Le silence d'une mère (suite et fin)

6 minutes de lecture

L’article précisait que la police demandait à toutes les personnes pouvant les aider à identifier la jeune fille sur les photos de, soit les contacter, soit se présenter au poste de police le plus proche. Marie n’hésita pas très longtemps, la police souhaitait des informations sur elle, elle voulait des réponses, ou du moins des explications à cette journée invraisemblable. Elle prit ses affaires, fit signe à Sophie pour lui dire au revoir et qu’elle reviendrait plus tard, et s’en alla en direction du commissariat. 

Sur le chemin, Marie eut encore droit aux regards, et bien qu’elle savait maintenant pourquoi, ce n’en était pas moins pesant et gênant de sentir ces yeux braqués sur elle. Une fois au bureau de police, la plupart des agents, la reconnurent immédiatement et les autres ne tardèrent pas. On lui demanda d’attendre dans une petite salle, visiblement , ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle débarque aussi vite, mais ils appliquèrent la procédure mise en place pour cette affaire. Elle patientait donc le temps pour eux d’appeler les responsables de l’enquête pour qu’ils viennent la voir.

Un peu plus de dix minutes plus tard, un homme entra dans la pièce où Marie attendait. La quarantaine, le visage aux traits durs accentués par des cheveux noirs coupés court dans le style militaire. Il se présenta comme étant l’inspecteur Marc Cottier. Il la mena dans une salle de réunion à peine plus grande que la pièce d’où ils venaient. Cottier sortit un ordinateur portable et l’alluma. Durant les quelques minutes, un silence s’installa, elle n’osait pas parler et lui attendait que sa machine soit opérationnelle. L’atmosphère commençait à être pesante quand il se décida à poser ses premières questions. Il voulait d’abord compléter son dossier sur elle, jusqu’à présent il ne connaissait que son prénom : Marie. Elle répondit à toutes sans vraiment y réfléchir. Ensuite il lui montra la photo d’un homme, les yeux fermés, le teint blafard, elle comprit vite qu’il s’agissait de l’homme abattu dans la ruelle. Ce n'était pas comme à la télévision, voir la photo d’un homme mort en vrai, lui donna un léger haut-le-cœur. Après quelques secondes d’adaptation, elle regarda attentivement le visage de la victime. Devant son absence de réponse, l’inspecteur insista, en lui approchant le cliché plus près de son visage. Elle ne reconnaissait pas son père, mais le seul portrait de lui sur lequel elle pouvait se baser datait de plus de dix-huit ans.

Voyant son hésitation, il remit la photo dans son dossier, elle le regarda et lui dit simplement qu’il ne s’agissait pas de son père. Devant sa surprise, elle prit son portefeuille et sortit la photo d’elle et son père. L’inspecteur Cottier reconnu immédiatement la photographie et comprit. Il la questionna au sujet de son père, mais comme elle n’avait que très peu d’informations sur lui, au bout de dix minutes, il referma son ordinateur et partit sans plus d’explication. Marie se retrouva complètement perdue sur le trottoir devant le commissariat. Elle avait été naïve de croire que l’inspecteur l’aiderait à comprendre, lui voulait juste faire avancer son enquête. Elle en revanche n’était pas beaucoup plus avancée.

Tout ça avait un rapport avec son père, mais lequel? Une seule personne pouvait répondre à cette question. Elle en était déjà effrayée, il n’y avait qu’un seul sujet tabou entre elle et sa mère, c’était bien celui-là. À chaque fois, elle entrait dans une énorme colère et Marie ne pouvait que partir s’isoler dans sa chambre ou changer de sujet le plus vite possible. Cette fois pourtant, il fallait absolument en parler. Contrairement à son habitude, elle préféra interpeller un taxi plutôt que de prendre le métro, ça lui évitera de subir une autre salve de regards insistants.

Elle descendit dans la rue de la Crimée, devant l’appartement de sa mère. Au lieu de sonner, Marie utilisa la clef qui lui avait été confiée en cas d’urgence. Elle trouva sa mère obnubilée par les journalistes de la chaine d’information en continu qui semblaient ne pas avoir beaucoup plus de matière que ce matin. Lorsqu’elle vit sa fille, les larmes commencèrent à couler en suivant les tracés laissés dans son maquillage par toutes celles qui avaient déjà coulées depuis plusieurs heures.

