Chapitre 23

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Paul ouvre les yeux. Tout est flou devant lui. Quelques battements de paupières. Sa vision s’améliore. Devant lui, Tom est allongé, les yeux mis clos. Une traînée de sang sort de sa bouche. Paul ne peut pas bouger d’un centimètre, les mains liées dans le dos. Il crie. Aucun son ne sort. Tom articule des paroles qu’il ne comprend pas. Son corps désarticulé est parcouru de frissons. Soudain, Marc apparaît devant le corps inerte de Tom. Paul le regarde lui parler. Il crie de nouveau. Le pied de Marc écrase la tête de Tom. Paul ferme les yeux et implore Marc d’arrêter. Il hurle à s’en rompre les cordes vocales.

Paul sursauta. Transpiration abondante. Souffle court. Il ouvrit les yeux. Quel affreux cauchemar ! A côté de lui, il entendait les respirations régulières de Tom qui dormait profondément. Il resta allongé, terrorisé. Il essaya d’évacuer les terribles images qui passaient en boucle dans sa tête. Il ralentit sa respiration pour se calmer, diminua son rythme cardiaque. Épuisé de fatigue, il sombra dans le sommeil.

Lorsqu’il se réveilla, il se crut un instant dans son lit, mais il s’aperçut que c’était celui d’un autre, celui de Tom. Il sourit. C’était la première fois qu’il passait la nuit chez quelqu’un avec qui il avait couché. L’odeur différente des draps. La lumière rassurante sous la porte de la chambre. Tom était déjà levé. Il l’entendait parler dans la cuisine. Il trouva son caleçon au pied du lit et l’enfila. Il ouvrit la porte. Tom lui sourit, le combiné de téléphone à l’oreille.

— Ok, merci papa, je passe tout à l’heure. Bisous.

Tom le prit dans ses bras, l’embrassa, toucha son entrejambe et lui demanda s’il avait passé une bonne nuit. Paul hocha la tête en se frottant les yeux. L’odeur du café lui avait ouvert l’appétit. Il se laissa servir, sans rien dire, avec le plaisir de regarder Tom en caleçon, préparer le petit-déjeuner. Sur chaque set de table, une serviette en tissu, une petite assiette, un verre de jus d'orange pressé. Au milieu, une panière de tartines grillées et une motte de beurre salé dans une petite soucoupe.

— Je suis si heureux que tu sois là, j’ai vraiment cru que cela n’arriverait plus jamais, dit-il, avec des yeux brillants.

— Moi aussi, je suis content. Je ne réalise pas trop tout ce qui s’est passé…, dit-il, un morceau de tartine beurrée dans la bouche.

Chacun but son café. Tom indiqua, d’un signe de la tête, la porte de la salle de bain située derrière lui.

— Le temps que tu prennes ta douche, je fais nos valises. Je pars faire une course et je reviens, dit-il comme si de rien n’était.

— Nos valises ? Et les cours ?

— Quels cours ? Allez, pour une fois, on s’en fout. T’as laissé des vêtements chez moi, non ? Et puis je te prêterais des fringues. Nous n’aurons pas à repasser chez toi.

Ne pas réfléchir davantage et se laisser porter. Paul termina sa tasse de café avant d’enlever son caleçon. Il secoua les fesses devant lui.

— Tu ne perds rien pour attendre toi ! dit Tom, hilare.

