Chapitre 30
Marianne raccrocha le téléphone, penaude. Tristan avait eu la gentillesse de la prévenir qu’il passait la soirée chez Paul. Sur un ton indifférent, elle lui avait répondu qu’il était libre de faire ce qu’il voulait. Une dizaine de jours qu’elle ruminait et qu’elle lui menait une vie impossible, avec des réflexions mesquines dès qu’elle en trouvait l’occasion. Elle se détestait quand elle faisait ça, mais c’était plus fort qu’elle. Mais elle savait qu’elle ne pourrait pas jouer cette comédie encore bien longtemps. Un jour ou l’autre, il faudrait qu’elle s’excuse auprès de lui et de Paul.
Elle s'apprêtait à fermer les volets quand elle s'aperçut qu'il s'était mis à neiger. De petits flocons tournoyaient dans les halos oranges des réverbères. Elle s'émerveilla de ce spectacle nocturne et resta le visage collé à la vitre. Elle sourit. Paul amoureux, c’était une très bonne nouvelle. Elle était si heureuse pour lui. Pourquoi ne l’appelait-elle pas pour lui dire tout simplement qu’elle était contente pour lui ? Redoutait-elle qu’il la repousse ? Ce n’était pourtant pas son genre de faire ça, mais plutôt le sien.
Après avoir fermé les volets, elle se fit un plateau-repas devant la télévision. Une fois son dîner englouti, elle s’installa confortablement sur son lit, une tisane de thym à la main. Elle entreprit de lire un ouvrage pour un de ses cours qu’elle aurait dû lire depuis longtemps. Rien que de penser à la faculté, son moral était au plus bas. Était-ce trop tard pour s’y mettre ? Tristan était plus confiant qu’elle. S’ils décidaient de travailler dur, ils pourraient avoir leurs examens au rattrapage. Zofia était du même avis. Elle avait, elle aussi, insisté sur ce point.
Depuis plusieurs jours, Zofia était distante avec elle. Marianne avait fini par l'inviter à prendre un verre au bar de l’Ecluse. Elle s’était confondue en excuses pour son comportement excessif au Petit Marcel. Zofia lui avait alors expliqué que, même si elle avait compris sa déception vis à vis de Paul, elle avait eu tort de s'en prendre à elle. Elle en avait beaucoup souffert. Elle avait fini malgré tout par accepter ses excuses. Marianne s’en voulait de son comportement et surtout d’avoir essayé de pousser son amie dans les bras de Paul. Aussi, elle n’osait plus aborder le sujet. Elle fut étonnée que Zofia n'en parle plus, mais se sentit soulagée, égoïstement.
Au bout d’une vingtaine de pages, elle eut envie de lui téléphoner. Elle attendit quelques sonneries avant de reconnaître sa voix dans le combiné. Voulait-elle la retrouver vendredi à la bibliothèque pour étudier ? Est-ce que le début de l’après-midi lui conviendrait ? Zofia lui proposa de la retrouver à quatorze heures. Elle lui souhaita une bonne soirée avant de raccrocher. Elle reprit son livre sans grande conviction qu’elle finit par abandonner rapidement. Elle préféra à la place sortir de dessous son lit sa boîte de scoubidous. Elle en prit un qu'elle avait tout juste commencé en début de semaine. Un porte-clé en forme de tortue, aux couleurs vertes et rosées. Elle ne le lâcha plus, hormis pour une autre tisane.
*
Vingt minutes plus tard, la sonnette retentit. Paul entendit les pas de Tom dans les escaliers. Il se présenta tout tremblant, couvert de flocons de neige.
— Il s’est mis à neiger depuis deux heures au moins, dit-il avec un sourire triste.
Il enleva ses affaires que Paul déposa sur une chaise. Ils échangèrent un baiser devant Tristan, assis sur son coussin. Tom accepta volontiers un café, mais refusa poliment une crêpe. Il s’assit entre les jambes de Paul, adossé au mur. Il leur raconta la soirée qu’il venait de passer avec Rickie. Il était complètement abasourdi par ce qu'il venait d'apprendre et d'autant plus rassuré de ne pas passer la nuit tout seul.
