Révélation.
An 183 de la nouvelle ère, le treizième jour de la lune d’Aulne.
Yori entra dans la résidence, une fillette d’environ deux ans se précipita vers lui en criant « bisous Pa ». Il la saisit en pleine course, l’éleva tout haut, tout haut, avant de ramener un visage riant devant le sien et le couvrir de baisers.
« Ne la dévore pas maintenant, il est l’heure de passer à table ! » s’esclaffa une voix venue de la salle à manger.
Ils s’empressèrent de rejoindre la maîtresse de maison que son mari embrassa.
Lorsqu’Ilaé sortit de la pièce après avoir servi les hors-d’œuvre, Halenaé lui dit :
« Ferme la porte derrière toi, ne reviens pas avant qu’on ne sonne ! » puis elle se tourna vers Yori.
« Chéri, je dois te dire quelque chose de très important. »
Yori souleva un sourcil et attendit la suite, souriant.
« Ce matin, je faisais une partie de donjon avec ma sœur, quand je me suis demandé où était Altaé, et… et elle a crié : Altaé dehors, joue avec Amiraé. Je me suis enquise, par la fenêtre, pourquoi elle disait ça…
— Qu’a-t-elle répondu ? » l’appréhension perçait dans la voix de Yori.
« “Ben, Ma veut savoir” », le ton léger d’Halenaé était forcé.
Sans quitter Halenaé des yeux, Yori pensa : Altéa, est-ce que tu m’entends ?
« Ben, oui !
— Tu m’entends tout le temps ?
— Ben, oui !
— Ma aussi, tu l’entends tout le temps ?
— Ben, oui ! répéta-t-elle en riant.
— Les autres aussi ?
— C’est affreux, pauvre enfant, se désolait Halenaé.
— Ben, oui. Pas peur Ma, Altéa pas mal !
— Cesse de dire ben à tout bout de champ, la reprit Halenaé, avec un sourire indulgent.
— Tout le monde, tout le temps ?
— Oui Pa !
Altaé s’interrogeait : pourquoi ses parents étaient-ils si inquiets ? Ils n’étaient pas fâchés contre elle, mais elle lisait en eux la peur qu’ils désiraient lui cacher. Elle sentait l’amour qu’ils lui portaient, alors elle occulta les craintes qu’ils éprouvaient – comme elle le faisait de la quasi-totalité des pensées qu’elle percevait – de toute façon elle ne comprenait pas qu’ils puissent avoir peur qu’elle soit elle.
***
Yori passa l’après-midi avec Jaeli, son intendant et ami. Il lui donna des instructions pour la gestion du haras, convint avec lui de diverses mesures de sécurité et l’avisa de l’installation de Raelaé au manoir. De son côté, Halenaé se chargea de convaincre sa sœur d’y emménager, ce qui ne se révéla pas trop difficile.
Le lendemain, comme tous les matins, à sept heures le brougham quitta la résidence et sortit de la ville. Arrivé au haras, le cocher arrêta son attelage à proximité d’un chariot bâché, avant même qu’il ne serre le frein, Kekekw ouvrit la portière de la voiture. Halenaé descendit, suivit d’Altaé qui s’écria hou hou hou hou hou hou en se jetant dans les bras de l’Atikamekw ; lequel la fit tournoyer et la déposa à l’intérieur de la goélette des prairies, puis il prêta la main à la mère de la fillette pour qu’elle s’installe auprès de celle-ci. Yori était sorti par la portière opposée, il se dirigeait vers un palefrenier qui tenait par le licol un hongre blanc. Après avoir flatté le garrot d’Atikwapaw, il l’enfourcha, vérifia d’un coup d’œil que Kekekw avait pris place sur le banc de conduite du chariot et mit sa monture au pas.
La famille Léonas partait pour la lisière.
***
Traductions Atikamekw (langue autochtone) ➢ français :
Kekekw ➢ faucon.
Atikwapaw ➢ contraction d'Atikw ➢ cheval et wapaw ➢ blanc, ce qui pour un cheval blanc est particulièrement original
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