Chapitre 3: Fractures Invisibles (3/6)

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| — Messieurs, vous allez bien ?
Ma voix brisa le silence, un peu trop forte, presque intrusive. |

Aucune réponse.
Il continuait de scruter le ciel, perdu dans l'obscurité, comme si le monde autour de lui n'existait plus.

| — Ah, désolée, je suis juste fascinée par ce ciel. |

Mon sourire sonnait un peu faux, une excuse maladroite.
Je n'étais pas vraiment en train d'admirer le ciel, mais il fallait bien dire quelque chose.

| — C'est vrai, il est particulièrement dégagé ce soir.
Un ciel étoilé comme on en voit rarement, plutôt en montagne, non ? |

Mes mots flottaient, creux.
Le ciel n'avait aucun intérêt. Quelque chose clochait dans cette situation, une étrangeté que je ne pouvais nommer.

Lentement, il tourna la tête vers moi.
Ses yeux me transpercèrent d'un regard calme mais profond.
Ce n'était pas intrusif... presque inoffensif.

| — Non, les étoiles ne sont qu'un mirage pour une âme en quête de vérité.
Elles peuvent offrir un éclairage, mais sans l'aide de la lune, nous restons perdus. |

Ses paroles résonnèrent étrangement, comme une vieille leçon.
Je les avais déjà entendues, quelque part.
Une certitude tranquille accompagnait ses mots, comme s'il comprenait un secret qu'il ne pouvait partager.

| — Hé hé, vous avez vraiment l'esprit d'un poète, professeur. |

Ma voix tremblait légèrement. Je ris pour masquer le malaise grandissant.
Il me regardait toujours, et ce regard devenait... déconcertant.

| — Oh ? Vous trouvez ?
Peut-être bien. Mais vous, vous semblez aussi être une observatrice aguerrie. |

Il sourit, ses lèvres esquissant un mystère.

| — Pourquoi ce regard curieux ? Pourquoi cette fascination pour un ciel qui ne veut rien dire pour une âme en quête de vérité ? |

Je me figeai.
Ses mots, simples en apparence, touchaient quelque chose en moi.

| — Je me disais que vous êtes un observateur attentif. Dans cet amphithéâtre, parmi des centaines de visages, vous m'avez repérée. Et je ne faisais rien pour attirer l'attention. C'est... intrigant. |

Il haussa légèrement les sourcils, une expression presque imperceptible.

| — C'est vrai. J'ai une certaine... attention aux détails.
Mais parfois, il est bon de se perdre dans l'observation pour comprendre ce qui nous entoure.
Nous voyons des choses que d'autres ignorent. |

Un frisson me parcourut. Ses mots avaient un poids que je ne savais pas déchiffrer.

| — Ah... Je vois. Vous avez raison.
Je suppose que vous avez un don pour capter les nuances des gens. Merci, professeur, pour vos paroles. Ça m'a vraiment aidée à surmonter certaines peurs. |

Il sourit à nouveau, plus chaleureux cette fois, mais toujours... insaisissable.

| — Félicitations. Vous êtes plus observatrice que vous ne le croyez.
Vous devriez écouter davantage ce qui vous entoure. Le monde a des réponses. |

Je baissai légèrement la tête, déconcertée. J'aurais voulu comprendre ses intentions, mais j'étais épuisée.

| — Merci, professeur. Je suivrai votre conseil. Mais il est temps pour moi de partir, mes parents m'attendent chez moi. Désolée, passez une bonne journée. |

Il acquiesça doucement.

| — Oui, je devrais... |

En marchant vers la gare, je ne pouvais ignorer une pensée persistante :
Son sourire... Ce sourire m'était trop familier.
Un frisson me parcourut à nouveau.

Quelque chose... Il me rappelait quelque chose.
Quelque chose que j'avais oublié.
Quelque chose que je n'étais pas prête à comprendre.

Je pressai mon visage contre la vitre du train, observant les paysages qui défilaient avec une rapidité presque irréelle.
Le monde extérieur était flou, tout comme mes pensées, mais à travers la vitre, mon reflet me renvoyait une image que je n'arrivais plus à identifier.

Cette jeune fille qui me regardait, c'était moi, mais en même temps, ce n'était pas moi.
Le voyage me semblait irréel, comme si ma vie était sur le point de changer drastiquement.

L'adrénaline, cette magie temporaire qui efface l'anxiété, me donnait l'impression que j'étais presque sociable.
Je me sentais capable d'interagir, de m'ouvrir, mais quelque part, je savais que cela n'était qu'un mirage.

Je pensais à tout ce qui m'arrivait, à cette voix, à cette sensation étrange qui me collait à la peau.

Mais à qui pourrais-je en parler ?
Personne ne me croirait. Ce serait comme demander à quelqu'un de remettre en question tout ce qu'il connaissait du monde.

Enfin, la gare apparut au loin. Je reconnus tout de suite Chloé sur le quai.
Sans réfléchir davantage, je me précipitai vers elle, poussée par ce besoin d'ancrage, de normalité, de réconfort.

| — C'était difficile, n'est-ce pas ?
me dit-elle, en me tapotant doucement la tête. |

Je hochai la tête sans répondre. Oui, c'était difficile.
Mais je ne pouvais pas vraiment lui expliquer ce qui se passait.
Je n'étais même pas sûre de comprendre moi-même.

Elle sourit encore, d'un sourire rassurant.

| — Bien. Rentrons à la maison. |

Nous montâmes dans sa voiture de location, une petite citadine qui faisait un bruit étrange à chaque accélération.
Le trajet jusqu'à son appartement se déroula dans un silence confortable, une sorte de calme que je n'avais pas cherché à rompre.

Chloé ne posait pas de questions, elle savait que j'avais besoin de silence.

Arrivées à son immeuble, nous gravîmes les quatre étages.
Le silence de l'escalier pesait presque, comme une lourde couverture impossible à soulever.

| — Je pense que tu dois être fatiguée.
dit-elle en insérant la clé dans la serrure de son studio.
— Tu peux m'en parler demain. Tu dois vraiment dormir. Ça fait des jours que tu n'as pas eu un vrai sommeil. |

J'acquiesçai sans un mot. Elle avait raison. Chaque nuit était une lutte contre des pensées incessantes.

Dans la petite salle de bain, mon reflet me hantait.
Chaque geste semblait décalé, comme si j'étais à la fois là et ailleurs.

Le miroir ne me montrait pas la fille que j'étais, mais celle que j'avais peur de devenir.

Quand je sortis, Chloé avait tout préparé : un matelas, des coussins éparpillés, un petit coin de réconfort dans un monde de plus en plus étrange.

| — Bonne nuit, Mira. |

Je m'allongeai, fermant les yeux.
Mais même dans le noir, la voix de l'autre monde ne m'avait pas quittée.

Elle flottait dans l'air, prête à me hanter.
Mais cette fois, je n'étais pas seule.
Pas cette nuit.
Pas ici.

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