Partie 4

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Hadjunn Dalavine, les mains croisées dans le dos, se tenait devant la baie vitrée par laquelle Ili, le premier des soleils jumeaux, déversait sa lumière accablante dans son bureau. Les pieds à la frontière de l’ombre, il attendait sans jamais franchir la ligne devant lui. Comme tout citoyen de l’astre-cité, il évitait le jour autant qu’il le pouvait. Seulement, en tant que Caper, chef de la prison de Malker, il consacrait des heures entières à se baigner dans l’éclat d’Ili et Eur, en priant pour que son calvaire soit de courte durée. Il avait tout de même de la chance : comparé à tout autre Malkérien, il divisait par deux son temps moyen passé devant un écran ; en tant que chef, il avait également la possibilité de se réfugier dans son bureau, privilège que ne possédaient pas ses subordonnés.

— Caper ? l’appela un garde sur le seuil de la porte. Le médecin dit que l’intrus va bientôt se réveiller.

— Bien. Il est temps de lui rendre une petite visite.

Hadjunn referma sa veste, enfila ses lunettes de soleil et lissa ses cheveux poivre et sel. Une fois qu’il eut posé la casquette sur sa tête, il emboîta le pas à son messager qui, intimidé, se déhanchait curieusement dans son uniforme un peu trop grand. Encore un nouveau qui va vite regretter son choix, se dit-il en fourrant insouciamment les mains dans ses poches.

Ils étaient nombreux à se sentir pousser un courage idiot qui les forçait à s’engager sans savoir en quoi cela consistait. Ils pensaient servir à la cité, la protéger du mal et rassurer femmes, enfants et personnes âgées. La vérité était toute autre : les bleus étaient envoyés à la prison, une semaine d’entraînement pour tout bagage. Là, ils devaient apprendre sur le tas la vraie difficulté du métier : les soleils jumeaux qui ne cessaient jamais de briller. La prison avait été conçue dans le seul but de s'abreuver de cette lumière. Perchée au sommet d'un gratte-ciel, ses murs et son plafond translucides aveuglaient surveillants et prisonniers à toute heure de la journée. Beaucoup de gardes abandonnaient à ce stade ; pourtant, la patience et la rigueur étaient gracieusement récompensées : régulièrement, quelques uns étaient réquisitionnés pour former des patrouilles urbaines.

À terre ou dans les immeubles, ils n’avaient plus à affronter les lumières d’Ili et Eur. En revanche, ils faisaient face à un nouveau problème : la technologie de Malker. Partout, des écrans s’animaient, diffusaient des images, des caractères ou même des vidéos. Partout, des citoyens s’activaient sur leurs ordinateurs pour entrer des données dans les serveurs, contrôler le bon fonctionnement des usines et des machines automatisées ou tout simplement pour s’accorder une petite pause et s’amuser de quelques rires libérateurs.

Quitter un mal pour un autre, c’était la vie d’un garde sur l’astre-cité. Lui-même était passé par là pendant de longues années avant de devenir Caper. Une promotion, avaient-ils dit. Dalavine ne se sentait pas mieux pour autant. Il devait passer ses journées entières sur les toits malkériens à surveiller des prisonniers assommés par les astres. Quand il pouvait enfin rentrer chez lui, sa femme l’ignorait, absorbée par les signes qui dansaient sur son ordinateur. Même en s’enfonçant sous les couvertures, le souvenir de l’éclat des jumeaux venait illuminer ses pensées et il n’arrivait pas à dormir. Alors il faisait comme tout le monde : il allumait un écran et y passait le reste de son temps, sans fermer l'œil de la nuit.

C’était cela, vivre sur Malker. Il se demandait chaque matin ce qui le retenait ici ; pourtant, que ferait-il autre part ? Il n’avait aucun talent particulier. Il était Caper et cela n’existait nulle part ailleurs.

— Nous sommes arrivés, souffla le garde en s’effaçant pour laisser place au médecin de la prison.

— Caper, le salua le docteur en lui tendant une main qu’il serra avec vigueur. Vous arrivez à point nommé, il ne devrait plus tarder à émerger. Je tiens à vous prévenir que le prisonnier risque d’être encore sonné et, je le crains, peu coopératif. Sa chute aurait pu le tuer et sa combinaison a bien failli le faire ! Nous avons dû la couper pour le sauver : quelques minutes de plus et elle lui broyait le corps.

