Chapitre 12
Depuis le début de ses vacances, Rickie tournait en rond dans son appartement. Il restait plutôt à traîner dans son pantalon de jogging informe et dans son vieux pull troué. Il passa la plupart de ses journées avachi devant son poste de télévision, sans véritablement suivre un programme en entier. Le poste radio lui rappelait que la terre continuait de tourner sans lui, mais les informations le déprimaient encore davantage. Aussi l’avait-il coupé définitivement.
Comme si sa vie amoureuse n’était pas assez compliquée comme ça, la veille de Noël, il avait fallu que son père, une fois de plus, se comporte comme le dernier des salauds, en lui servant un mensonge prévisible. Je sais que tu dois être déçu, tu te doutes bien que je me faisais une joie de passer Noël avec toi. Mais était-ce sa faute si son vol avait été annulé pour mauvais temps, l’obligeant à rester à Bruxelles deux jours de plus ? Rickie avait été écœuré par son ton mielleux qu’il réservait d’habitude à ses relations d'affaires. Affaires d’ailleurs qui restaient à ses yeux assez floues et plus ou moins légales, mais jusqu’à quel point, ça, il n’aurait pas su le dire. Son père lui avait assez rabâché qu’il s’était fait tout seul et qu’il n’avait pas à rougir de son train de vie aisée. Quand Rickie lui avait annoncé qu’il rentrait en apprentissage dans une imprimerie de la ville, son père n’avait pas pu cacher sa déception. Rickie avait une fois de plus pris sur lui en serrant les dents. Aujourd’hui, il réalisait que cela faisait un an qu’ils ne s'étaient pas vus, seulement des appels téléphoniques formels pour leur anniversaire réciproque. Même le 25 décembre, ils n’étaient pas arrivés à l’honorer. Il s’était senti abandonné plus que jamais. Il avait ressenti cette mélancolie sourde qui vous envahit totalement, qui se colle au creux de votre poitrine pour s'installer durablement.
Le téléphone le sortit brusquement de sa léthargie. Il s’attendait à la voix de son père, de retour en ville, l’inviter à dîner pour se rattraper. Mais c’était celle de Lucas ! Il venait lui donner des nouvelles de l’agression au Petit Marcel. Le plus important était que l’étudiant avait pu repartir de l’hôpital dans la nuit avec le soutien de Tom, ce qui le rassura immédiatement. Quand il lui demanda s’il en savait davantage sur l’agresseur, Lucas eut quelques hésitations avant de lui révéler ce qu’il savait.
Le téléphone raccroché, Rickie dû digérer l’information, pourtant, il ne fut qu’à moitié surpris. Dans cette histoire, un innocent avait été victime de son ex-amant, Marc. Avant d’aller voir les gendarmes, Lucas lui laissait le temps de régler le problème à sa façon. Rickie redoutait d’aller voir le photographe pour lui demander des explications. Il avait peur de se voir confirmer les choses. Mais il était clair qu’il n’avait pas le choix. Il devait le faire pour cet étudiant et pour Tom. Tom qui par ce hasard malheureux, allait peut-être pouvoir revenir dans sa vie.
Rickie se laissa tomber dans son fauteuil en cuir. Il était en colère après Marc, mais surtout envers lui-même d’être resté avec un homme malveillant. Pourtant, lorsqu’ils s’étaient rencontrés, il était si différent ! Il avait l’impression d’avoir été l’un des rares à voir ses autres facettes, si riches et si altruistes. Mais aujourd’hui, la noirceur et le désespoir qui l’habitaient depuis toujours semblaient avoir eu raison de lui. Rickie n’avait été qu’une simple petite lumière dans sa vie qui n’avait pas réussi à lui montrer le monde aussi beau qu’il était, quand on prenait la peine de le regarder sous un angle nouveau. Marc avait failli l’entraîner avec lui dans sa chute. Son instinct de survie et la combativité de Barbara l’avaient sauvé à temps.
Sa colère se mua en un sentiment d'abandon, une fois de plus. Il se connaissait par cœur quand il était dans cet état. Hors de question d’en parler à Barbara, il aurait trop honte de lui et ne voulait pas lui faire de la peine après tous les efforts qu’elle avait fait pour lui. Un remède pour se calmer, écouter le dernier vinyle 45 tours qu’il s’était acheté, Shake the disease de Depeche Mode, son groupe préféré. Le disque sur la platine, le saphir ajusté, il retourna se vautrer dans son fauteuil. Il ferma les yeux et se laissa porter par la musique.
I'm not going down on my knees,
Begging you to adore me
Can't you see it's misery
And torture for me
When I'm misunderstood
Try as hard as you can, I've tried as hard as I could
To make you see
How important it is for me.
La musique, doucement, eut l’effet escompté. Première face du disque terminée. Le silence se mit à attaquer Rickie comme une bête vivante qui dévorait lentement son bref moment de plaisir. Il se leva tout droit dans sa chambre pour s’allonger sur son lit, les mains derrière la tête. La lumière du réverbère de la rue éclairait faiblement la pièce d'une couleur orange diffuse, propice au calme de cette fin d'après-midi. Fermer les yeux. Prendre le temps de réfléchir. Faire le point dans sa tête d'abruti. Un embryon d’idée dans son esprit. Après tout, c’était peut-être une solution qui tenait la route. Il se leva d’un bond et décrocha le téléphone.
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