Chapitre 3: Fractures Invisibles (6/6)
Je t'ai réveillée, désolée...
Tu criais, me dit-elle, avec un air inquiet.
— | Mia ?
Je n'arrivais plus à respirer. C'était comme si une montagne s'était écrasée sur ma poitrine, un poids invisible qui m'oppressait, m'empêchait de penser. Le souffle court, je peinais à reprendre le contrôle.
— | Mira... Pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi m'acharne-t-on ainsi ?
Sans même pouvoir y réfléchir, je me suis effondrée en larmes. C'était un déluge, un torrent de douleurs qui m'envahissait, m'écrasait. Chaque larme semblait laver une partie de moi, mais la douleur, elle, restait là, indélébile, ancrée dans mon être.
Pourquoi fallait-il que je vive avec ce poids du syndrome du survivant ? Pourquoi suis-je revenue seule, sans mes parents, sans même pouvoir me souvenir de leur visage, de leur sourire ? Ce vide... cette absence... cette angoisse d'avoir tout perdu sans pouvoir en garder aucun souvenir. C'était comme si, tout autour de moi, la vie avançait, mais moi, je restais figée dans un passé que je ne pouvais même pas appréhender.
Pourquoi, chaque fois que je sors ou que j'essaie de parler à de nouvelles personnes, cette peur me paralyse ? Pourquoi chaque interaction me laisse dans une souffrance muette ? C'est comme si j'avais perdu la capacité de simplement être moi. Comme si je devenais une autre version de moi-même, une version qui ne sait plus comment être bien, comment être à sa place.
Et je ne pouvais même plus profiter des moments, des occasions qui passaient devant moi. Chaque sourire, chaque regard d'un inconnu était un coup de poignard dans mon cœur. Pourquoi fallait-il que je rate tout ça à cause de cette peur paralysante qui ne me lâchait pas ?
Je ne pouvais même plus me sentir à l'aise avec qui que ce soit, même les gens qui étaient censés être proches de moi. Qu'une simple parole, un regard... tout devenait un fardeau. C'était comme si, au lieu de vivre, je m'effondrais chaque jour un peu plus, me détestant un peu plus à chaque fois.
Je sentais que tout ça allait me tuer. Comme un poison insidieux qui m'envahissait de l'intérieur.
Et ma grand-mère... Elle... Elle devenait de plus en plus étrange. Son comportement, ses silences, ses attitudes m'échappaient. J'avais l'impression de devenir invisible à ses yeux, comme si je n'étais plus celle qu'elle avait connue. Elle agissait comme si elle n'avait plus aucune prise sur moi, ou qu'elle ne me comprenait plus. Elle me fuyait, et je me sentais abandonnée à chaque geste, chaque mot qu'elle laissait tomber.
Chaque jour, j'étais plus épuisée mentalement, submergée par l'incertitude. Chaque nuit, la voix mystérieuse, l'entité qui semblait se jouer de moi... Et le miroir. Ce miroir... cette présence étrange et cette sensation de ne pas être seule, même quand il n'y avait personne. L'oncle... la disparition de mes parents... tout ça m'écrasait de plus en plus. C'était trop, c'était trop pour moi.
Sans dire un mot, Chloé se rapprocha et tapota doucement mon dos pour me rassurer. Elle savait, elle avait toujours ce geste, cette petite attention qu'elle avait quand elle ne savait pas quoi dire, mais voulait juste être là. C'était déjà beaucoup. Mais ça n'était pas suffisant pour éteindre la douleur qui brûlait en moi.
Je me suis arrêtée nette, prise de panique. Tout était sorti. Tout. Et j'avais peur, peur qu'elle me laisse aussi, qu'elle s'éloigne à son tour. Je m'étais livrée complètement, et j'attendais sa réponse avec un cœur battant, l'estomac noué. C'était comme si j'étais sur le point d'être jugée, comme si j'attendais mon exécution publique. Chaque seconde était une torture.
Elle me regarda, un sourire triste mais doux sur les lèvres.
— | "Tu as déjà oublié ce que je t'ai dit hier ?"