Paul sauta dans la cabine de douche et profita de la chaleur de l’eau pour se réveiller complètement. Il entendit la porte de l’appartement claquer, signe que Tom était sorti. Il laissa longuement couler l’eau sur son corps, avant de se laver soigneusement, les cheveux aussi. Il sortit de la douche et s’essuya. Était-ce bien à lui que tout ça arrivait ? Il était excité. L’inconnu. L’envie de rester avec ce garçon et de l’avoir rien qu’à lui. Il ouvrit le petit placard vitré, suspendu au-dessus du lavabo. Une eau de toilette verveine-menthe, un coupe ongles, une boîte de préservatifs, un bracelet multicolore, un peigne, quelques boîtes de médicaments. Il referma le meuble, l’essuya et vit son sourire radieux, malgré sa tête fatiguée. Il se brossa les dents, la serviette autour de la taille et alla dans la chambre pour récupérer ses vêtements. À la vue de la chemise tachée de sang, il s’arrêta net. Il se revit au Petit Marcel, assis en face de Tom. Et par terre, dans la cabine téléphonique, recevant des coups de poing. Il chassa les images de son esprit. Il décida de jeter sa chemise à la poubelle. Tom lui avait laissé un t-shirt et un pull de rechange. Il finit de se préparer tranquillement. Il fit la vaisselle, nettoya la table, prit un soin tout particulier à remettre chaque chose à sa place.

La 2CV Citroën stationna à cheval sur le trottoir, devant le Petit Marcel.

— Ne bouge pas, je reviens tout de suite ! dit Tom avant de sortir de la voiture.

Paul aperçut Lucas à travers les vitres carrées du café. Tom revint en toute hâte, reprit le volant, prêt à partir.

— C’est bon, j’ai les clefs, c’est parti ! Et pas la peine de me demander où on va ! annonça-t-il fièrement.

Lucas toqua à la vitre. Paul en souleva une moitié pour l’entendre.

— Salut Paul ! Alors surprise ? Tom, tu diras à Alphonse qu’il a fait un super boulot sur sa voiture. Elle est flambante neuve, dis-moi ! Bon voyage, les amoureux. À demain soir pour le compte-rendu détaillé !

*

Après la terrible soirée de la veille, Rickie se réveilla dans la nuit. Son oreiller trempé de sueur. Malade comme un chien. Ses rêves, trop confus pour s'en souvenir, mais à coup sûr horribles. Il se réveilla le matin avec un mal de tête atroce. Il passa toute la journée chez lui, les volets clos, à se morfondre. En fin d’après-midi, sa migraine avait pratiquement disparu.

Le téléphone sonna vers vingt heures. Ce devait être Barbara. Il ne lui avait donné aucune nouvelle depuis la Saint-Sylvestre. Allô? Mathieu ! C’était le jeune homme que Tom avait rencontré quelques jours auparavant. Mathieu avait passé un excellent moment en sa compagnie, il aimerait bien le revoir. Rickie se dit qu’il avait de la chance que ce garçon ne soit pas rancunier d’avoir été mis gentiment à la porte, suite au passage de Tom. Le jeune homme ne s’en était donc pas offusqué. Rickie lui répondit qu’il serait content de le revoir lui aussi, sans pour autant se rendre disponible dans l’immédiat. Il le rappellerait sans fautes dans les prochains jours. Le combiné du téléphone raccroché, il accusa le coup. Ta vie est un sacré bordel Rickie !

Le lendemain matin, il réalisa que cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas réveillé avec un tel moral. Il était encore fatigué, . Mathieu, Mathieu, Mathieu ! Il attendit le milieu de la matinée pour appeler Barbara. Rien de tel de lui proposer de la voir au Petit Marcel pour retrouver définitivement le sourire.

*

Barbara s'était assise à une table près du radiateur, à l'entrée du café. Elle portait un pull en laine évasé, un collier de grosses perles, une robe de velours et des bottes en cuir. Elle rejeta ses cheveux en arrière, avec un stylo à plume à la main, pensive. Elle prit son temps pour ajouter une dernière phrase à sa lettre, plia les trois feuillets et les glissa dans une enveloppe. Elle en lécha délicatement les rabats afin de la sceller définitivement. Les yeux fermés, elle appliqua un léger baiser sur le papier. Le courrier partirait dans les prochains jours pour la Russie. Elle imaginait déjà ses parents, assis autour de la table de leur cuisine, ouvrant religieusement l’enveloppe, sa mère faisant la lecture à voix haute à son mari. Celui-ci attentif à ce que sa femme lui révélerait de la vie de leurs deux filles.

Rickie vint s'asseoir à sa table.

