Nous prîmes le chemin inverse du groupe et avançâmes cette fois-ci plus vite qu’à l’arrivée. Créant par la même occasion plus de bruits. Je ne reconnus pas la direction mais Sorse semblait savoir parfaitement où il allait. Nous déboulâmes dans un couloir inondé. Je tentais de me rattraper aux parois pour éviter de m’étaler dans l’eau.

• Fais bien attention où tu mets les pieds, le sol n’est pas plat.
• On pouvait pas passer par un autre chemin ?
• On devait mais les merdeux ont choisi de le prendre avant nous. Par ici, on aura plus de chance de les distancer.
• Est-ce qu’on pourrait pas justement discuter ? Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ?

Sorse s’arrêta brusquement, je rentrais dans son sac à dos, manquant de tomber dans l’eau de nouveau. Il se retourna et son regard sévère annonça :

• J’imagine que tu as entendu parler des disparitions ces dernières années ?
• Tu imagines bien.
• Alors tu as ta réponse. Ce sont des toxicos, des bagarreuses parfois des assassins. Ils savent que sous terre, il n’y a pas de lois. J’ai encore retrouvé un corps il y a deux semaines. Quand à ce qu’ils risquent de te faire…

Il m’étudia de la tête aux pieds en insistant sur ma poitrine. J’avais parfaitement compris et acquiesçais nerveusement de la tête. Sorse reprit sa route sans un mot.

Malgré mes bottes imperméables, mes grosses chaussettes étaient gorgées d’eau. Ma combinaison était trempée jusqu’aux cuisses. L’eau se fit plus rare jusqu’à circuler uniquement dans une rigole au centre du couloir aussi étroit que ceux précédemment. Nous prîmes le tunnel de droite à un carrefour et nous arrêtâmes dans un petit espace aux multiples tags.

• Prenons quelques minutes pour vider l’eau. Ce qui nous permettra d’être moins lourds au cas où…

Nous enlevâmes nos chaussures et essorâmes un minimum nos vêtements. J’eus à peine le temps de remettre mes bottes qu’un rire malvenu se fit entendre devant nous. Sorse se leva brutalement, la main dans sa combinaison. Le reflet de lampes apparut sur les murs du bout.

• Je t’avais dit qu’il y en aurait près des bunkers ce soir…
• J’en avais marre d’attendre ! Coucou ma jolie !

Mon acolyte se retourna en me criant de faire demi-tour, me poussant plus que mes pieds ne le voulaient.

• Ne partez pas ! On va bien s’amuser !
• P, ne te retourne surtout pas et continue d’avancer tout droit !

Je glissais sans réfléchir dans des larges cavités que Sorse m’indiquait. Les ralliements et bruits de pas derrière nous perduraient. Après être passée dans un trou espacé, je déboulais dans un tunnel sans fin pourvu d’énormes tuyaux rouillés et de fils sombres.

Sorse me cria :

• Nous sommes dans la partie électrique reliée aux infrastructures de la ville. Surtout ne touche à aucun des fils. Une sortie est tout au bout du tunnel.

Je déglutis avec difficulté. Il me mettait la pression là ! J’avançais prudemment même si je devais aller vite. Au bout de quelques minutes, les mêmes rires du trou par lequel nous étions passés se firent entendre de nouveau. Les sons se répercutaient si vite que j’avais l’impression qu’ils étaient à quelques centimètres de moi. Une voix grasse et malsaine se projeta sur les murs du tunnel :

• On vient juste de commencer ! Venez jouez avec nous !
• Surtout ne t’arrête pas, cours !

Je pris la seule direction emplie d’obscurité qui se présentait à moi. Pour la première fois de ma vie, elle me rassurait davantage que son antonyme. Nos pas bruyants sur le sol en béton résonnaient autant que ceux de nos poursuivants. Tout en maintenant l’allure, Sorse m’annonça dans un souffle :

• Au bout, il y a des échelons qui mènent à une bouche d’égout. Pousse-toi que je puisse l’ouvrir.

