CHAPITRE 2 : Le Conseil de Drakheim

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Le soleil d’hiver s’accrochait encore timidement à l’horizon lorsque Edric Valenhardt franchit les imposantes portes de la salle du Conseil de Drakheim. Les gonds des battants géants, usés par les âges, émirent un grincement sourd qui résonna dans le silence solennel du lieu. Les portes, taillées dans un bois noirci et renforcées de métal gravé de motifs draconiques, semblaient être les gardiennes d’un sanctuaire inviolable.

Les colonnes de pierre noire, incrustées de runes anciennes, se dressaient comme des géants silencieux de chaque côté de la salle. Chacune racontait une histoire, gravée dans la roche : des dragons en vol, des chevaliers en armure, et des batailles épiques contre des ombres informes. La lumière tamisée de la pièce, filtrée par les vitraux magistraux, ajoutait une touche presque mystique. Ces verrières représentaient les hauts faits de la Maison Valenhardt : des dragons crachant des flammes, des forteresses imprenables et des rois tenant des épées runiques. Les rayons du matin traversaient le verre, projetant des éclats rougeoyants et dorés sur les murs de pierre et sur le sol pavé, créant un spectacle à la fois enchanteur et oppressant.

Le cœur de la salle était occupé par une table circulaire monumentale, taillée dans une pierre grise veinée de blanc. Le plateau, usé par le temps, portait une gravure détaillée de la carte de Valandor. Les montagnes escarpées, les forêts denses, les rivières sinueuses et les Terres Fracturées y étaient minutieusement représentées, chaque détail rehaussé de pigments discrets qui semblaient briller faiblement sous la lumière des vitraux.

Autour de la table, les conseillers de la Maison Valenhardt murmuraient entre eux, leurs visages marqués par la fatigue et la méfiance. Certains faisaient courir leurs doigts sur le bord de la table, d’autres fixaient les gravures comme s’ils cherchaient des réponses qu’elle ne pouvait leur offrir. Les années de guerres, d’intrigues politiques et de conflits internes avaient laissé leurs marques sur chacun d’eux.

Dès qu’Edric entra, son regard fut immédiatement attiré par Alaric, assis sur le trône légèrement surélevé qui surplombait la table. Le trône, taillé dans un bois sombre et orné de symboles draconiques incrustés d’argent, symbolisait la puissance et la responsabilité écrasante des Valenhardt.

Alaric, vêtu de sa cape royale rouge bordée d’or, semblait l’incarnation même de l’autorité. Ses traits étaient durs, marqués par les années passées à gouverner un royaume constamment menacé. Ses yeux, d’un gris perçant, balayèrent la salle comme s’ils cherchaient à percer les pensées de chaque personne présente. Sa posture droite, presque rigide, trahissait à la fois sa vigilance et le poids de ses responsabilités.

À sa gauche se tenait Erynd, le maître des dragonniers, toujours imposant dans son armure vieillie mais intacte. Ses bras croisés et son expression sévère témoignaient de son rôle de protecteur des traditions et des intérêts de la Maison. À droite d’Alaric se trouvait Mara Valenhardt, la tante d’Edric. Son visage pâle et anguleux, encadré par des cheveux gris soigneusement coiffés, trahissait une froideur calculatrice. Elle portait une robe sombre ornée de bijoux discrets, symbole de son statut et de son influence au sein du Conseil. Ses yeux, semblables à des lames d’acier, fixèrent Edric avec une intensité mêlée de curiosité et de jugement.

Malgré ces figures familières, ce fut une silhouette étrangère qui attira l’attention d’Edric. Debout près de la table, une femme enveloppée dans une cape noire brodée de fils d’argent semblait presque se fondre dans les ombres. Sa posture droite et immobile dégageait une confiance froide, presque dérangeante.

