Chapitre un : La lettre
-Hollyyyyyy ! Holly !!
Holly se réveilla en sursaut, transpirante, avec une furieuse envie de vomir. Cette nuit fut un drôle de voyage, rempli de bataille contre des forces sombres. Elle se rappelait s'être échappée d'un bâtiment malsain – bien que l'aspect n'était déjà plus qu'un lointain souvenir dont il ne restait qu'une sensation désagréable, anxiogène – le tout en rampant sur le dos, nageant plutôt, sur ce qui semblait être de l'herbe grise et rouge. Ses jambes ne répondaient plus, son cœur battait la chamade mais elle était arrivée au bout de cet étrange terrain grâce à la seule force de ses bras menus. Au bout du bout. Une sorte de fin du monde suivit d'un vide absolu. Holly s'est vue tomber dans le néant, épais et ténébreux, pour ensuite léviter en contractant tous ses muscles comme si sa vie en dépendait réellement. Sa vue se brouillait, ses oreilles bourdonnaient puis tout s'est mis à tourbillonner, de plus en plus vite. C'est à cet instant précis que la voix de son colocataire mis fin à cet enfer onirique. Monroe déboula dans sa chambre, excité comme une cheerleader qui aurait perdu son pucelage au bal de terminale. Il sauta sur le lit de la pauvre Holly, échevelée, avec un engouement non dissimulé.
-T'as reçu du courrier !
-Et ça ne pouvait pas attendre que je me lève ? Interrogea Holly alors que secrètement elle remerciait Monroe de l'avoir sorti de ce cauchemar qui lui laissait un sentiment de mal être.
-Non, bien sûr que non, tu penses bien que je n'aurais jamais pu attendre que tu daignes te bouger alors que je bosse dans une heure à la galerie. T'es rentrée bien après minuit Cendrillon, qu'as-tu fait hier soir ? Tu n'as même pas daigné me répondre de toute la soirée, vilaine. J'avais une de ces envies de sortir en plus.
Holly savait qu'elle n'échapperait pas à un interrogatoire en règle de la part de Monroe et pourtant elle n'avait aucune envie de raconter son énième rendez-vous raté et la nuit d'ivresse solitaire qui suivit. L'humiliation était toujours trop présente dans son esprit pour qu'il en rajoute une couche. Un mensonge sortit de sa bouche pâteuse sans même y avoir réfléchi.
-J'ai travaillé tard sur mon nouveau projet de roman. J'ai beaucoup de retard et Jay commence à s'impatienter.
Monroe fit mine de la croire, bien qu'à la seconde où il pénétra dans la chambre de son amie il fut envahi par l'odeur de biture et de tabac froid qui embaumait chaque recoin de la pièce, et changea de sujet.
-Tiens, ouvre ton courrier, ça à l'air important.
-Qu'est-ce qui te fait dire ça, ça vient de la maison blanche ?
-Non mieux, dit Monroe avec un large sourire, de Beverly Hills !
-Beverly Hills, répéta Holly, hébétée. Elle se sentit soudainement partir. Sa vue se brouilla d'un coup et elle eut l'impression qu'une aiguille géante pénétrait sa tempe. Le souvenir acide des hectolitres de Bloody Mary crépitait dans sa gorge, le vomi n'était pas loin de la sortie... Fébrilement, Holly arracha la lettre des mains de son colocataire et essaya de l'ouvrir ; ce qui s'avéra être une épreuve tant ses mains tremblaient et son cœur battait à contre-rythme. Il va falloir que tu te traines jusqu'aux toilettes, pensa-t-elle, et ça va te demander toute l'énergie qu'il te reste ma vieille. Dieu qu'elle s'en voulait. Elle se promit à elle-même de ne plus jamais boire et regretta presqu'aussitôt de se mentir de la sorte. Imaginer arrêter de boire était aussi dur que la cuite qu'elle tenait.
-J'ai travaillé tard sur mon projet de roman, imita Monroe avec une voix de fausset. Tu veux que je t'amène un seau ? Ou que je te porte à la salle de bain ?
Holly n'arrivait même pas à répondre tellement sa tête tournait. La moiteur commençait à envahir tout son corps, ses mains picotaient. Une première remontée la fit bondir hors du lit. Il fallait agir de suite ou elle risquait de repeindre son magnifique parquet avec le restant de sa soirée d'hier. Holly marcha tant bien que mal jusqu'à sa salle de bain, dont la porte ne se trouvait heureusement qu'à quelques mètres de son lit, et s'effondra sur le carrelage bien frais. Elle se mit à vomir à même le sol, juste devant le trône immaculé qui l'attendait patiemment depuis des heures. Monroe accouru relever son amie et ainsi sauver le peu de dignité qui lui restait. Il lui releva les cheveux et attendit que Holly en ait fini avec sa sale besogne. Il avait envie que ça se termine, pas que le bruit ou l'odeur le dérangeait particulièrement, il avait l'habitude de ce genre de chose, mais il bouillonnait à l'idée du contenu de la lettre qui reposait sur le lit de Holly. Monroe commençait tout doucement à s'impatienter, il n'y avait même pas un quart d'heure qu'il avait franchi le pas de la porte de son amie, pourtant, les minutes semblaient être des heures en sa compagnie ce matin. Il regrettait presque d'avoir été aussi curieux ; il pourrait être en train de déguster un excellent bagel accompagné d'un merveilleux double expresso de chez Georges. À la place, il devait se coltiner la reine des damnés régurgitant un liquide rouge et poisseux, une reine qui n'avait même pas pris le temps de retirer sa petite robe noire pour aller au lit. Monroe n'avait pas remarqué que Holly était encore habillée de sa robe préférée, "celle qui fait chavirer les hommes", selon elle. Elle avait probablement un rendez-vous galant – et non des heures supplémentaires pour écrire le roman du siècle - qui n'avait pas dû bien se terminer étant donné qu'elle était seule dans son lit. Il scruta sa frêle amie avec attention ; avec sa peau blanche et tatouée, ses longs cheveux noirs ébouriffés et ses yeux injectés de sang, Holly ressemblait à une Vampirella des bas-quartiers. Monroe sourit à cette idée car elle se vantait plutôt d'être une Morticia, pas une Vampirella. Un bruit le sorti de sa rêverie ; Holly était debout et se dirigeait vers son lavabo pour se brosser les dents.