Tristan observait pour la première fois la tendresse de Paul envers ce garçon. Il était gêné de les voir collés l’un à l’autre, mais il ne put s’empêcher de leur sourire sincèrement. Il souffrait du décalage entre leur bonheur et son amertume face à Marianne. La pièce était à présent éclairée par la lumière douce de la lampe de chevet. Leurs ombres projetées au mur, agrandissaient leurs silhouettes et vacillaient imperceptiblement, telle une bougie. L’heure tardive les invitait aux confidences à voix basse. Tom se livra sans retenue. Paul découvrait un pan de la vie de son ami. À cet instant, ses sentiments envers lui grandissaient à une vitesse fulgurante. Tom s’excusa d’assombrir la soirée. Un sourire malicieux lui vint. En un éclair, il bombarda Tristan de questions sur Paul et leurs années de lycée. Celui-ci se prêta au jeu avec empressement. Paul fit l’offusqué lorsque son ami détourna à son avantage certains de leurs souvenirs communs. Tom s’en amusa beaucoup, attisant leur récit par d’autres questions indiscrètes. La complicité entre eux était évidente. L’amitié qu’il avait sous les yeux semblait indestructible. Tristan finit par regarder sa montre. Une heure du matin passée. Il fallait qu’il rentre. Marianne allait finir par s’inquiéter. Tom lui proposa de le raccompagner. Sa voiture était stationnée juste en bas.
Les rues étaient désertes. La neige continuait à tomber, en flocons légers qui recouvraient la route et les trottoirs d'un tapis blanc. La voiture roulait dans un silence nouveau. Tom était prudent et concentré sur sa conduite. Ils arrivèrent sans encombre devant chez Tristan. Il éteignit le moteur.
— Merci beaucoup d’avoir pris la peine de me raccompagner.
— Avec plaisir. Je suis heureux d’avoir pu faire ta connaissance malgré les circonstances.
Tristan lui sourit.
— Tu fais un bien fou à Paul. Je ne l’ai jamais vu comme ça. Alors, s’il te plaît, continue, dit-il avec un sourire encore plus grand.
— Ah oui, vraiment ? Je flippe tellement. Avec tout ce qui s’est passé, j’ai tellement peur que Paul prenne ses jambes à son cou. À cause de moi, il s’est retrouvé dans des situations de dingue. Je comprendrais tout à fait qu’il s’en aille.
— Paul est plus fort que tu ne le crois. Mais je ne suis pas sûr qu’il en ait conscience. Mais ça reste entre nous, d’accord ?
— Entendu.
Tom lui tendit la main pour le remercier. Tristan la lui serra, mais finit par lui faire la bise. Il sortit du véhicule et lui recommanda d’être prudent sur la route. La voiture s’éloigna bientôt hors de sa vue. Il ne put s’empêcher de contempler chaque flocon à mesure qu’il tombait. Un flocon après l’autre, tombant et recouvrant peu à peu les traces laissées par la voiture de Tom. Il finit par frissonner et se résolut à rentrer.
Sans faire le moindre bruit, il tourna la clef dans la serrure et se déchaussa. Il vit la lumière s’éteindre, sous la porte de la chambre. Il la poussa doucement.
— Marianne, je sais que tu ne dors pas.
Elle ne répondit pas.
— Marianne, s’il te plaît…
Elle se retourna à contre-cœur. Elle avait commencé à s’inquiéter. Il aurait pu prévenir quand même. Avec toute cette neige qui tombait. Était-il rentré à pied ou bien…
— Non, c’est Tom qui a bien voulu me ramener avec sa voiture.
— Je croyais que tu passais la soirée avec Paul ? dit-elle avec une voix dure.
— Mais bien sûr que j’étais avec Paul. Mais Tom est arrivé plus tard dans la soirée. D’où mon retard, je ne pensais pas rester aussi longtemps.
— Bien sûr, bien sûr, mais comme je te l'ai dit, tu es libre de faire ce que tu veux, lui reprocha-t-elle.
— Tu ne vas pas recommencer, s’il te plaît. Il est arrivé tellement de choses incroyables à Paul ces dernières semaines. J’ai du mal à y croire moi-même.
— Eh bien t’en as de la chance.
— Marianne, je t’en supplie. Ne le prends pas comme ça.
— Raconte-moi alors !
— ...
— Soirée entre mecs, je vois.
— Mais non, c’est pas ça. Ne commence pas à imaginer…
— Je n’imagine rien, ne t’inquiète pas, dit-elle avec force sous-entendu.
— Oh et puis merde... Tu fais chier. Je suis fatigué Marianne, je tombe de sommeil.
— Dans ces conditions, hors de question qu’on dorme ensemble.
Tristan était à la fois épuisé par cette soirée riche en émotions et exaspéré une fois de plus par la tournure que prenait leur conversation.
— Ouais t’as raison, inutile de partager le même lit tant que tu te comporteras comme une gamine.
Marianne le regarda médusée.
— Fais pas cette tête, c’est toi qui l’as cherché.
Il ouvrit violemment un placard pour en sortir un duvet. Il prit son oreiller, son pyjama et claqua la porte. Il retira ses vêtements, mit son pyjama et se glissa dans le duvet, sur le canapé. Il s’endormit presque aussitôt tellement il était épuisé. Dans son lit, Marianne refoulait ses larmes, plus triste que jamais.
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