— Un dysfonctionnement ? s’enquit Hadjunn.

— En effet. La combinaison n’a pas supporté le choc.

— Ne sont-elles pas prévues pour ?

— Je le pensais également, mais nous avons découvert une autre anomalie : il n’avait aucun jet-pack pour atterrir. Si vous voulez mon avis, cet homme a volé le mauvais matériel et s’est enfui au plus vite.

Le Caper fronça les sourcils et pivota vers la cellule. Malgré ses verres teintés, la lumière qui passait à travers les parois translucides l’aveuglait. Il dut plisser les yeux et froncer les sourcils pour apercevoir, étalée sur une couverture au sol, une silhouette informe dans le contre-jour.

La combinaison avait été détruite avant qu’il ne puisse la voir, mais l’un des gardes lui avait apporté, sur son ordre, le masque de l’intrus. Il l’avait étudié longuement pour être sûr de lui : c’était un agent qui avait fait un trou dans les tentures du marché. Pourtant, les anomalies rapportées par le médecin contrariaient ses certitudes. Les agents ne plongeaient pas sans le matériel adéquat et, contrairement à son collègue, il doutait qu’il s’agisse d’un fuyard ; personne n’échappait à l’Agence.

Hadjunn fit un signe à la caméra de surveillance pour qu’on lui ouvre la porte. Dans un grincement désagréable, celle-ci glissa dans son rail et il entra, les mains croisées dans le dos pour se donner meilleure allure. En approchant, il aperçut qu’un hématome impressionnant dévorait le quart du visage de l’intrus, gardant son œil gauche constamment clos. Un tel traitement était inadmissible dans son établissement ; l’air sévère, il se tourna vers ses subordonnés et demanda d’un ton sec :

— C’est vous qui avez fait ça ?

— Bien sûr que non ! s’empressa de répondre le docteur, paniqué. Nous l’avons découvert ainsi en lui retirant son masque. Nous pensions que c’était dû à la chute, mais en y regardant de plus près, je crois qu’il s’est blessé avant de plonger. Un prisonnier, peut-être ?

L’Agence ne fait pas de prisonnier, pensa-t-il sans prendre la peine de partager son savoir avec ses subordonnés. En admettant qu’un jour, elle ait décidé de capturer un homme, il était peu probable que celui-ci réussisse à s’enfuir. Même s’il en était capable, il ne pourrait pas voler de combinaison, incomplète ou non ; seuls les agents savaient les enfiler et les utiliser.

Il devait donc s’agir de l’un d’eux. Dalavine n’en connaissait qu’un qui soit assez fou pour plonger avec une armure défaillante et sans jet-pack. Cependant, cette connaissance n’avait aucune raison de se trouver ici aujourd’hui. Un mauvais pressentiment au fond du ventre, il poussa du pied l’épaule du blessé pour le faire rouler sur le dos. Quand la lumière des soleils baigna le visage endormi, il grimaça malgré lui.

— Mais qu’avons-nous là ? souffla-t-il méprisant.

Comme il l’avait supposé, un agent se tenait devant lui, mais pas n’importe lequel d’entre eux. Un désastre ambulant qui détestait l’astre-cité et s’arrangeait toujours pour semer la zizanie derrière lui. Aujourd’hui, c’était à lui, le Caper Hadjunn Dalavine, de l’empêcher de nuire à la société et il était prêt à tout pour y arriver, même à tuer. Pour commencer, il ferait tout son possible pour garder l’agent en cellule. Ensuite… il aviserait.

— Ne devrait-on pas en informer le Maire, Caper ? s’inquiéta le médecin. Si les alliés de cet homme viennent le chercher, nous aurons des problèmes et ce, peu importe son camp. Nous devrions le libér-…

— Non, le coupa Hadjunn. Ce n’est pas la première fois que cet intrus se fait remarquer sur Malker. Il déteste notre ville et rêve du jour où il pourra la détruire ! Si nous le libérons, il créera des problèmes et nous en serons tenus responsables. Il est bien mieux en prison. Mais n’ayez aucune crainte, je connais cet homme ; je vous assure qu’il n’a ni ami ni allié. Laissez-moi vous présenter l’homme le plus seul de tout l’univers : J.C. Krane.

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