I.
Les flammes sont d’élégantes danseuses. C’est la réflexion qu’il se fit en observant celle de sa bougie trembler et vaciller au gré du vent. Il aurait voulu être comme elle : elle, elle savait comment se nourrir de ses plus grands ennemis pour en faire sa force. Elle hésitait, fléchissait, frôlait parfois la mort, mais elle ne s’éteignait jamais.
Il détourna son regard de la bougie pour le poser sur le carnet grand ouvert au milieu du bureau. La première page, semblable à une gueule béante, était encore vierge. Il tenait pourtant sa plume avec fébrilité, à quelques centimètres de la page, et l’avait déjà plongée dans l’encrier. Mais il était incapable de la poser et d’inscrire ses premiers mots sur le papier. L’excitation au creux de son ventre se mêlait à une angoisse grandissante. Comment devait-il commencer ce carnet qui allait l’accompagner dans son aventure d’écrivain ? Quels mots devait-il choisir, et comment savoir s’il s’agissait des bons ? Toute la semaine, il avait ruminé cette pensée et s’était enfin, au bout de quelques jours, décidé avec une certitude inébranlable. Maintenant qu’il se tenait devant cette page blanche avec l’acte à accomplir, il n’était plus aussi sûr de lui.
Le fil de ses pensées s’interrompit avec brutalité lorsqu’il constata que les gouttes sombres s’écrasaient sur le bois de cèdre. Les tâches d’encre s’étalèrent dessus, et après les avoir contemplées quelques instants avec fascination, il saisit un chiffon usé pour les essuyer. Après une profonde inspiration, il replongea sa plume dans l’encre : il ne pouvait plus se permettre de reculer. Posant la pointe noire sur le papier, il commença à calligraphier d’une écriture ronde et fluide :
« Nathaniel MOSNERON-BOLER »
Il releva la tête, s’éloignant de sa feuille pour contempler les premiers mots qu’il avait inscrit. Ils n’avaient rien d’original ou de superbe : il ne s’agissait ni plus ni moins de son propre nom. Il se laissa aller contre le dossier de sa chaise, poussant un long soupir de soulagement en observant l’acte désormais accompli. Ne venait-il pas de faire le premier pas, le plus dur de tous ? Il se laissa quelques secondes pour prendre de grandes respirations sans détourner les yeux de son nom, écrit sur le papier à l’encre indélébile. Un geste irréversible. Il savait que ces traits, qu’il venait de tracer, marquaient le début de son voyage d’écriture.
Il n’avait aucune idée sur la manière d’agrémenter sa page de garde. Après quelques secondes de réflexion, il se repencha sur son carnet et tourna la page. Une nouvelle page blanche s’étendait devant lui et il reprit en main cette plume qui l’avait précédemment guidé. Il savait ce qu’il voulait écrire : il sentait une amertume cynique au fond de sa poitrine et il devait l’exprimer. Les mots se bousculaient en lui mais cette fois, il n’eut aucun doute. Dès qu’il posa la pointe de la plume sur le papier, il se sentit pris d’une violente frénésie d’écriture. Il n’entendait plus le bruit régulier de l’horloge, et il ne percevait plus la fatigue. Malgré les lettres tremblantes et les mots écorchés par son regard troublé, il ne redressa la tête à aucun instant. La pulsion de l’écriture semblait plus puissante que n’importe laquelle de ses sensations et de ses émotions.
Lorsqu’il tomba à court de mots, la nuit était déjà bien avancée : en jetant un œil à l’horloge, Nathaniel constata qu’il était plus de trois heures. Comme s’il revenait à la réalité, il sentit le poids de l’épuisement s’abattre sur lui. Il passa une main devant ses yeux alourdis et reposa la plume dans l’encrier. Il avait griffonné des pages entières d’inscriptions que, pour l’heure, il était incapable de relire.
« — Demain… »
Sa voix n’était plus devenue qu’un faible murmure. Plaçant le carnet sous son bras et prenant la bougie d’une main, il sortit hâtivement du cabinet paternel. Après un dernier coup d’œil à l’intérieur, il s’éclipsa dans les escaliers de la demeure, tel une ombre. Seule la lueur de la flamme trahissait sa présence dans les lieux endormis, qui, dans l’obscurité, lui semblaient être tout autres. Il s’empressa de rejoindre sa chambre à coucher et, après avoir posé son carnet sur sa table de chevet, il se glissa dans son lit et sombra dans le sommeil.
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