La femme abaissa lentement sa capuche. Ses cheveux argentés semblèrent capter une lumière que nul autre ne voyait. Un frisson électrique effleura la nuque d’Erynd, sans cause apparente. L’air s’épaissit brièvement, comme si une présence intangible pesait sur la salle. Edric sentit une gêne étrange au creux de son ventre, instinctive. Cette femme n’était pas simplement une émissaire : elle portait quelque chose d’autre. Son visage fin et froid dégageait une beauté distante, rehaussée par des yeux gris perçants, emplis d’une assurance inébranlable. Elle balaya la salle d’un regard calculé avant de s’incliner légèrement, sa voix s’élevant avec une précision maîtrisée :

— Saryn Lyssaren, émissaire de ma Maison.

Un silence lourd suivit cette introduction, rompu par Mara Valenhardt, dont la voix tranchante vibra dans l’air :

— Pourquoi un membre des Lyssaren est-il ici ? Nos affaires ne concernent pas votre Maison.

Saryn resta calme, ses yeux capturant l’attention de chacun comme une lame prête à frapper.

— Parce que ce qui se passe dans les Terres Fracturées affectera toutes les Maisons, répondit-elle avec une autorité froide.

Alaric, bien que visiblement méfiant, leva une main pour calmer les objections de Mara et des autres conseillers.

— Leur présence ici est inhabituelle, concéda-t-il d’une voix grave. Mais nous écouterons ce qu’ils ont à dire. Pour l’instant.

Edric sentit un frisson le parcourir. La simple évocation du nom Lyssaren, renforcée par l’aplomb de cette femme, suffisait à faire naître une tension palpable. Son regard tomba sur le symbole brodé sur le col de sa cape : un croissant de lune entouré de flammes noires. L’autorité et l’aura de mystère qu’elle dégageait semblaient taillées dans la tradition même de sa Maison.

Edric inspira profondément, ses yeux ne quittant pas Saryn. Il sentait déjà les tensions se nouer dans l’air de la salle. Les Lyssaren étaient connus pour leur maîtrise des arcanes et leurs mystères, mais aussi pour leur froideur et leur méfiance envers les autres Maisons. Leur présence ici, à Drakheim, n’était pas un acte banal, mais un événement exceptionnel qui ne pouvait signifier qu’une chose : quelque chose de grave se préparait.

Saryn, consciente des regards braqués sur elle, se redressa légèrement, un sourire presque imperceptible effleurant ses lèvres. Sa voix douce mais parfaitement maîtrisée brisa le silence :

— Messieurs de Drakheim, dit-elle, son ton chargé d’une gravité calculée. Je viens au nom de ma Maison. Ce que j’ai à dire pourrait changer le cours de vos décisions… et de vos vies.

Un tumulte étouffé se leva. Lord Vemyr se signa dans un geste ancien. Dame Helria murmura quelque chose sur les “Ombres d’avant l’Aube”. Un jeune conseiller pâlit en entendant le mot “Terres Fracturées”, ses doigts crispés sur la garde de sa dague. La peur rôdait sous les masques du protocole. Tandis qu’Erynd fronçait les sourcils. Mara prit la parole, sa voix froide et tranchante.

— Les Lyssaren, gardiens des secrets, sortent enfin de leurs tours ? Voilà qui est surprenant. Pourquoi venir à nous maintenant ? Vos affaires magiques vous concernent.

Saryn soutint son regard. L’air vibra brièvement autour d’elle, comme si les vitraux avaient frémi. Son sourire se figea, plus tranchant. Une lueur obscure, fugace, traversa ses pupilles. Même Mara recula légèrement son menton, les muscles crispés.

— Parce que même la magie échoue à expliquer ce qui rôde là-bas. Ce que j’ai vu… n’obéit à aucune loi connue. Même les plus anciennes voix de Nyssalys se taisent face à cela.

Elle se tourna vers Edric, ses yeux argentés s’attardant sur lui un moment.

— La force des Valenhardt est connue dans tout Valandor. Vos dragons pourraient être la clé pour contenir ce chaos.

Edric se raidit légèrement sous son regard, mais ce fut Alaric qui répondit.