Elle m'avait dit, de sa voix si rassurante :
« Je ne sais pas ce que tu vis, mais je veux que tu te souviennes que je suis avec toi. Je te croirai, je te soutiendrai, peu importe la situation. On a tendance à oublier ça quand on est triste, quand on se sent piégé, seul face à ses combats. Mais je suis vraiment là. »
Et elle avait raison. Je n'étais pas seule. Elle me fixait avec un regard plein de conviction, comme si elle me disait : « Je suis là, et on est dans le même bateau. » Ses yeux brillaient de cette lueur d'espoir, de confiance.
Je restai choquée un instant, surprise par la force de ses paroles. Puis, peu à peu, la tension se relâcha en moi. C'était comme si, soudainement, un fardeau s'était allégé, même si ce n'était que d'un petit peu.
Mes poings se serrèrent, mais cette fois, c'était un geste de soulagement, non plus de colère ou de frustration. Oui, elle avait raison, je n'étais pas seule.
Je soufflai, une dernière larme roulant sur ma joue. Je sentais que tout était plus lourd que jamais, mais je n'avais plus peur. Pas tant qu'elle serait là. Pas tant que nous serions ensemble.
Chloé s'assit près de moi, et dans un murmure, d'une voix douce mais lourde de vérité, elle dit :
— | "Mira, je ne peux pas tout réparer. Je ne peux pas faire revenir tes parents, et je ne peux pas effacer ce qui t'est arrivé. Mais je te promets... je serai là, même quand tu te sentiras perdue, même quand tu te sentiras seule au monde. Et je n'irai nulle part. Je t'accepte avec tout, même tes blessures. Elles font partie de toi, et tu es belle comme ça. Tu as le droit de pleurer, de te sentir faible, d'avoir peur. Mais sache une chose : je t'aime, Mira. Et rien, rien au monde ne pourra changer ça. »
Les mots d'une telle sincérité, d'une telle pureté, m'envahirent, et tout à coup, je me sentis si fragile, si petite face à cette affection inconditionnelle. Mon cœur battait trop vite, trop fort, comme si chaque battement me déchirait un peu plus. Je n'avais jamais cru mériter une telle loyauté, une telle dévotion. Je sentais que mes jambes vacillaient, que ma réalité se floutait. L'émotion était trop forte, j'étais en train de m'effondrer sous le poids de l'amour et du soutien que Chloé me donnait, malgré ma noirceur, malgré ma douleur.
Je la pris dans mes bras, les larmes à nouveau coulant en silence, cette fois comme une libération. Les mots n'étaient plus nécessaires. Ses bras autour de moi étaient tout ce dont j'avais besoin. Et je me rendis compte qu'aucun mot ne pouvait suffire pour exprimer ce que je ressentais. Une partie de moi avait trouvé la paix, juste dans l'acceptation de cette amitié pure, cette promesse silencieuse de rester à mes côtés, quoi qu'il arrive.
Et, là, dans le creux de ses bras, je savais enfin que je n'étais pas seule.
Mes poings se serrèrent, mais cette fois, c'était un geste de soulagement, non plus de colère ou de frustration. Oui, elle avait raison, je n'étais pas seule.
J'essuyai mes larmes et, timidement, un sourire se dessina sur mon visage.
— | "Oui... tu es là."
Chloé me rendit un grand sourire, et cet instant partagé m'a réchauffée de l'intérieur. Un sourire sincère, un sourire qui m'a redonné une partie de ma force. On se leva, et on se dirigea vers la cuisine pour le petit-déjeuner, un moment de légèreté après tout ce poids accumulé.
— | "Ah, d'ailleurs... ton petit ami n'est pas revenu hier soir ?"
Je la regardai, complètement confuse, puis elle éclata de rire. Je n'avais même pas eu le temps de réagir avant qu'elle n'ajoute :
— | "Mais quoi ? J'ai dit quelque chose d'étrange ?"
Je rougis, un peu gênée par sa question et par la tournure que cela prenait. Je voulais lui répondre mais j'étais tellement épuisée que je ne pouvais m'empêcher de rire moi aussi.
— | "Mais arrête de rire ! Ce n'est pas drôle !"
Elle se tourna vers moi, encore hilare, tout en poursuivant :
— | "T'as un don pour passer de sujets super lourds à des trucs complètement légers ! Tu vois, on parlait de trucs graves, et toi, tu... tu changes de sujet comme ça ! C'est trop marrant."