-Alors, comment se porte mon écrivaine préférée ? Demanda Monroe. Tu as réussi à extirper toutes les mauvaises substances de ton petit corps ?
-Je ne sais pas, je vais me brosser les dents on va voir. C'est quitte ou double en général.
Elle se félicita de prendre si bien le fait qu'elle aurait pu s'étouffer dans son magma-vomi mais trouva ça également inquiétant. N'était-ce pas la frontière vers une habitude malsaine, de ne plus avoir peur de vomir ? Tout le monde a peur de vomir, sinon on se ficherait de se rendre malade et ce serait la débandade. Ce n'est pas la seule raison qui pousse les gens à être raisonnable mais ça en fait partie se dit-elle, bien que pour elle c'était la première et la seule raison qui la poussait en général à être sage. Enfin, sage, elle ne l'était pas souvent à vrai dire. Avec Monroe, c'est quatre jours par semaine qu'elle faisait la fête. Entre les vernissages, les soirées post-vernissages, les "befores", les "afters"... Les soirées cocoonings étaient devenues un luxe. Si on ajoute à ça ses autres sorties et rendez-vous amoureux, il n'y avait pas beaucoup de jours sans un verre en main. C'est pour ça qu'elle détestait vomir, le seul moment où elle se souciait de ses addictions et du mal que ça lui procurait. Mais en déménageant en Californie, elle savait que ça se passerait comme ça. Du moins, elle l'espérait. À vingt-cinq ans, elle ne s'estimait pas trop vieille pour continuer à faire la fête et elle décida du jour au lendemain de quitter son Washington natal et de partir rejoindre son meilleur ami à Los Angeles, ville festive du soleil et des palmiers. En vérité, Monroe insistait depuis quelques temps déjà, il pensait que l'ambiance californienne serait propice à Holly pour recommencer à écrire. En effet, depuis l'énorme succès de son roman d'horreur, Je suis en toi, paru deux ans auparavant, Holly peinait à s'y remettre. Des mois qu'elle vivait avec cette impression d'être attendue au tournant, des mois qu'elle se disait qu'elle ne pouvait pas se planter sinon sa brève carrière d'écrivain à succès risquait de se terminer. Alors elle a commencé à déprimer, à boire. Pour finalement accepter de déménager au soleil, quitte à bronzer un peu.
-Bon ! Cria Monroe.
Holly sursauta. Son colocataire venait de mettre une halte à ses introspections et c'était mieux comme ça.
-Ce n'est pas que je m'ennuie avec toi mais il faut que je bouge, avec tout ça, je suis en train de me mettre en retard. Retourne dans ton lit, je vais ouvrir tes fenêtres et t'amener de l'eau. Mais n'oublie pas de me faire un signe quand tu te seras enfin décidée à ouvrir cette satanée lettre sinon je vais devenir dingue.
-Je te le promets, jura Holly en tirant la couette vers elle. De toutes façons, je ne pense pas l'ouvrir avant ce soir, du moins pas avant la fin de ma gueule de bois. J'ai mal dormi, je me suis mal réveillée, ton intérêt oppressant quant à cette lettre me mets un peu mal à l'aise donc j'attendrai patiemment ton retour.
-En fait tu flippes.
-Oh toi, ta gueule ! Fous-moi la paix et vas bosser ! T'étais pas presque en retard ? Dégage de ma chambre ! Hurla Holly en lui lançant un oreiller au visage.
-T'es vraiment une mégère quand t'as la gueule dans le cul, maugréa Monroe. J'aurais dû te laisser dans ton vomi !