— Tu exagères quand même. Cela fait plus d'une semaine que tu ne m'as pas donné de nouvelles. Shame on you ! Même Lucas n’a rien voulu me dire. Pourtant, je sais quand il ment celui-là, il ne peut rien me cacher, comme à toi d’ailleurs, fustigea–t-elle.

Rickie savait que Barbara ne pourrait pas lui en vouloir longtemps. Ce n’était pas dans son caractère. Elle rangea son stylo plume et l’enveloppe dans son sac.

Lorsque Rickie eut finit de lui raconter, dans les moindres détails, ce qui s’était passé chez Marc, elle resta un moment interdite.

— I don’t believe it ! Je comprends mieux pourquoi il m'évitait depuis quelques jours. Ne fais pas cette tête, tout va aller pour le mieux. Tiens, pour te redonner le sourire, je t’ai apporté un cadeau.

Lorsqu’il ouvrit le paquet, il reconnut le livre de photographies de Frank Lloyd Wright dont il aimait le travail. Encore un grand architecte américain que Marc lui avait fait découvrir. Il ne put s’empêcher d’avoir les larmes aux yeux, mais de joie cette fois-ci.

— Tu as fait une folie, comment pourrais-je te remercier ma chère Barbara ?

— Tu veux me faire vraiment plaisir ? Alors sois heureux Rickie ! dit-elle avec son sourire habituel.

Ils commandèrent un deuxième café que Marie vint leur apporter.

— Bon sinon, pour changer de sujet, nous avons un nouveau problème ! Depuis qu’elle a dansé avec lui pour la Saint-Sylvestre, ma chère petite sœur ne parle que de Paul. Paul par ci, Paul par là. Je crois bien qu’elle a le béguin pour lui. C’est comme ça que l’on dit, béguin ?

— Si c’est le cas, on est mal. Évidemment, tu ne lui as pas dit que Paul et Tom…

— Comment le savoir si tu ne me dis plus rien ? Rappelle-toi que la dernière fois que j’ai vu Paul, c’était au réveillon. J’espérais bien qu'ils se retrouveraient avec Tom. Je suis heureuse pour eux. En attendant, j’ai bien essayé de faire comprendre à ma sœur que Paul n’était peut-être pas celui qu’elle croyait. Elle m’écoute à peine de toute façon. Et puis Marianne lui a fait le portrait du prince charmant idéal. Anyway. Quand elle va apprendre la vérité... Et je ne parle pas seulement de ma sœur.

Comme à son habitude, Barbara avait été formidable avec lui. Rickie revint chez lui le pas léger, presque sautillant, avec son livre de photographies sous le bras. Il passa la soirée dans son fauteuil à le regarder et à repenser à tout ce qu’il avait vécu avec Marc. Faut vraiment que t’arrêtes de tourner en boucle, crétin ! Ça ne mène à rien. C’est comme ton père, arrête d’espérer quoi que ce soit de sa part, tu seras forcément déçu. T’as bientôt vingt-quatre ans, tu n’as plus besoin de lui. Rappelle-toi ce que tu t’es promis. Une nouvelle année pleine de promesses. Alors mets-toi ça bien dans le crâne et tiens-le toi pour dit ! Il mit un vinyle sur la platine et s’allongea confortablement sur son tapis, les mains derrière la tête, entièrement disposé à savourer la musique. Il aimait ces moments privilégiés où il ne faisait rien, juste écouter ses disques.

Alors qu’il retournait le vinyle, il releva le bras de lecture pour finalement le reposer sur son socle. Il avait changé d’avis. Il rangea le 33 tours dans sa pochette. Il prit le combiné du téléphone et composa le numéro de Mathieu, qu’il avait écrit sur un morceau de papier. Ne pas laisser refroidir les choses.

La conversation fut brève. Rickie raccrocha, un sourire aux lèvres. Mathieu lui avait donné rendez-vous le lendemain chez lui. Il rangea soigneusement dans son portefeuille l’adresse qu’il avait notée au-dessous du numéro. Il allait passer un samedi soir de rêve.

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