Je fis un visage boudeur, exaspérée par sa capacité à changer de ton en un instant, mais malgré moi, un petit sourire se dessina sur mes lèvres.
— | "Non, je l'ai poussé à la porte, désolée. La prochaine fois, j'essaierai d'être plus sérieuse."
Elle haussait les sourcils d'un air faussement choqué, me lançant un regard malicieux.
— | "Quoi ?!"
— | "Oublie. C'était une blague."
Je secouai la tête et lâchai un petit rire. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais légère. Mais dans mon cœur, un petit poids s'était levé, et il ne restait plus qu'une sensation étrange... une sensation de paix retrouvée.
Dans la voiture d'Annie (Grand mère),
Le moteur rugissait doucement, absorbé par le silence oppressant de la nuit. La route, noire et déserte, s'étendait devant elle, comme un serpent serpentant à travers l'obscurité, chaque courbe et chaque virage semblant la mener plus loin de tout ce qu’elle connaissait. Annie, les mains crispées sur le volant, avait l'impression que le temps lui échappait, qu'il glissait entre ses doigts comme du sable. Elle savait que ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait fait ce jour-là, il y a dix ans, était réel. Trop réel.
Le souvenir lui revenait avec une clarté glaçante, chaque détail comme une image gravée dans sa mémoire, chaque son, chaque mouvement, chaque souffle pris dans cette forêt maudite. Ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait entendu... Elle avait cru que c'était un rêve, une illusion, un faux espoir. Mais chaque fois qu'elle y repensait, la sensation devenait plus palpable, plus vraie. Et si c'était réel ?
Elle ferma brièvement les yeux, mais la question restait là, en elle, comme un poison lentement absorbé par son esprit. La terreur de ce qu'elle avait vu, de ce qu'elle avait accepté, se faufilait dans ses pensées, s'infiltrait dans son âme.
Elle avait fait un choix ce jour-là. Un choix qu'elle regrettait plus que tout, mais un choix qu'elle ne pouvait plus effacer. Elle s’était laissée entraîner, croyant que la promesse serait tenue, que tout redeviendrait normal, que la douleur s’effacerait. Mais pourquoi avais-je cru ça ?
Un frisson glacé parcourut sa peau à cette pensée, et elle secoua la tête comme pour chasser cette sensation. Il faut que j'avance... Il faut que j'oublie. Mais au fond d'elle, une voix lui murmurait que ce qu’elle avait vu ce jour-là, ce qu’elle avait accepté, ça n’allait pas disparaître aussi facilement. Il n'y a pas de retour en arrière.
Les phares de la voiture traversaient l’obscurité, projetant des ombres mouvantes sur la route, dansant et se déformant sous la lumière. Annie jeta un regard furtif dans le rétroviseur, comme si elle attendait que quelque chose ou quelqu’un apparaisse derrière elle. Mais il n'y avait que le vide. Un silence lourd, oppressant, pesant sur l’air.
Elle respira profondément, cherchant à calmer les battements irréguliers de son cœur. Mira... Le nom de sa petite-fille traversa son esprit comme un éclair. Elle se demanda si Mira se doutait de quoi que ce soit. Non… elle ne doit rien savoir.
Elle s'efforça de repousser cette pensée, mais elle revenait, comme une ombre qui refuse de disparaître. Comment pourrais-je jamais regarder Mira en face, avec tout ce que je sais, tout ce que j’ai fait ?
La voiture avançait lentement, ses phares traçant une ligne de lumière dans l’obscurité. Un éclat de lumière traversa l’horizon, puis disparut aussi vite qu’il était venu. Annie haussait les épaules, se forçant à ignorer cette sensation étrange qui montait en elle. Ce n'est rien... c'est juste la fatigue.
Mais au fond d’elle, une voix persistait, une voix qui murmurait des mots qu'elle n’avait jamais voulu entendre. Tu ne peux pas fuir ça. Tu ne peux pas fuir ce que tu as fait.
Annie serra les dents, se concentrant sur la route, mais le doute s’immisçait en elle, sournoisement, inexorablement. Il n'y a pas d'oubli possible.
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