Monroe claqua la porte et Holly enfonça sa tête dans l'oreiller. Ces prises de bec étaient de plus en plus fréquentes mais ne duraient heureusement jamais très longtemps. Monroe était toujours là pour elle, à ramasser son vomi, à bosser comme un fou pour qu'elle puisse reprendre du poil de la bête à son aise et elle le remerciait en lui criant dessus. Elle saisit son portable pour envoyer un gentil message d'excuse à son colocataire et blêmit une nouvelle fois ; il n'y avait pas moins de dix-sept appels en absence de Jay, son agent. Qu'est-ce qu'il pouvait bien lui vouloir ? Il était à peine dix heures du matin, ce n'était pas dans ses habitudes de la harceler de la sorte. Jay était plutôt du genre posé, zen, un peu comme s'il fumait de l'herbe en cachette. Elle se demandait bien à quel moment il fumait, il ne quittait pratiquement jamais son bureau et ça ne sentait jamais la weed. Cette pensée fit sourire Holly qui l'imaginait sortir d'une petite pièce secrète cachée derrière une des nombreuses bibliothèques qui garnissaient son bureau. C'était bien le genre de Jay d'avoir une pièce secrète, se dit-elle, lui qui est si parano. Elle le visualisait en train de monter une cloison durant la nuit, tout seul évidemment, pour que la pièce secrète ne soit connue que de lui-même, l'isoler, façonner un mécanisme pour faire glisser une des étagères... Oui, Jay en était tout à fait capable. L'écran du téléphone s'alluma ce qui fit sursauter Holly. C'était Jay qui la rappelait pour la dix-huitième fois.
-Allô ? Dit Holly en s'étranglant presque.
-Holly chérie ! Bonjour ! Qu'est-ce que c'est que cette voix ? T'as fait la java toute la nuit ou quoi ?
-Hum, non, mentit-elle, je ne me sens pas au top ce matin, je suis toujours au lit. Je viens de voir tes appels, il y a une urgence ? Elle recommença à trembler et lâcha son téléphone qui rebondit sur la couette. Non, décidément, elle n'était pas au top de sa forme ce matin. Elle se recoucha machinalement et son oreiller fit un bruit froissé. La lettre. Elle avait presque oublié la lettre.
-Allô ? Holly ? Holly chérie ?
-Pardon Jay, je suis là, j'ai fait tomber mon téléphone, je tremble de partout.
-Ha. Et bien tu as deux bonnes journées pour te retaper. Lundi tu as rendez-vous avec John Jun, le réalisateur de films d'épouvante, tu vois ?
Holly voyait très bien qui était John Jun oui. A vrai dire, ça fait environ dix ans qu'on se farcissait au moins un de ses films par an... Ils n'étaient pas vraiment mauvais mais pour Holly, c'était du cinéma d'horreur du dimanche. Un truc qu'on se regarde sous un plaid l'après-midi avec une gueule de bois, un bon thé et un petit pétard pour faire passer. Pas vraiment le genre de film qui te prend aux tripes, à cause duquel tu vas cauchemarder à ne plus vouloir te rendormir. Holly aimait et écrivait des choses malsaines, enfin, plutôt qui mettrait mal à l'aise un non-initié, un fan du cinéma de John Jun par exemple.
-Oui, oui je vois, reprit-elle, mais...
-Il n'y a pas de mais, si je puis me permettre ma chère Holly, il aimerait discuter avec toi au sujet d'un scénario basé sur ton best-seller "Je suis en toi". Il n'a pas voulu rentrer dans les détails, il préfère passer directement par toi. Ce qui est logique puisqu'il s'agit de ta création, ton petit bébé.
Holly haïssait ce type de réaction de la part de son agent. Déjà son ordre "il n'y a pas de mais" comme si elle avait quinze ans mais en plus il ajoutait "ton petit bébé" quand il parlait de son livre ce qui était horripilant au possible et extrêmement ringard pour un homme de trente-quatre ans, même gay. Jamais elle n'avait pensé à son roman comme étant son "petit bébé", ou sa "création", elle l'a juste écrit parce qu'elle en avait besoin. Besoin pour se sortir de sa solitude et de sa monotonie. Sa vie à Washington n'était en rien extravagante loin de là. Tous ses amis s'étaient enfuis au soleil et les rapports familiaux n'étaient plus au beau fixe depuis des années ; depuis sa décision d'écrire en fait. Ses parents, surtout sa mère, n'avaient jamais compris pourquoi Holly avait fait "de grandes études à l'université" pour tout gâcher en devenant écrivain-chômeuse-indépendante. Sa mère n'a jamais compris que c'est justement "ces grandes études universitaires" qui ont donné à Holly l'envie d'écrire. Sa mère encore une fois, n'a pas apprécié que sa "gentille petite fille" relatent des histoires de meurtres, de possessions, de sexe et de sang. Que sa gentille petite fille se fasse tatouer, qu'elle picole, qu'elle se drogue et qu'elle connaisse du succès grâce à Satan. Ah ça non, elle n'a pas apprécié... Et la pilule ne passait pas plus maintenant qu'elle était partie à des centaines de kilomètres.
-Dis Holly, t'es toujours là ? Interrogea Jay doucement ?
-Oui, excuse-moi Jay, j'ai quelques absences aujourd'hui, ça doit être la fièvre ou quelqu...
Jay l'interrompit gentiment.
-Repose-toi jusqu'à dimanche soir ma chérie et fais-toi un visage, choisis bien ta tenue, style working girl mais classe, hein ? Tu dois y aller avec plein d'énergies positives, l'univers sera de ton côté pour négocier au mieux ton petit bébé, hein ma chérie ?