— Vous demandez beaucoup, dame Lyssaren. Nos forces sont déjà étendues, et nos frontières constamment menacées. Pourquoi devrions-nous risquer la vie de nos hommes pour une menace que vous refusez de détailler ?

Saryn inspira profondément, et pour la première fois, une note d’impatience transparaît dans sa voix.

— Parce que si cette anomalie n’est pas maîtrisée, elle ne s’arrêtera pas aux Terres Fracturées. Elle s’étendra jusqu’à vos montagnes, consumera vos villages et rendra même vos dragons impuissants.

Mara tourna lentement son anneau d’argent, un geste qui, chez elle, traduisait à la fois irritation et réflexion. Sa voix s’éleva, froide et calculatrice.
— Et si cette menace n’était qu’un prétexte ? lança-t-elle, ses mots soigneusement choisis. Les Lyssaren ont toujours excellé dans l’art des demi-vérités, manipulant les autres pour servir leurs propres fins.

Une tension palpable s’installa autour de la table. Certains conseillers hochèrent discrètement la tête, approuvant les soupçons de Mara.

— Suffit, Mara, coupa Alaric d’un ton glacial, son regard perçant se fixant sur elle comme une lame. Il laissa le silence peser une seconde avant de se tourner vers Saryn.

— Pourquoi devrions-nous vous croire ? Votre Maison est réputée pour ses secrets et ses intrigues. Vos motivations, même en temps de crise, restent toujours opaques.

Saryn ne broncha pas. Ses yeux d’un gris perçant soutinrent calmement ceux d’Alaric, comme si elle mesurait chaque mot avant de répondre.

— Parce que cette fois, nous n’avons rien à gagner, déclara-t-elle finalement, sa voix douce mais lourde de gravité. Si nous échouons, ce ne sera pas une victoire pour ma Maison ni une défaite pour la vôtre. Ce sera la fin de tout.

Les paroles tombèrent comme une pierre dans un lac, créant des vagues d’inquiétude autour de la table. Un silence pesant s’étira, chacun semblant peser les implications de cette déclaration.

Assis à la droite d’Alaric, Edric observa les visages des conseillers : l’inquiétude chez certains, le doute chez d’autres, mais aussi une curiosité palpable. Il finit par rompre le silence, sa voix grave résonnant dans la salle.

— Qu’attendez-vous de nous ? demanda-t-il, son ton mesurant à la fois l’intérêt et la méfiance.

Saryn se tourna lentement vers lui, une lueur étrange dans ses yeux gris, comme si elle voyait en lui quelque chose que les autres ignoraient.

— Une alliance, dit-elle, son ton ferme. Votre Maison et la nôtre doivent travailler ensemble pour contenir cette menace. Nous avons besoin de votre puissance militaire et, surtout, de vos dragons.

Edric fronça légèrement les sourcils, son visage devenant un masque de scepticisme.

— Une alliance ? répéta-t-il avec un soupçon de sarcasme. Vous nous demandez de détourner nos forces des frontières, de compromettre la sécurité de nos villages, pour courir après une anomalie que vous refusez de nous expliquer pleinement ?

Un sourire fugitif effleura les lèvres de Saryn, un mélange d’amusement et de défi.

— Oui, répondit-elle simplement, son ton dépourvu de la moindre hésitation.

Les yeux d’Edric se plissèrent légèrement, mais il ne répondit pas immédiatement. Autour de la table, les murmures reprirent, des voix basses échangeant des soupçons et des arguments.

Alaric leva une main, exigeant le silence. Il fixa Saryn avec une intensité froide, comme s’il cherchait à percer les motivations cachées derrière ses paroles.

— Si cette menace est réelle, dame Lyssaren, elle nous concerne tous, dit-il enfin. Cependant, vos paroles seules ne suffisent pas. Votre Maison est connue pour ses intrigues et ses demi-vérités.

Saryn inclina légèrement la tête, acceptant le reproche.

— Je comprends vos réserves. Mais si vous refusez d’agir, les conséquences seront irréversibles.
Alaric fronça les sourcils, ses doigts tapotant le bras de son trône avec une lenteur calculée.