Je réduisais mon allure pour qu’il me contourne sans que je touche les gros tuyaux tandis qu’il sortit de son sac un pied de biche. Comment allait-il ouvrir la trappe en peu de temps avec ça ? En regardant derrière moi, je remarquais que les poursuiveurs s’étaient mis à courir. La panique venait à peine de sonner à la porte de mon esprit, que Sorse gravissait déjà l’échelle ferrée clouée à la paroi arrondie. Sa lampe frontale éclairait une plaque ronde à plus de trente mètres. Bordel, c’était haut ! Arrivé déjà à la moitié, l’expert des cavernes pimenta un peu l’action :

• Surtout tu ne regardes pas en bas et tu continues de monter quoiqu’il arrive !

J’attrapais les échelons à ma hauteur et posai le pied. Tenir sur des barres si fines était déjà un exercice effroyable. À chaque montée, les semelles de mes bottes ployaient sous mon poids. Respire, Perlie, respire. Les voix se rapprochaient, m’intimant à venir m’amuser avec eux. D’autres me menacèrent de descendre. De tremblement en tremblement, je me forçais à continuer de monter. Je ne vis pas Sorse ouvrir la trappe mais j’entendis la lourdeur de la plaque se lever et racler le béton. L’air chaud s’engouffra, suivis des bruits de la ville. J’étais à la moitié et mon cœur menaçait de lâcher.

• Dem, ne la laisse pas s’échapper !

Le concerné se lança au pied de l’échelle et commença à me rattraper avec une rapidité incroyable.

• P, continue de monter, ne t’arrête surtout pas !

J’enchaînai les barreaux avec difficulté, mon souffle était saccadé, mon pouls battait fort. Les larmes me gagnèrent et je suppliais ma mère de me sortir de là.

• P, regarde-moi, continue ! Il te reste cinq mètres !

Son bras tendu me donna espoir et je m’activais de nouveau. J’attrapais sa main lorsqu’on tira sur mon pied. Le fameux Dem tenait ma botte en rigolant.

• Alors, on essaye de s’enfuir ?

Naturellement, je regardais en bas pour découvrir un visage émacié aux yeux injectés de sang. Je vis également trente mètres de vide en dessous. Oh maman. Je n’aurais pas dû regarder. Tenant uniquement sur l’échelle par un pied, j’essayais de me débattre. Dem tira davantage et agrippa ma jambe. On allait tomber, c’était certain. Puis ma lampe éclaira le canif qu’il tenait dans sa main gauche tandis qu’il monta d’un échelon avant de s’élever vers ma cuisse. Ma lumière illumina de nouveau son couteau : Il était ensanglanté. Ce fut en voyant la plaie en haut de ma jambe que la douleur apparut. L’effroyable rire de Dem me glaça les entrailles. Telle une tornade planétaire, la panique défonça la porte de chez moi réduisant tout sur son passage.

- Sorse ! Sors-moi de là ! Sorse ! Mon Dieu ! Sorse !

Le concerné m’agrippa fortement le bras de ses deux mains, tira un coup net, relâcha la pression quelques secondes et me leva violemment de nouveau. Dem lâcha mon pied pour éviter la chute et je me retrouvais sur le macadam. Mon sauveur replaça à moitié la trappe lorsqu’un bus se gara à l’arrêt d’en face. Sorse agrippa mon sac à dos pour me relever et tira mon bras.

• Le chauffeur va appeler les flics, bougeons vite de là !

Nous cavalâmes pendant plusieurs minutes dans l’arrondissement jusqu’à ce que l’adrénaline descende et que je ressente une forte douleur à la jambe droite.

• Bordel de m…
• On va se poser ici, ces cons évitent de sortir en pleine rue. On est tranquille.