-Heu, Jay, ne t'emballe pas trop vite s'il te plait, j'ignore pourquoi tout le monde est excité comme ça ce matin ! J'ai très mal dormi, j'ai le moral dans les chaussettes et il va falloir que je réfléchisse à tout ça sinon moi aussi je vais m'exciter mais pas dans le bon sens du terme ! Cria-t-elle. Aussitôt, Holly s'en voulu d'avoir haussé le ton, son manager ne l'avait pas forcé à boire ces satanés Bloody Mary jusqu'à trois heures du matin ; c'est elle et juste elle qui n'a pas su gérer. Elle respira un grand coup.
-Pardonne-moi, je ne voulais pas être aussi désagréable, c'est juste que je...
Pour la deuxième fois, Jay lui coupa la parole. Ne t'inquiète pas, je comprends, je ne t'en veux pas. Mais considère la question à tête reposée, ce n'est jamais qu'un rendez-vous professionnel. Un chouette rendez-vous professionnel certes mais ne te stresses autant pour ça. Normalement tu dois avoir reçu un courrier de sa part ce matin...
Cette fois, c'est Holly qui coupa la parole de son manager.
-Ha ! Oui ! La lettre ! Je l'ai reçue, Monroe me l'a apportée ce matin. Je ne l'ai toujours pas ouverte, je devais attendre qu'il rentre de la galerie pour qu'on l'ouvre ensemble. Mais maintenant je pense que je peux oser regarder toute seule son contenu comme une grande fille.
-Ma chérie, entonna Jay, je te rappelle que tu es venue à L.A. pour vivre ce genre d'expérience et te laisser surprendre par la vie... Alors fonce ! Enfin, guéris d'abord et en forme lundi ! Si tu veux je peux te caser avant pour te briefer un peu... Les choses à dire et surtout celles à éviter.
-Merci Jay, je te rappelle dimanche soir si tu es disponible.
-Bien sûr, Holly, tu peux me déranger quand tu veux, tu le sais très bien. A dimanche, je te laisse à ta lecture. Bon repos.
Jay raccrocha abruptement laissant Holly à sa gueule de bois, la lettre du réalisateur entre les mains, son téléphone entre son épaule et son oreille. Elle mit au moins dix minutes à se décider avant d'arracher le coté de l'enveloppe et sortir la fameuse missive. Holly prit une grande inspiration et commença à lire :
Mademoiselle Crow,
Je viens de terminer la lecture de votre roman "Je suis en toi" et je suis en admiration devant votre travail. En effet, j'ai lu ce livre en continu (726 pages quand même !) et j'ai été transporté du début à la fin de votre récit. J'ai tout apprécié ; l'univers, la qualité des personnages et des descriptions, mais surtout l'imagerie gore que vous employez sans pour autant dénaturer les sentiments de vos héros. Je pense que j'ai beaucoup à apprendre de vous, de la façon de vous voyez les personnages et leurs interactions, comment vous faites vivre leur caractère, leurs sentiments, leurs sensations même... C'est un travail difficile pour un réalisateur (et encore moins pour un producteur peu impliqué) de bien diriger ses acteurs. Je pense l'avoir fait pour mes films précédents, du moins pour ce style de films, mais j'ai envie de passer à autre chose, d'évoluer un peu. Je reste ému par vos textes et j'aimerais, si vous êtes d'accord, m'entretenir avec vous. J'ai dans l'idée de vous racheter les droits de votre bestseller ou de vous engager comme scénariste pour mon prochain long métrage. Bref, j'ai très envie de travailler avec vous d'une manière ou d'une autre. Qu'en dites-vous ? Après un rapide appel à votre manager, nous avons conclu d'un rendez-vous lundi 3 juin à 15h à mon domicile. Pourriez-vous, s'il vous plaît, confirmer ou infirmer votre présence à ma secrétaire ? Dans le cas où vous vous joindriez à moi, c'est elle qui vous donnera toutes les informations. Vous pouvez la contacter au 213-522-6969, à tous moments de la journée.
Dans l'attente d'une réponse de votre part (que j'espère favorable), veuillez agréer, mademoiselle Crow, mes salutations les plus distinguées.
John Jun
Rédigé à Los Angeles le 30 mai 2019.