Marie s’assit sur le canapé aux côtés de sa mère, mais celle-ci refusait de la regarder. Ce n’est que lorsque sa fille la força à relever la tête, qu’enfin elle put lire dans les yeux de Marie un mélange de tristesse, de colère, mais surtout, d’incompréhension. La jeune fille ne céda pas et devant la volonté de sa fille, la mère se décida à tout lui raconter, après tout ce temps, il fallait que ça sorte.

Son père était un homme exceptionnel, et avec sa mère, ils avaient été heureux pendant plusieurs années. Tout s’était passé très vite, à peine quelques mois après leur rencontre, ils se marièrent et eurent une fille, Marie. Leur vie prit une tournure désastreuse quand, lors d’un déplacement professionnel, il tua un homme et son fils. C’était un accident, dans une rue d’un village proche de Paris, un enfant s’était mis à courir derrière un chaton, il se retrouva sur la route face à la voiture. Le père du petit s’était jeté sur son fils pour le protéger. Le père de Marie, dans la voiture, roulait un peu trop vite et n’eut pas la temps de freiner. Il percuta l’homme dans son dos et le choc se propagea et tua l’enfant sur le coup, le père, lui, mourut juste avant que les secours arrivent.

Le procès fut rapide, comme il avait appelé lui-même la police et s’était déclaré coupable, le juge trancha pour une peine de prison de 15 ans fermes. Le père de Marie ne protesta pas, quand on a la mort de deux personnes et la destruction d’une famille sur la conscience, aucune peine ne peut sembler trop lourde.

Les quelques mois qui suivirent le verdict, Marie et sa mère allèrent le voir plusieurs fois par semaine, mais très vite, il devint très dur pour elle de voir son mari dépérir de plus en plus. Elle savait qu’elle n’arriverait jamais à tenir plusieurs années de cette façon-là. Elle décida de fuir avec sa fille, se refaire une nouvelle vie, rien qu’elles deux. Sa mère espéra que les souvenirs de son père s’effaceraient de sa mémoire. Pendant plusieurs années, elles vécurent heureuses, mais Marie posait quand même des questions, ce qui avait le don de l’énerver pourtant, elle ne pouvait pas lui en vouloir.

Toutes ces années à imaginer son père homme d’affaires international, garde du corps personnel d’un président ou même agent secret, tout ce qui pouvait justifier son absence. Jamais elle n’aurait pu penser à ça: enfermé dans une prison pour avoir tué deux personnes, aucun enfant, ne pouvait imaginer cela. Alors que toutes les émotions possibles parcouraient son corps. Il fallait qu’elle digère toutes ces informations et pour  ça, il allait lui falloir une nouvelle tasse de café.

Elle mit sa veste et prit sons sac, elle se dirigea vers la porte d’entrée sans un regard à pour sa mère. Elle ouvrit la porte et fut saisie par le changement de température, le froid la fit frissonner. Sur le trottoir d’en face, sous les arbres des Buttes-Chaumont, un homme la regardait avec un grand sourire. Marie le reconnut tout de suite : son père.

Le froid se fit de plus en plus intense et soudain la neige se mit à tomber, un flocon vint s’écraser sur son visage et tous les évènements de la journée apparurent par flash devant ses yeux. Elle en était à se revoir ouvrir la porte pour sortir de chez sa mère, quand elle entendit une détonation assourdissante qui fut suivie d’une douleur lancinante au niveau de son ventre. Elle s’écroula sur le perron, ses mains qui s’étaient automatiquement placées au niveau de la plaie étaient déjà couvertes de sang. Après quelques secondes qui lui parurent des heures, de grosses bottes noires entrèrent dans son champ de vision et s’immobilisèrent quelques secondes durant lesquelles elle crut entendre son père dire quelque chose qu’elle ne comprit pas. Les chaussures disparurent en direction de l’intérieur de l’appartement. Elle entendit alors une deuxième détonation suivie d’un long cri. De nouveau les bottines noires revinrent à hauteur de ses yeux. Elle entendit une troisième détonation et plus rien, le vide, le noir.

Annotations

Vous aimez lire Mister Writer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0