Chapitre 36

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Marianne n’aurait jamais imaginé que Tristan soit capable de mettre son projet à exécution — partir seul à la montagne — et ce jusqu'au dernier soir où elle l'avait vu faire sa valise, comme si de rien n’était. La discussion du dimanche précédent avait abouti à une impasse. Tristan n’avait cessé de lui faire des reproches. Depuis quelques semaines, il ne supportait plus ce que leur couple était devenu. Ils étaient seulement bons à s’éviter ou à se blesser inutilement. Ses récriminations s’étaient accumulées et surgissaient aujourd’hui de manière brutale et désordonnée. Débordée par l'émotion et pleine de rage, elle avait contre-attaqué. Une volée de piques acerbes qui avaient touché Tristan, comme elle l'espérait.

Tristan venait de partir, une grosse valise à la main. Elle le regarda depuis la fenêtre, avant de retourner se coucher, les larmes aux yeux. Elle finit par émerger en fin de matinée. Vers midi, la sonnette retentit. C’était Zofia qui passait en coup de vent pour l’inviter à dîner chez elle. Elle accepta avec grand plaisir.

En début d’après-midi, elle se rendit à la bibliothèque. Elle y retrouva Tom, sensiblement à la même heure que la semaine précédente. Ils échangèrent quelques politesses avant que Tom sorte un livre de son sac.

— Je ne savais pas si j’allais te voir ici cet après-midi mais je l’avais emporté au cas où.

C’était La chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams. Sa pièce de théâtre préférée.

— Prends le temps de la lire, je ne suis pas pressé.

Touchée par cette attention, elle le remercia avant qu’ils ne s’assoient à une table. Tous les deux sortirent leurs livres, leurs trousses et leurs cahiers, consciencieusement, sans prendre plus de place que nécessaire pour ne pas envahir l’espace de l'autre. Tom se plongea rapidement dans le dernier cours qu’il avait prévu de compléter. Marianne quant à elle, ne savait où commencer. Une fois de plus, elle observa Tom à la dérobée. Elle était curieuse d’en savoir plus sur lui. Plus elle le regardait, plus elle le trouvait attirant. Étonnamment, elle était devenue timide. Une personne comme lui, on avait immédiatement envie de faire sa connaissance. Il dégageait quelque chose qu’elle n'aurait pas su nommer. Elle comprit pourquoi Paul s’en était fait un copain. Elle sourit, pour elle-même et finit par se concentrer sur son cours de littérature américaine. Deux heures s’écoulèrent avant qu’ils libérèrent leur table. Ils se firent la bise et se quittèrent vers dix-sept heures.

*

Après avoir quitté la bibliothèque, Marianne rentra directement chez elle. Elle téléphona aux parents de Tristan pour vérifier qu’il était bien arrivé. Elle était rassurée même s'il ne l’avait pas appelée. Sa colère finit par laisser place à une tristesse lourde. Pour la première fois, elle se sentit lâchement abandonnée et se demanda si Tristan l’aimait encore. Était-il possible qu’il ait rencontré une autre fille ? Ou était-ce uniquement à cause d’elle ? Elle se prépara pour la soirée, tout en évitant de s’apitoyer sur son sort. Dans la salle de bain, elle se regarda attentivement dans le miroir et se massa le visage. Allez ma vieille, et si t’arrêtais un peu tes conneries ? Ce soir, elle porterait sa nouvelle jupe en cuir et son pull rouge. Elle ajusta sa large ceinture à sa taille. Cela lui faisait une belle silhouette. Elle se donna un coup de peigne, ses cheveux bouffaient un peu. Elle retira son serre-tête et le remplaça par un bandana rouge. Avec ça, elle ressemblait à ces filles qu’on voyait dans les magazines de mode. Elle se maquilla, en soulignant son regard, à l’aide d’un crayon noir et choisit son plus beau rouge à lèvres.

Lorsqu’elle se présenta au domicile des deux sœurs, il était tout juste dix-neuf heures. Lorsque la porte s'ouvrit, Marianne tenait suspendu au bout de ses doigts deux porte-clés multicolores.

— Tenez, c'est pour vous les filles, cadeau !

Zofia la remercia et prit son manteau.

Barbara, qui venait de la pièce d’à côté, la prit dans ses bras.

— Welcome ! Oh so cute ces petits animaux. I love it ! Nous sommes ravies de t’avoir à dîner ! Assieds-toi, je t’en prie. Je te sers quelque chose à boire ?

Marianne accepta volontiers un hydromel que Barbara lui proposa. En provenance de Russie, indiqua-t-elle avec fierté. Marianne trempa ses lèvres dans le petit verre qu'elle venait de lui servir.

— Wouah, c’est costaud, mais j’aime bien. Les filles, vous attaquez fort ce soir !