Il fallut quelques minutes à Holly pour réaliser l'objet de la lettre. Elle relut une deuxième, puis une troisième fois ce texte, écrit à la main. Un large sourire vint se dessiner sur son pâle visage : elle avait un rendez-vous avec un célèbre réalisateur qui lui écrivait afin de la féliciter pour son travail ! Elle ne parvenait pas à y croire... Et si c'était une blague ? Ce serait un coup de poignard en plus de cette gueule de bois... Holly, ressaisis-toi, pensa-t-elle tout haut, téléphone et tu verras bien, qu'as-tu à y perdre finalement ? Mais avant toutes choses, un bon lavage au Kärcher serait le bienvenu, ainsi qu'un copieux petit déjeuner pour éponger tout l'alcool qui polluait encore ses veines. Après une longue douche salvatrice, Holly choisit soigneusement une robe parmi les centaines de robes, toutes noires, qui remplissaient son dressing. Elle ressemblait, d'une certaine façon, à un personnage de comics ; toujours vêtue d'une robe noire, de chaussures noires, avec des cheveux ébène et la peau très blanche recouverte de tatouages colorés. Les gens qui l'interpellaient employait souvent le terme "gothique", "Vampire" ou encore "Morticia", ce qui ne lui déplaisait pas forcément. Elle avait toujours pensé que son nom de famille la prédestinait à un avenir sombre donc elle a juste un peu accentué le trait, parfois à la limite du cliché... Holly était fan de cinéma et de littérature de genre, de tout ce qui touchait à l'horreur en général d'ailleurs. Au lycée, on la traitait de sorcière et ses amis ne se comptaient que sur les doigts d'une seule main : Monroe, le gay ; Clara, la grosse ; et Josh, le nerd. Une bande de clichés au pays des clichés. A eux tous, ils auraient pu inspirer une sitcom, tellement ils étaient à fond dans leur rôle, Holly y compris. Les quatre compères se sont retrouvés à la même université, l'UOW à Seattle, mais ni elle ni Monroe ne continuèrent à fréquenter les deux autres copains-clichés. Holly entreprit des études de littérature et de théologie en option secondaire. Monroe, lui, se dirigeât vers des études de gestion de l'art et presque directement après la fin de son cursus, il s'envola vers la Californie où il ne tarda pas à se faire remarquer pour rapidement intégrer puis gérer une galerie d'art d'objets étranges. Une sorte de cabinet de curiosités géant et moderne, un petit paradis pour les amoureux de l'Enfer, du paranormal, des chimères douteuses et du fantastique. Un endroit vraiment sympa où on vous sert un délicieux cocktail rouge et noir pour faire d'éventuels achats, une des nombreuses idées de Monroe pour fidéliser la clientèle. Une fois par mois, il organise avec ses deux stagiaires, également gays, une "Horror Party" à la galerie. Une sorte d'Halloween mensuel avec une multitude de beaux garçons court-vêtus et recouverts de peinture, prêts à vous faire passer un agréablement moment en ne vous laissant jamais un verre vide en main. La galerie se transformait en dancing où les (pseudo)peoples se trémoussaient au milieu de certaines œuvres qui servaient à la décoration. Ce cadre atypique attirait pas mal de beau monde, surtout des jeunes acteurs ou des mannequins, mais aussi des artistes contemporains, des stylistes et des "it-girls". Avec son dresscode "en rouge et noir", ces soirées au "Made in Hell" assombrissaient gentiment le paysage californien, ce qui n'était pas pour déplaire à Holly. La prochaine soirée était programmée dans deux semaines et elle se réjouissait d'aller y trémousser son joli corps tout blanc en frimant sur son nouvel emploi dans le cinéma d'épouvante. Elle se voyait déjà toute pomponnée pour l'occasion, sourire L.A. ultrabright, copinant avec le gratin en devenir qui fréquentaient l'endroit et avec qui elle ne se mélangeait que très rarement. Mélanger était bien le mot approprié. C'était déjà arrivé que Holly flirte avec l'un ou l'autre toyboy prétentieux et arrogant, mais généralement ils n'étaient pas du niveau qu'elle s'était fixée en matière d'hommes. Et eux, ils attendaient d'elle plus une nuit d'extase qu'une histoire au grand jour. Monroe lui disait sans arrêt qu'elle était "bien gaulée" et très jolie mais son style vestimentaire n'était apparemment plus à la mode depuis 2016 et que ces types-là suivaient les podiums de très près. Ce genre de réflexion faisait rigoler Holly qui aimait bien s'habiller mais qui n'aurait jamais voulu d'un mec qui en savait plus qu'elle en matière de fringues. De toutes façons, ils n'étaient réellement qu'un amusement, une envie du moment comme un morceau de chocolat pendant la nuit. Les discussions qu'ils avaient étaient trop souvent limitées et la baise pas toujours bonne, c'était plutôt une façon pour Holly de s'intégrer (se faire pénétrer ?) socialement dans le monde de la seule personne qu'elle fréquentait réellement depuis un an, son ami Monroe. A la sortie de son livre, qui est rapidement devenu un best-seller, Holly avait une petite notoriété dans le milieu littéraire. Malheureusement, les rares gens avec qui elle discutait à l'occasion depuis son arrivée à Los Angeles n'étaient pas très porté sur la lecture (encore moins sur un support papier). Quand Holly expliquait son travail, les gens feignaient de s'intéresser un instant, pour se détourner vers d'alléchants bruits de soirée.
Le ventre plein de reste de pizza froide, Holly se sentait enfin revivre. Elle attrapa son téléphone pour appeler Monroe en premier et lui demander quelques conseils. Il fallait surtout qu'elle se fasse pardonner pour la petite crise de ce matin et eut l'idée de passer le prendre pour aller manger Chez Georges, son endroit favori. Elle dut insister un peu car il ne semblait pas vouloir lui répondre. Au bout de la troisième tentative, Monroe décrocha enfin.
-Galerie "Made in Hell", bonjour ! Que puis-je faire pour vous servir ?
-Ha ha, très drôle, rétorqua Holly.
-Ha. Vous êtes la dame qui a fait un malaise ce matin, vous vous sentez mieux ou vous avez repeint votre salle de bain ? Dit-il d'un ton narquois.
-Arrête tes bêtises Monroe, je démarre de l'appartement, je suis presque en route pour venir te chercher. Je t'invite Chez Georges, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer !
-Tu as trouvé l'homme de ta vie et tu me laisses enfin vivre la mienne ?