— Et si cette menace n’est qu’un stratagème ? Pourquoi devrions-nous risquer nos forces sur la foi de vos affirmations ?

Saryn soutint son regard, impassible.

— Parce que je suis ici en dépit de la réticence de ma propre Maison. Vous croyez que nous envoyons des émissaires à la légère ?

Saryn inclina légèrement la tête, son visage impassible.

— Je n’attends rien de moins de votre part, répondit-elle. Mais sachez que, cette fois, les secrets que je garde pourraient bien nous sauver tous.

Un frisson parcourut la salle, alors que chacun réalisait l’ampleur de ce qui allait suivre.

Alaric, qui avait jusqu’alors écouté en silence, laissa échapper un soupir à peine audible. Lentement, il se redressa sur son trône, dominant la table de sa présence imposante. Son regard d’acier passa de Saryn à Edric, puis balaya les conseillers, s’attardant sur chacun d’eux comme s’il pesait leur loyauté et leurs doutes.

— Nous avons peu de choix, déclara-t-il enfin, sa voix grave résonnant dans la salle comme un marteau sur une enclume. Si cette menace est aussi grave que vous le dites, l’ignorer serait une erreur fatale. Mais sachez ceci, dame Lyssaren : si vous nous cachez quoi que ce soit, si vos secrets mettent en péril ma Maison ou mes hommes, ce pacte prendra fin sur-le-champ. Vous en assumerez les conséquences.

Un silence tendu suivit ses paroles. Tous les regards se tournèrent vers Saryn, qui restait droite et immobile, sa cape noire retombant élégamment autour d’elle. Une lueur d’amusement passa brièvement dans ses yeux gris, et ses lèvres esquissèrent un sourire aussi énigmatique que provocateur.

— Je n’attends rien de moins de la part d’un Valenhardt, répondit-elle avec un calme glacial.

Alaric hocha la tête, satisfait de sa réponse, mais son expression ne trahissait aucun relâchement. Il se tourna alors vers Edric, son ton devenant plus direct, presque impérieux.

— Frère, tu partiras avec une escorte de dragonniers pour enquêter sur cette anomalie.
Edric se redressa, surpris par l’ordre inattendu.

— Moi ? Pourquoi pas Erynd ou l’un des capitaines ? Je n’ai pas l’expérience nécessaire pour une mission de cette envergure.

Alaric le fixa longuement, ses yeux gris perçants.

— Parce que tu as prouvé ta valeur. Tu t’es présenté devant Vaelthar, et il ne t’a pas rejeté. C’est un exploit que peu d’hommes peuvent revendiquer. Et c’est précisément ce dont cette mission a besoin Ne sous-estime pas ce que cela signifie. Edric sentit son estomac se nouer. Il ouvrit la bouche pour protester, mais le regard de son frère l’arrêta net. Ce regard ne laissait aucune place à la discussion, aucune ouverture pour un refus.

— Très bien, finit-il par dire, sa voix grave mais mesurée. Il se redressa légèrement, s’efforçant de masquer son hésitation. Mais sachez que je ne ferai confiance à personne à la légère.

À ces mots, Saryn pivota lentement vers lui, ses yeux étincelant d’une lueur presque malicieuse.

— Alors nous sommes deux, capitaine Valenhardt, dit-elle d’un ton légèrement moqueur, ses mots pesant lourd dans l’atmosphère.

Edric la fixa un instant, ses mâchoires serrées. Il ne répondit pas, mais il sentit une tension s’installer entre eux, un jeu implicite de défi et de méfiance. Autour de la table, les murmures reprirent doucement, mais Alaric leva la main pour imposer le silence une dernière fois.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, dit-il d’une voix tranchante. Préparez vos hommes. Nous devons agir avant que cette anomalie ne devienne une menace incontrôlable.

Le Conseil se leva dans un mouvement hésitant, chacun semblant peser la gravité de la mission à venir. Mais Edric resta un instant immobile, ses pensées déjà tournées vers les Terres Fracturées et l’étrange émissaire qui allait désormais marcher à ses côtés.

