tu arriveras à m’entraîner demain ? me moquai-je. Je n’ai pas envie d’affronter une vieille Elementaris bourrée de rhumatismes !
— Ne t’en fais pas, je serai amplement apte à te faire mordre la poussière même dans sept cents ans ! »
Cette fois je ris et elle-même sourit.
« Je comptais te féliciter demain, finis-je par dire, mais comme je peux le faire maintenant, je voulais te dire que tu avais raison. Le Dænami est impressionnant et vous avez été incroyables ce soir.
— Heureuse de te l’entendre dire ! Maintenant, excuse-moi mais je vais me dépêcher de rentrer chez moi avant qu’un… fan ne me voit. »
J’haussai un sourcil en l’entendant prononcer un mot en français mais n’ajoutai rien de plus. Elle se retourna en me faisant un signe de la main, et disparut entre les arbres.
Cette fille était tout aussi étrange que surprenante.
Je réprimai un nouveau rire et entrai à mon tour dans la forêt.
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