Monroe s'esclaffait comme un gamin. Elle l'imaginait tel un prince, les deux pieds croisés sur son bureau ou en train de tourner glorieusement sur sa chaise.
-Non mon chat ! Mieux ! J'ai un rendez-vous pour un job ! Je t'explique tout ça d'ici quinze minutes !
Holly se rappela soudainement qu'avant de crier victoire et de pouvoir se pavaner devant son ami, il fallait d'abord qu'elle confirme son rendez-vous auprès de la secrétaire de Jun. Si ça n'était pas une blague évidemment. La méfiance faisait partie de son caractère ; quand on a subi des brimades, ça reste parfois toute une vie. Courageusement, elle sorti la lettre de son sac et entra le numéro. Quatre longues sonneries plus tard, la voix d'une jeune femme se fit entendre.
-Jessy Matthews à l'appareil, que puis-je faire pour vous ? Dit une voix suave.
-Heu, bon... Bonjour mademoiselle, je suis Holly Crow, je vous téléphone afin de confirmer un rendez-vous avec monsieur Jun ce lundi 3 juin à 15h. J'ai reçu un appel de mon manager ainsi qu'une lettre de la main de monsieur Jun me demandant de vous contacter.
-Mademoiselle Crooooow, mais bien sûûûûr ! La voix de la secrétaire était devenue tout à coup stridente doublée d'un accent péteux à souhait. Monsieur Juuun sera raaavi de vous recevoir à son domiciiiile (dieu que cette voix agaçait Holly). Vous avez de quoi noteeer l'adresse ? Inutiiile de vous signaaaler que cette adresse ne doiiiit en aucun caaas être divulguéééée.
-Heu, non non, bien sûr. Et oui j'ai de quoi noter, dit Holly en fouillant dans son sac à la recherche d'un stylo.
-Alooors voilàààà, c'est au 1178 Loma Linda Dr., à Beverly Hills. Tout près de la forêt qui booorde le Franklin Canyon, vous voyeeeez ?
-Oui bien sûr, mentit Holly. Elle n'avait aucune putain d'idée d'où se trouvait ce Canyon et ce quartier mais elle ne voulut pas paraître idiote devant la péteuse voix.
-C'est trèèès biiien alooors. Prenez vos référeeences avec vouus n'est-ce-paaas. Belle journéééée mademoiselle Crooow ! Et la secrétaire raccrocha d'un coup sec sans attendre un autre mot de la part de Holly. C'était vraiment une sale manie qu'elle avait du mal à supporter ; on ne raccroche pas au nez des gens comme ça sans qu'ils aient fini de parler bon sang. Ca semblait si logique et pourtant c'était la mode à Los Angeles, de raccroche au nez ; c'était déjà la deuxième fois aujourd'hui et Holly trouvait ça vraiment très grossier. Sans s'en rendre vraiment compte, elle était déjà en pilote automatique vers la galerie. Le seul chemin qu'elle connaissait comme sa poche dans cette ville qu'elle n'avait pas encore assez écumée.
Soulagée de sa décision et de la tournure que prenait cette journée ensoleillée, Holly conduisait en chantonnant, ses longs cheveux noirs flottant au vent, les petits plaisirs des propriétaires de décapotables. La sienne n'était pas toute jeune mais elle roulait toujours très bien et surtout la couleur lui convenait à merveille ; une belle laque noire qui reflétait bien les palmiers défilant à vive allure. Une dizaine de minutes plus tard, Holly se garait sur le parking VIP de chez "Made in Hell" . Jusque-là, c'était le seul emplacement VIP qui lui était autorisé mais peut-être que certaines choses allaient changer prochainement... Le bruit de l'ouverture de la portière passager sorti Holly de sa énième rêverie de la matinée.
-Démarre, dépêche-toi, je crève la dalle ! cria Monroe.
-Eh oh, je sais que je dois me faire pardonner mais un autre ton s'il-te-plaît, Monroe ! A partir de maintenant, on se calme. Laisse-moi nous amener tranquillement à destination, j'ai des potins pour alimenter notre tête-à-tête. Le franc sourire de Holly impressionna Monroe qui la mise en veilleuse jusqu'à l'arrivée des deux premières coupes de bulle, amenées nonchalamment par un des pingouins Georges. Ils y allaient tellement souvent qu'ils étaient devenus des habitués avec les privilèges que ça comporte ; ils avaient leur table à l'intérieur (celle près de la porte-fenêtre) et également une table en terrasse, le tout augmenté du verre du patron... Le but ultime de tout habitué qui se respecte. Malgré tout, les serveurs – qui s'appelaient tous Georges, première condition pour y travailler – ne copinaient pas avec Holly et Monroe, ils étaient juste polis avec de temps à autre un petit sourire entendu. On y mangeait vraiment bien et surtout, on ne s'y ruinait pas. Malgré les royalties de "Je suis en toi" et le salaire plus que correct de Monroe, les deux amis ne pouvaient pas se permettre de grands restaurants à cause en grande partie du loyer hors de prix de leur fabuleux appartement avec terrasse mais surtout parce qu'ils dépensaient tous deux énormément d'argent dans ce qu'ils appelaient "la règle des trois C" ; Coke, cocktails et cannabis. La règle de base du monde de la nuit. Cette règle changeait parfois, devenant clopes, café et codéine, lors des lendemains difficiles. Tous ces C provoquaient un joli trou dans leur budget chaque mois mais cela faisait quelques temps qu'aucune des deux n'arrivait à s'en passer. Assis à leur table en terrasse, Monroe attendait patiemment que Holly crache le morceau.
