Chapitre VIII - "Mise au clair"
Sur le chemin jusqu’à la chambre C5, Tia avait tenu la manche de son aînée en traînant des pieds. Je les avais suivies sans dire un mot, ne sachant comment engager une conversation. Finalement, avant de passer le pas de la porte de leur chambre, la fille dont je ne connaissais pas encore le nom se tourna vers moi.
Lise: “ Au fait, moi c’est Lise et, elle, c’est Tia. Entre et assieds-toi sur un fauteuil. “
Je m'exécutai, faisant le premier pas dans leur appartement. La configuration était exactement la même que dans le mien et il était également très bien rangé. Je pris place, tandis que Lise s’assit sur le canapé. Après avoir prit un gâteau sec dans une armoire, Tia la rejoignit et se coucha en posant sa tête sur les cuisses de sa camarade. Lise m’observait avec un regard préoccupé. Malgré son air calme et réfléchi, il me sembla apercevoir de l’hésitation dans ses yeux. Une sorte de doute, comme si elle était confrontée à un problème dont elle n’avait encore jamais considéré l’éventualité.
Lise: “ Je vais être franche… Je n’aime pas les Hybrides. C’est à cause d’eux que notre équipe est comme elle est. Ce sont eux qui font pleurer Rin. Ils ont tué des centaines de milliers, voire même des millions de personnes à eux seuls. Ils sont la cause de la disparition de la plupart des villages de survivants. Après de tels actes, difficile de les distinguer des Yajuu… “
Je comprenais bien le sens de ses paroles. Pour la majeure partie de la population, ayant perdu un ou plusieurs proches de ce fait, les Hybrides n’étaient qu’une menace à éradiquer. Je serrai le poing, frustré. Dans un certain sens, je préférais amplement une personne qui me disait ces choses en face, plutôt que quelqu’un qui n’osait même pas me regarder. Mais tout de même, ces mots faisaient mal. Je n’avais pas choisi d’être ce que j’étais, je devais vivre avec, et en subir les conséquences. Pourtant, à ma grande surprise, le visage de mon interlocutrice se détendit.
Lise: “ Cependant… J'aime encore moins ranger les gens dans des cases et je déteste par dessus tout les personnes qui jugent les autres avant de les connaître. Je n’ai donc aucune raison de m’opposer à ta présence dans l’équipe. Mais avant toute chose, je voudrais que tu répondes à cette question. Pourquoi veux-tu devenir Ryoushi, qu’est-ce qui va te pousser à te battre ? “
La réponse me parut évidente. Je n’avais rien choisi, j’avais été conditionné à l’être depuis ma naissance. Mais ça n’était définitivement pas la réponse qu’elle attendait. Que pouvais-je dire ? Ma haine contre les Yajuu ? Je n’avais pas de raison particulière d’en avoir. Un désir de gloire ? Loin de moi cette pensée. À la limite, j’aurais au moins pu vouloir redorer un peu le blason des Hybrides, prouver que certains se battaient du coté de l’humanité, mais tout cela m’importait peu… Par élimination, il restait la survie de l’humanité. Un but que tous recherchaient, simplement poussés par leurs instincts. Au final, il m’était impossible de déterminer ce qui me motivait vraiment et je choisis donc de répondre de manière honnête.
“ Je ne sais pas. La question ne s’est jamais posée… Dans l’immédiat, je ne peux pas te répondre. “
Lise: “ Ça me convient. De ce que j’ai pu entendre, les Hybrides perdent le contrôle de leur pouvoir lorsqu'ils n’arrivent plus à maîtriser leurs émotions. Je veux juste m’assurer que nous n’aurons pas à te supprimer si jamais tu te laisses déborder. “
“ Et toi, pourquoi tu te bats ? “
Elle passa d’un geste délicat sa main dans la chevelure hirsute de la fille qui se servait d’elle comme oreiller.
Lise: “ Je veux offrir à ma soeur un monde où elle n’aura plus à se battre. “
Tia était donc bien sa soeur. D’un point de vue physique, ça tombait sous le sens. Lise posa sur elle un regard protecteur, empli de tendresse. Cette dernière ne le remarqua pas, mais on pouvait ressentir le sentiment de sécurité qu’elle éprouvait. Après avoir caressé une énième fois le visage de Tia, Lise me regarda en reprenant un air sérieux.
Lise: “ Parlons un peu de Rin… Tu as pu te faire toi-même une idée de son état psychologique… “
Je racontai aux deux filles la scène qui s’était produite quelques minutes auparavant, en omettant volontairement certains détails embarrassants.
“ Je ne sais pas trop quoi en penser… Sur le dossier d’équipe, j’ai lu une note selon laquelle elle haïerait les Hybrides, mais elle avait l’air bien plus triste que colérique. “
Lise: “ Pour te raconter brièvement, elle a du mal à faire face à ses souvenirs. Elle vient d’un ancien camp de survivants qui a été rasé par une Hybride. Elle a tout perdu, à l’exception de sa soeur. “
“ Elle a une soeur ? “
Lise: “ C’est le dernier membre de l’équipe, tu auras l’occasion de la rencontrer. Elle s’appelle Talim. Ah, et ne t’inquiète pas, elle était plus jeune que Rin lors des évènements, elle a eu beaucoup moins de mal à passer l’éponge, bien qu’elle ne tienne probablement pas les Hybrides en très haute estime… “
La conversation fut coupée de manière brutale par le gémissement grave d’un estomac qui criait famine. Lise baissa les yeux en rougissant. Son air jusque-là sérieux venait de se décomposer pour laisser place à une visage embarrassé adorable. Tia lui tendit le biscuit à moitié grignoté. Un petit rire m’échappa, soulagé de voir que la situation dans laquelle je m’étais retrouvé s’était détendue pour quelque chose d’aussi simple.
“ Il n’est même pas encore dix-sept heures, tu as déjà faim ? “
Lise: “ C’est… c’est compliqué… “
Tia: “ En fait, on a pas assez d’argent pour s’acheter à manger. “
Lise: “ Tia ! “
“ Alors ce soir c’est moi qui cuisine. Je vais faire à manger pour cinq personnes, si vous voulez bien prévenir les autres pendant que je prépare tout ça. “
Lise: “ Tu n’es pas obligé, on peut… “
“ Si je veux faire partie de l’équipe, il faut bien que j’y mette du mien. Et puis, c’est bien le minimum que je puisse faire pour le moment. “
Je souriai en la regardant directement dans les yeux. Elle était encore gênée, mais je pouvais lire sur son visage une certaine forme de reconnaissance. Elle acquiesça en me remerciant, et je partis immédiatement faire les achats nécessaires.
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