Quelques heures plus tard, Edric se tenait au milieu de la cour principale de Drakheim, où l’effervescence battait son plein. Le vent froid des montagnes balayait les pavés, portant avec lui des éclats de voix et le bruit métallique des préparatifs. Des dragonniers en armure ajustaient les harnais de leurs montures, vérifiaient leurs armes ou donnaient des ordres à voix haute.

Plus loin, des écuyers couraient d’un point à l’autre, portant des caisses de provisions ou des outils pour sécuriser les selles. L’air était imprégné de l’odeur de cuir chauffé, de métal huilé et de la fumée des forges voisines. Malgré l’agitation, une tension sous-jacente régnait : chacun semblait conscient de l’importance de cette mission et des dangers qui les attendaient.

Perché sur un promontoire rocheux, Vaelthar scrutait la cour d’un œil attentif. Une pulsation sourde résonnait parfois dans l’esprit d’Edric — un grondement intérieur, comme une émotion étrangère frôlant la sienne. Le lien était ténu, mais vivant. Une promesse en veille, et non un simple silence.

Edric, vêtu d’une tunique sombre renforcée de cuir, une cape noire bordée de fourrure jetée sur ses épaules, ajusta la ceinture de son épée. Son regard balaya la cour, observant les préparatifs avec une attention particulière. Chaque détail comptait. Une erreur, même minime, pourrait être fatale une fois qu’ils atteindraient les Terres Fracturées.

Une silhouette enveloppée dans une cape noire s’approcha lentement, ses pas presque imperceptibles sur les pavés. Saryn Lyssaren, fidèle à son apparence énigmatique, semblait flotter au milieu de l’agitation. La bordure argentée de sa cape captait faiblement la lumière du jour, et son visage, à moitié dissimulé par son capuchon, restait aussi impassible que lors de leur première rencontre.

Elle s’arrêta à quelques pas d’Edric, relevant légèrement la tête pour croiser son regard. Sa voix, douce mais empreinte d’une étrange gravité, brisa le tumulte ambiant.

— Vous avez des doutes, dit-elle sans préambule, ses mots coupant à travers l’agitation comme une lame.

Edric se tourna lentement vers elle, croisant les bras sur sa poitrine. Ses yeux gris, perçants et froids, s’attardèrent un instant sur le visage de Saryn avant de répondre, son ton mesuré mais ferme.

— J’en ai toujours. Mais cela ne m’empêchera pas d’agir.

Un sourire fugitif, presque imperceptible, effleura les lèvres de Saryn.

— Une qualité que je respecte, dit-elle calmement.

Elle marqua une pause, son regard s’attardant sur Vaelthar, qui les observait depuis son perchoir.

— Mais vos doutes ne doivent pas devenir des failles. Une décision hésitante peut coûter des vies.

Edric haussa légèrement un sourcil, son ton se durcissant.

— Et vos secrets ? Ne sont-ils pas plus dangereux que mes doutes ? Comment puis-je agir avec certitude si je ne sais pas ce que vous cachez ?

Saryn inclina légèrement la tête, comme si elle attendait cette remarque.

— Certains secrets protègent plus qu’ils ne détruisent, capitaine Valenhardt. Et parfois, savoir trop de choses peut vous conduire à votre perte.

Il la fixa, ses mâchoires se serrant légèrement.

— Je ne suis pas un pion dans vos jeux, Saryn. Si vos omissions mettent mes hommes en danger, je vous tiendrai personnellement responsable.

Cette fois, le sourire de Saryn fut plus marqué, presque amusé.

— Je ne doute pas de votre capacité à me le rappeler. Mais sachez ceci : je suis ici pour prévenir un désastre, pas pour en causer un. Nous avons besoin l’un de l’autre, que cela vous plaise ou non.

Edric resta silencieux un moment, pesant ses paroles. Finalement, il détourna le regard, fixant Vaelthar qui grondait doucement depuis son promontoire.