-Alors, on attend une délégation spéciale pour que tu me fasses ta grande annonce ? C'est au sujet de la lettre je suppose.
-Oui, attends, tu ne vas pas le croire ! Ce matin j'étais vraiment une calamité, encore désolée, mais maintenant je sens tout le pouvoir de l'univers en ma faveur.
-Jay t'as appelée c'est ça ?
-Haha oui effectivement, maintenant mes chakras sont tous ouverts et mon troisième œil contemple mon moi intérieur avec fierté, rigola Holly.
-Bon, abrège. Elle dit quoi cette lettre ?
-Elle dit que lundi prochain j'ai rendez-vous avec John Jun, CHEZ lui, dans SA maison de Beverly Hills. Il m'a écrit cette lettre, de sa main tu t'imagines, pour me féliciter de mon excellent récit, de ma capacité à cerner les gens, et blablabla. Je n'ai pas encore très bien compris quel sera mon rôle dans son prochain projet mais il veut en discuter avec moi en personne. J'ai senti que Jay était un peu vexé d'ailleurs, dit-elle avec un sourire au coin des lèvres. Enfin, voilà, j'ai confirmé mon rendez-vous et je dois dire que cette nouvelle regonfle un peu mon égo.
Monroe resta un moment pantois puis ses yeux firent des vas-et-viens de gauche à droite très rapidement. D'un coup, son visage s'ouvrit comme une fleur et il s'exclama de joie :
-Mazel Tov ma beauté ! Trinquons à ta future réussite ! Ce soir on fait la tournée des bars, c'est moi qui invite ! Laisse-moi juste passer deux trois coups de fil et je suis entièrement à toi jusqu'au bout de la nuit !
L'enthousiasme de Monroe faisait plaisir à voir, il avait l'air sincèrement content pour elle. Cependant, Holly imaginait déjà ce que serait la gueule de bois de demain. Elle se promit de se gérer au maximum et de rentrer pour deux heures du matin dernières limite. C'était sans compter les pouvoirs de la poudre blanche et de Monroe, qui la fit danser dans pas moins de quatre boîtes de nuit, gays pour la plupart. Une torture pour Holly car elle ne ramènerait certainement aucun de ces beaux mâles frétillants dans sa chambre. Certes, certains d'entre eux seront dans son appartement... Mais quelques portes plus loin. Elle pourra néanmoins, si elle le désire, - entendez par là ; si elle ne met pas de boules quiès - participer de loin à la petite sauterie dans la garçonnière de son cher colocataire. C'était sans compter l'arrivée de Ian, un des deux stagiaires de Monroe, accompagné d'un très beau garçon de vingt-deux ans, Jeffrey. Hétéro. Un hétéro mâle dans une boîte gay. C'est lui qui entama la conversation avec Holly.
-Sinon... T'es gouine ou tu accompagnes quelqu'un ?
-Je me disais aussi qu'un hétéro dans une boîte gay à trois heures du mat ça ne pouvait être qu'un faux-espoir... Rétorqua-t-elle.
Jeffrey semblait ne pas comprendre la répartie de Holly ni même l'agressivité de sa réponse. "Encore un débile" , pensa-t-elle. Ce n'était qu'un euphémisme malheureusement. Il ne lui avait même pas encore demandé son prénom que Dumb ou Dumber (biffer la mention inutile) lui attrapa le bras.
-Ouf, t'en as des tatouages ! T'en as sur tout le corps comme ça ? Dit-il en se servant de son autre main pour tirer sur le décolleté de la petite robe noire d'Holly.
Cette dernière retira les deux mains de son interlocuteur de son corps et chercha Monroe et Ian du regard. Ils étaient loin, en pleine chorégraphie au milieu de la foule. Elle inspecta Jeffrey de haut en bas.
-Tu sais, ce n'est pas très poli et surtout punissable par la loi, de toucher les gens sans leur consentement. Donc, je me présente, je m'appelle Holly. Juste au cas où ça t'intéresserait.
-Enchanté Holly. Moi c'est Jeffrey, le grossier Jeffrey.
Son sourire était ultrabright. Holly espérait tellement que la black light ne s'allume pas à cet instant précis, ça l'aurait rendu encore plus bête qu'il ne paraissait déjà.
-Offre-moi un verre et je te dirai tout ce que tu veux savoir sur mes tatouages.
Jeffrey interpella aussitôt le serveur, arborant toujours son sourire plein de dents blanches et commanda deux rhums sours.
-En fait, depuis qu'une de mes ex a eu des problèmes avec un de ses tatouages, c'est un sujet qui me dégoûte assez je dois dire. Enfin, ça ne me dégoûte pas vraiment, je trouve ça joli mais maintenant ça me fait peur et je n'oserais pas passer le cap.
-Et qu'est-ce qu'elle a eu comme problème ta petite amie ?
