Le cri
C'est un jour sans. Il fait beau dehors. J'aurais tellement de choses à dire. Il ne faut pas se plaindre. Il ne faut pas. Pourtant. Je me sens abandonnée. Je sais que ça n'a aucune sorte d'importance dans la course du monde, et pourtant, depuis mes yeux, c'est le monde qui est autour de moi. Comment ne pas devenir folle? Les contradictions s'empilent. On nous a appris qu'il était impossible d'être partout et nulle part à la fois. Que tout est le contraire de rien. On nous a appris beaucoup de choses, que l'on a crues ou pas. Pourtant.
Pourquoi, comment m'en vouloir encore? Si j'étais certaine qu'elles comprennent, qu'ils comprennent tous, je dirais ma vérité. J'essayerais. Est-ce de l'égocentrisme, est-ce pour éviter de sombrer la folie qui frappe à ma porte? Nous ne comprendrons jamais rien à l'Homme. Ces temps je suis perdue. Je suis tout et rien à la fois, n'en déplaisent à ceux qui nous ont appris les règles de l'impossible, trop remplie et pourtant si vide.
Je sais que je ne suis pas quelqu'un de facile. Je me laisse déborder. Je sais que ce n'est pas votre problème. Ce jour-là était un jour sans aussi. Un jour si noir que la tristesse, lasse de se faire son propre écho, lasse de rebondir sur vos sourires de façade sans jamais en troubler la surface, la tristesse est devenue colère. Vous n'avez pas voulu comprendre, vous n'aviez pas voulu comprendre. Qui sait? Peut-être m'étais-je mal exprimée. Ou pas exprimée du tout. Pour ma défense, on nous apprend cet art dès le plus jeune âge, et je suis bonne élève. J'ai appris la leçon; la tristesse est encombrante. Mais il ne s'agit pas de se défendre, ni d'accuser. Ceci n'est pas un procès, ni le mien ni le votre. Quoiqu'à y bien réfléchir, le mien a déjà eu lieu, et j'aimerais dire que je me sens condamnée par vos regards, votre distance. Votre silence. Je ne sais plus quoi faire de toute ça. Parfois, j'aimerais ne plus rien avoir à en faire.
Probablement, vous n'avez pas pensé à tous les échos de votre sentence. Pourtant. Pourtant ils résonnent. Que faire quand un faux-pas peut valoir le désamour de la personne qui vous a mise au monde, le désamour de celles qui ont grandi à vos côtés? Comment ne pas rester figé, de peur de se tromper de nouveau? Comment faire confiance quand l'abandon est là, si proche? Je tremble sur mes fondations que je découvre si fragiles.
J'avais essayé de vous le dire. Je crois. Cela fait si longtemps, je ne suis plus sûre de rien. Je me rappelle de sensations, de sentiments qui débordent. De vagues, de larmes. De la boule logée dans mon estomac. Je me rappelle des médicaments, dont personne n'a rien voulu savoir. Je me rappelle que je suis restée paralysée la semaine précédent ce jour sans. C'est à cause de ma tête. J'avais peur. Peur de ne pas être comprise, de ne pas être entendue. Et comme souvent quand la peur prend le dessus, j'ai couru à ma perte. Mais ce que je voudrais que vous compreniez, ce qu'il faut que vous compreniez, c'est que peut-être pour une fois, j'avais raison d'avoir peur. Cette peur qui me paralysait n'était pas une invention, je ne l'ai pas sortie de nulle part; je vous connaissais. Vous avez réagi exactement comme je redoutais que vous réagiriez. Tout ceci est d'une tristesse. J'ai explosé ce jour-là, parce que j'avais trop peur de faire sortir les larmes avant. J'avais trop peur que vous y voyiez une accusation quelconque. Il est malvenu de se sentir mal; on pourrait blesser quelqu'un. Aujourd'hui je reconnais ma faute, mais je sais aussi d'où elle vient. Et elle ne mérite pas ça. Je ne sais plus qui je suis. Qui j'ai le droit d'être. Qui, au fond, sera capable de m'aimer et que dois-je abandonner de moi pour que ce soit le cas? Voilà la question qui depuis trois ans résonne dans ma tête, depuis cette soirée où j'ai essayé bien maladroitement de faire entendre ma voix. Depuis, il m'est impossible de crier, même dans mes rêves.
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