En plein milieu de la nuit, les parcs étaient souvent fermés. Un SDF dormait paisiblement sur des cartons de l’autre côté du carré d’herbe. Nous enjambâmes le petit portail et je m’étalais sur l’un des bancs. L’entaille n’était pas profonde mais elle faisait un mal de chien. Je sortais un paquet de mouchoirs que j’accumulais au fur et à mesure sur la plaie. Sorse sortit un bandage de son sac qu’il s’appliqua à enrouler autour de ma cuisse.

• Ça va permettre d’arrêter le saignement, mais je te conseille de désinfecter et changer la bande quand tu seras chez toi. Pas besoin de points de suture.

Mon cœur parut se stabiliser et je bus de nouveau une gorgée d’eau. J’étais en sueur et à voir les saletés sur ma combinaison, ma tête devait être pire. Reposant ma tête sur le dossier du banc, m’enfiler la moitié d’une bouteille me fit soudain envie.

• Je boirais bien un verre de whisky là. Ou deux.

Sorse explosa de rire. Je relevais le buste pour me tenir assise à sa portée.

• Merci Sorse.
• Est-ce que tu as trouvé ce que tu cherchais ?
• En quelque sorte, au prix d’un stress immense.

Il renifla de sarcasme avant de redevenir sérieux.

• Impressionnant pour quelqu’un qui a la phobie du vide.
• Ça se voyait tant que ça ?
• Évidemment. Tu aurais dû me le dire, on serait passé par un autre chemin. En tout cas, tu as l’air assez sereine pour quelqu’un qui vient de se faire agresser.

En effet. Je me demandais bien pourquoi je n’étais pas là, à paniquer. Peut-être étais-je encore sous l’effet de l’adrénaline.

• Je dois être plus robuste que je ne le croyais. Tu en as souvent croisé des tarés sous terre ?
• Ça m’est arrivé plusieurs fois mais j’étais avec Oxa. Et j’ai vu de quoi ils étaient capables. Voilà pourquoi, j’ai préféré sortir que parlementer.

Il glissa la fermeture de sa combinaison et en sortit un pistolet.

• C’est aussi pour ça que j’ai ça sur moi au cas où.

Je repoussais sa main pour qu’il range ce métal que la lune intensifiait, jetant des coups d’œil aux alentours.

• Garde ça caché, malheureux ! Les gens appellent la police pour tout et n’importe quoi dans ce quartier.

Sorse rigola de nouveau.

• Ne t’en fais pas pour moi. Ma voiture est un peu plus loin. Je te ramène chez toi.
• J’ai six étages d’escalier à monter, tu veux toujours me ramener chez moi ?

Son sourire fut le plus sincère de la soirée.

• Je te ramène chez toi.

J’accueillis sa bienveillance avec joie. Après tout, nous étions passés à deux doigts de nous faire agresser, lui donner mon adresse ne me parut pas imprudent.

Il m’aida à m’asseoir dans sa Clio bleue et mit sa ceinture lorsque son téléphone sonna.

• Ouais ?

Il me jeta un œil et poursuivit :

• Elle va bien. On est tombé sur une bande de casseurs mais ça va.
• C’est Oberas ?

Sorse refusa d’acquiescer mais ses yeux le trahir.

• Je la ramène juste chez elle, t’inquiète.
• Tu discutes avec Oberas ? Passe-le-moi.

Sorse me répondit par la négative et ajouta que j’avais trouvé ce que j’étais venu chercher. Mon impatience atteignit son apogée. Je me ruais sur le portable de mon acolyte qui le déplaça dans son autre main, mais je fus plus rapide.

• Allô ? Allô ? Obe ?

Un bref silence s’imposa puis une voix calme et suave me répondit :

• Bonsoir, Perlie.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. C’était la première fois en deux ans que j’entendais la voix de mon compagnon de hacking. Nerveuse, je me surpris à glousser bêtement sous le regard inquiétant de Sorse. Il m’arracha le téléphone des mains.

• Il a raccroché.

Merde.