Chapitre 2
Une lueur aveuglante, que se passe-t-il ? Où suis-je ?
La mémoire me fait défaut, mes pensées fonctionnent au ralenti. Les quelques sensations qui me parviennent sont basiques, froides, générées par mon cerveau reptilien. Il y a d'abord cette lumière qui pénètre dans ma tête, elle provoque en moi une intolérable souffrance, un étau comprime ma boite crânienne. J'ai mal à en crever.
Puis mon odorat prend le relai, une odeur que j'identifie confusément agresse mes narines, ça sent l'éther ou un truc du genre. Vous savez ce type d'odeur que l'on perçoit dès qu'on franchit la porte d'un hôpital, elle vous renvoie vers le malheur, la maladie, la mort. Dès qu'elle s'insinue en vous, elle vous accompagne durant de longues minutes, impossible de s'y habituer, elle envahit tout !
À présent, ce sont des mots qui m'arrivent, des mots que je ne comprends pas tous d'ailleurs, ils sont pour moi énigmatiques. Je me concentre pour tenter d'analyser ce qu'ils veulent dire. L'homme qui les prononce est calme, posé, sûr de lui.
… Avons dû faire injection de Midazolam... Car impossible resister à une telle souffrance... Dix jours déjà.
Mais qu'est-ce que je fous là ?
… Pronostic vital plus engagé... Phase de réveil amorcée... Signes de pré-conscience notables...
Merde, c'est de moi dont il parle ?
… Mobiliser équipe réanimation... Réveil imminent.
J'entends des bips qui s'accélèrent, je perçois des déplacements, on s'agite autour de moi. Une autre voix, féminine celle-ci. Elle s'exprime :
… Procédure habituelle... Ne pas aller trop vite... Nous sommes prêts Docteur.
*****
Je suis conscient depuis quelques jours et je me souviens de tout. Je me revois nager, porté par les vagues, poussé par le, mistral. J'entends le bruit de ce moteur, le bruit de mon malheur ! Le choc, la douleur et le trou noir qui a suivi. Mathilde m'a raconté la suite. Le pilote qui m'a heurté a été pris de panique, au lieu de me secourir, de me maintenir à flot, il a filé directement au port prévenir les gars de la SNSM. Quand les sauveteurs se sont pointés, j'étais en hypothermie, par chance, mû par un réflexe improbable, je m'étais remis à faire la planche. C'est ce qui m'a sauvé ! Sauvé, ce mot est-il approprié vu l'état dans lequel je suis ?
Les toubibs m'ont annoncé avec toutes la diplomatie dont ils peuvent être capables l'étendue des dégâts. Mes deux jambes sont à présent au fond de l'eau, entre la ville et l'archipel du Frioul... La faune carnivore qui évolue dans les parages a dû ronger jusqu'à l'os mes pitoyables moignons. Quand ils m'ont dit la chose, j'ai cru à une blague. Comprenez-moi, mes jambes, je les sentais, je les sens toujours d'ailleurs... Parfois, des picotements aux bouts des orteils viennent encore perturber mes nuits. Hélas, il ne s'agit que de sensations générées par mon système nerveux qui envoie des messages à mon cerveau. Quelle tristesse !
Depuis, j'essaie de rebondir, de m'accrocher à quelque chose. L'hélice de l'engin a sectionné mes membres inférieurs au-dessous du genou, ce qui veut dire que j'ai conservé les articulations de mes deux jambes. Le corps médical m'a affirmé qu'il sera possible d'y adapter des prothèses. Oh, je ne me fais pas d'illusion, je ne pourrai effectuer que de simples déplacements, mais c'est déjà ça de gagné.
Et puis la natation gomme en partie certains handicaps, l'eau est moins cruelle que l'air, elle soulage les corps meurtris, mieux, elle leur donne l'ilusion de flotter, de planer. Après une période d'abbattement, j'ai mis de côté la colère froide qui m'habitait. Certes, je ne serai jamais plus le même, mais je ne suis pas mort, je me battrai !
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