Un rugissement puissant retentit soudain, couvrant les bruits de la cour. Vaelthar déploya légèrement ses ailes, ses écailles noires brillant sous le soleil pâle. Ses yeux brûlants fixèrent Edric, comme pour lui rappeler que le temps pressait.

Saryn suivit le regard d’Edric, un éclat d’admiration traversant ses traits.

— Votre dragon est une créature remarquable, murmura-t-elle, presque pour elle-même.

Edric posa une main sur la garde de son épée, une habitude plus qu’un besoin réel, et se tourna vers elle une dernière fois.

— Et il est aussi imprévisible que vous. Mais contrairement à vous, je sais où se trouve sa loyauté.

Le sourire de Saryn s’élargit légèrement, mais elle ne répondit pas. Elle se contenta de hocher la tête avant de s’éloigner, ses pas silencieux se perdant dans l’agitation.

Alors que les dernières caisses étaient sanglées et que les montures piaffaient d’impatience, Edric se tenait face à Vaelthar, sa main posée sur l'échine rugueuse du dragon. Le regard d’ambre du Fléau Silencieux se planta dans le sien avec une intensité presque prophétique.

— Tu ne peux pas me porter cette fois, n’est-ce pas ? pensa Edric.

La réponse ne tarda pas. Une voix ancienne, grave, résonna dans son esprit.

— Pas encore. Les vents sont souillés, les cieux pleins de murmures que je dois surveiller. Mais je serai là. Au-dessus de vous. Comme une ombre fidèle.

Edric inclina la tête, acceptant le verdict. Le voyage se ferait à cheval, plus lent, plus vulnérable… mais peut-être aussi plus prudent.

— Capitaine, fit une voix claire derrière lui.

Il se retourna. Orla Nyven, silhouette élancée aux yeux dorés, se tenait déjà prête. Son arc runique reposait sur son épaule, et elle faisait tourner son carquois d’un geste rapide — tic de concentration qu’il connaissait bien.

— La piste vers les failles passe par les cols d’Ivrak. Si nous partons dans l’heure, nous pourrons les atteindre avant la tombée du second jour, dit-elle.

Orla, en ajustant son carquois, murmura à mi-voix :

— Si ces anomalies ont réveillé ce que je crois… ce ne sont pas des bêtes que nous allons affronter.

Kaelen haussa un sourcil.

— Tu parles des Ombrenyths ?

Elle hocha la tête, l’expression grave.

— Des ombres dotées de conscience. Des fragments de cauchemar incarné.

Il tapota l'encolure de sa monture d’un air moqueur, tout en adressant un regard appuyé à Orla. Elle ne répondit pas, mais un sourire en coin, discret et rapide, passa sur son visage.

— Kaelen, tu prendras l’avant. Orla, sur les hauteurs. Saryn et moi au centre, déclara Edric en harnachant son propre cheval, une bête noire au tempérament difficile.

Saryn Lyssaren s’approcha, toujours enveloppée de sa cape noire brodée d’argent. Son regard croisa celui d’Edric, impassible comme toujours.

— Je veillerai sur le flux magique. S’il y a une faille instable sur notre route, je la sentirai bien avant qu’elle ne nous engloutisse, dit-elle calmement.

Kaelen haussa un sourcil, ironique.

— Tant que ça ne se referme pas sous nos pieds pendant l’un de tes silences prophétiques…

— Continue comme ça et je t’envoie une de mes flèches là où même ton humour n’éclaire plus, répliqua Orla sans lever les yeux.

— Charmante. Comme toujours, commenta Kaelen, un rire léger aux lèvres.

Edric les regarda tous les trois. Si différents. Si essentiels.

Un grondement retentit. Vaelthar s’éleva dans le ciel, ses ailes gigantesques battant l’air glacé. Une ombre passa sur les murailles de Drakheim, lourde, majestueuse.

— En route, dit Edric simplement.

Et tous s’élancèrent à travers la porte principale, vers l’inconnu.

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