-Mon ex. Une de mes nombreuses ex, chuchota-t-il comme s'il révélait un lourd secret. Ben je ne sais pas trop, je l'ai croisée au supermarché avec un bandage sur le bras. Tout de suite je me suis inquiété et elle m'a raconté que son dernier tatouage avait merdé, que sa peau avait fait un rejet de l'encre rouge et que ça purulait. Apparemment ça la brûlait tellement fort qu'ils ont dû lui enlever de la peau, t'imagines ? J'étais curieux et j'ai demandé qu'elle enlève son bandage mais elle n'a pas voulu peur de l'infection, mais elle m'a envoyé des photos, regarde !
C'était vraiment répugnant mais Holly n'arrivait pas à détacher son regard du bras de cette pauvre fille. C'est le genre de chose qui ne la dérangeait pas du tout, au contraire. Elle avait en sa possession une belle collection de photos de police : meurtre en tous genres, agression, viols, des exorcismes même... Un beau panel de saloperies qui la motivait à écrire. Cependant, c'était la première fois qu'elle voyait un bras autant en charpie qui n'était pas l'œuvre d'un sadique, enfin pas directement.
-Tu voudrais bien m'envoyer ces images ? Demanda-t-elle à Jeffrey.
-Bien sûr, souriait-il, ça voudrait dire que j'aurai ton numéro comme ça ou au minimum ton Facebook.
-Tu ne perds pas le nord toi !
Holly ne savait pas si c'était dû au mélange détonnant d'alcool et de coke mais elle avait très chaud, et très envie d'une clope. Des vapeurs de poppers embaumaient la salle et la musique allait soudainement trop fort. Monroe semblait avoir disparu de la circulation, probablement était-il en bonne compagnie dans une des salles à l'arrière, l'endroit où elle n'avait jamais mis les pieds. Holly demanda à Jeffrey de l'accompagner dehors, ce qu'il fit avec un plaisir non-dissimulé. Elle n'avait pas vraiment envie de le ramener à l'appartement mais ne se sentait de toutes façons pas en état de conduire. Jeffrey l'aida à ouvrir sa porte, et se dirigea d'emblée vers le frigo.
-Du champagne et de la pizza ! Vous savez recevoir ! Il te reste de la coke ?
Ce garçon était décidément horripilant. Arrogant. Stupide. Mais en même temps, l'histoire du tatouage purulent avait émoustillé Holly : c'est de loin la conversation la plus intéressante qu'elle ait eu avec un mec ces derniers mois. Elle aurait pu trouver ça pathétique mais elle n'avait plus envie de réfléchir. En un instant, sa petite robe noire était à ses pieds et Jeffrey ne tarda pas à troquer son morceau de pizza contre une partie de jambes en l'air sur la table de la cuisine. Le garçon était d'une maladresse pitoyable et sa belle gueule ne rattrapait pas ses faux mouvements. Holly décida de retourner la situation, au propre comme au figuré, et de se faire un plaisir solitaire sans penser à son partenaire, à califourchon sur ce crétin. L'orgasme passé, elle dégagea manu militari le pauvre Jeffrey, toujours au garde à vous. Elle venait de se branler sur ce pauvre type : la scène devait être risible de loin mais Holly s'en fichait. Elle préférait la solitude car elle avait envie d'écrire. La lettre, la coke et le bras purulant la motivaient : elle devait virer Jeffrey du duplex et s'enfermer dans son bureau. Profite de l'insomnie, pensa-t-elle, écris jusqu'à ce que tes yeux se ferment. Elle rédigea une nouvelle de vingt-deux pages en quatre heure relatant l'histoire d'une fille dont le bras était possédé grâce à son tatouage et que personne ne veut croire. La fille s'arrache donc elle-même des lambeaux de chair alors qu'elle est poursuivie par son crétin d'ex qui veut baiser ses morceaux de peau. Gore. La chaleur du matin commençait tout doucement à pénétrer dans le bureau d'Holly. Elle se mis à la fenêtre avec un joint et réfléchit au dernière vingt-quatre heures qui venaient de s'écouler. Elle avait encore été excessive... Mais cette fois-ci, elle savait qu'elle le vivrait mieux. Pas qu'elle échapperait à la gueule de bois, non, mais elle ne culpabiliserait pas, elle ne se chercherait pas d'excuses, ne se ferait pas de fausses promesses. "Si tu veux réussir ici ma vieille", pensa-t-elle, "t'as intérêt à être un peu plus endurante sinon tu vas te faire bouffer. Et ça fait un an que t'es là, tu t'es jamais bougé le cul, maintenant qu'une opportunité s'offre à toi, déconne pas". Vers sept heures, lorsque le joint commença à faire son effet, Holly rejoignit son lit et sombra rapidement.
Il était presque dix heures quand Monroe franchit la porte de la chambre de Holly, complètement allumé. En guise de bonjour il lui balança la culotte qu'elle avait oublié dans la cuisine et lui asséna un "Rien de neuf sous le soleil de Californie, la rédemption, c'est pour les cons", puis retourna dans sa chambre en rigolant. La phrase tournait en boucle dans la tête de Holly qui eut difficile à se rendormir (merci Monroe). Elle sut à cet instant qu'elle passerait tout son samedi au pieu, à végéter comme jamais. En pleine contemplation devant ses centaines de bouquins très bien rangés dans ses bibliothèques, Holly rêvassait à l'avenir excitant qui se profilait peut-être à l'horizon de sa petite vie de dépressive chronique.
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