Les deux sœurs se mirent à rire.

— Soirée entre filles, non ? Ça te va bien les cheveux coiffés comme ça, dit Zofia, qui avait remarqué sa coiffure dès son arrivée.

— Merci, c’est gentil. J’ai voulu changer un peu, répondit Marianne, ravie du compliment.

— Et cette jupe, j’adore. Même si personnellement, je n’oserais jamais en porter une comme ça, répondit Barbara.

À son tour, Marianne complimenta la robe en piqué de Barbara. Elle l’avait fait herself avec sa machine à coudre ! Marianne n’en revenait pas.

— C’est une Singer ! dit Barbara fièrement. Une grande partie de nos économies y est passée à Noël. C’est notre premier achat important depuis que nous sommes en France ! Je t’apprendrai à coudre si tu veux !

— Pourquoi pas ! répondit-elle avec enthousiasme.

Barbara lui expliqua comment elle avait procédé pour faire sa robe, le patron qu’elle avait dessiné et le choix du tissu.

— Je pense que Rickie va être content du résultat, c’est avec lui que j’ai choisi le tissu, dit Barbara.

— Un petit ami bien chanceux, dit Marianne.

— Oh non, ce n’est pas mon boyfriend ! ne put s’empêcher de rire Barbara.

— Oh, excuse moi j’avais cru…

— Rickie aime la compagnie des filles, mais c’est dans les bras d’un homme qu’il préfère être ! répondit Barbara, amusée.

Marianne eut un sourire gêné. Zofia fusilla sa grande sœur du regard.

— Je suis désolée, Zofia, mais tu sais comment je suis. Je ne devrais pas être aussi directe, je suis désolée Marianne si je t’ai choquée.

Marianne la rassura. Elle ne l’était pas. Cela ne la dérangeait pas. Zofia déposa une soupière en porcelaine au centre de la table et commença par servir leur invitée.

— Zofia, cet après-midi à la bibliothèque, j’ai revu Tom. Il est plutôt sympa finalement, dit Marianne, contente de changer de sujet.

— C’est le garçon avec qui vous avez étudié la semaine dernière ? Le copain de Paul, c’est bien ça ? questionna Barbara.

— J'oubliai que tu connaissais aussi Paul, dit Marianne, nerveuse.

Barbara posa sa cuillère, regarda Zofia puis Marianne.

— Oui, je le connais depuis peu et nous nous sommes tout de suite bien entendus. Nous avons passé une très belle soirée de réveillon, ensemble avec Rickie, au Petit Marcel, dit-elle posément.

Elle attendit la réaction de Marianne.

Celle-ci déglutit difficilement.

— Zofia, tu le savais ? dit-elle en ressentant la colère monter en elle.

Zofia devint rouge à son tour. Tout allait trop vite dans la tête de Marianne à présent.

— Je ne savais pas que Paul fréquentait le Petit Marcel. Mais je suis contente qu’il se soit fait de nouveaux amis. J’avoue que je suis déçue qu’il n’ait pas pris la peine de nous les présenter. C’est ça que je n’arrive pas à comprendre. Il a honte de nous... Il pense sûrement que ce genre de café n’est pas fait pour nous.

— Ne dis pas ça de Paul. Ne lui prête pas ces intentions. Tu ne penses pas ce que tu dis Marianne, osa Zofia.

— Si en plus tu prends sa défense… Ne put s'empêcher de répondre Marianne, piquée à vif.

— Comment ça, ce genre de café, que veux-tu dire par là ? coupa Barbara d’un ton sec.

— Je ne sais pas, mais j’ai comme l’impression que… Non rien, excusez moi...

Le regard bienveillant de Barbara disparut.

— Je ne sais pas quelles sont tes impressions, mais sache que le Petit Marcel est un café très chaleureux. On y trouve des gens formidables. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit à Paul. J’y vais souvent avec Rickie, dit-elle sur un ton ferme.

Marianne ne savait plus où regarder ni quoi répondre. Elle se sentait si bête d’un seul coup.

— Je suis désolée si j’ai donné l’impression de… Je ne suis pas là pour juger qui que ce soit. Je serais très mal placée pour ça. Après tout, je ne connais pas ce café, je n’y suis allée qu’une seule fois et très rapidement.

Barbara réalisa qu’elle venait de la mettre dans l’embarras.

— Non, c’est moi qui suis désolée si j’ai été un peu vive dans mes propos, je suis si impulsive.

— C’est à moi que tu dis ça ? Écoutez les filles, et si après le repas, je vous invitais à prendre un verre au Petit Marcel ? Ce serait l’occasion pour moi de me faire une véritable idée, dit Marianne qui voulait se rattraper.

Les deux sœurs se regardèrent, aussi surprises l’une que l’autre.

— Avec plaisir ! répondirent-elles en chœur.

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