Grump

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Les Léonas séjournèrent une décade à l’hacienda. Bien qu’ils comprennent la nécessité de l’exil de ceux-ci, les parents d’Halenaé les auraient volontiers hébergés, une lune, voire plusieurs. Tous se réjouissaient d’avoir, le onzième jour de la lune du Saule, fêté ensemble le Jour du Renouveau – premier de la nouvelle année.

Prali insista néanmoins pour que Moteho Ohomisiw et Tactapiw Sikosiw se joignent à eux pour le voyage, il tint également à leur offrir quatre montures, un second chariot et son attelage. Le patriarche des Virisa, fin stratège, savait que Yori ne pouvait refuser la compagnie du frère de Kekekw ni celle de la belle-sœur – les Atikamekw se déplacent en famille – dont il vanta les qualités de cuisinière.

Le dix-huitième jour de la lune du Saule de l’année 174, le convoi reprit le rythme militaire, départ à sept heures, pas d’autres haltes que celles qui étaient dévolues au repos des chevaux avant vingt heures. Chaque soir, les hommes installaient le bivouac et soignaient les équidés ; Tactapiw Sikosiw préparait le dîner ainsi que les casse-croûtes destinés à satisfaire la faim de chacun au moment où elle se manifesterait le lendemain, à l’exception d’Altaé qui tous les jours, à treize heures, déjeunait d’un repas froid, mais complet ; celle-ci aidait Halenaé au ramassage du bois et à la cueillette, mais souvent mettait plus de baies dans sa bouche que dans le panier.

Le dernier jour de la lune du Saule, au grand étonnement des adultes, pendant le souper une boule de poils, qui prit soin d’éviter les sabots des neuf chevaux qui paissaient alentour, pénétra dans le camp puis traversa le cercle qu’ils formaient, assis en tailleur pour venir se coucher à côté d’Altaé qui enfouit une main dans son épaisse fourrure.

Moteho Ohomisiw salua l’animal :

« Kuei picicic !

Kipiciw ? demanda Tactapiw Sikosiw à Altaé.

Na-ma ni-pi-ciw, articula-t-elle péniblement avant de rire, heureuse de son exploit.

— Que fait-il ici ? intervint Halenaé.

— Lui, plus ma, plus sœus, plus frrrèrrres. Tués ! Lui faim, moi dis iens !

— Des trappeurs ! La peau des petits vaut très cher, estima Kekekw.

— Il est très jeune, les lynx roux naissent au plus tôt au début de la lune d’Aulne. S’il a moins de deux lunes, il n’est pas sevré ! lui fit remarquer Yori.

— Gump mange iande, tois fois !

— Gump ? interrogea Tactapiw Sikosiw en se levant.

— Lui Grrrrump !

— Son nom ? s’enquit Tactapiw Sikosiw revenant du chariot un morceau de viande à la main.

— Lui fait grrrump, grrump, grrrrrump.

— Il ne fait pas grump, il ronronne : ronron-ronron, parce que tu lui fais des crouchs, rectifia sa mère.

— Ben ! toi entends pas, moi entends gump, grrrump !

— Il dit que c’est son nom ? demanda Tactapiw Sikosiw. Tiens, donne-lui ce petit morceau !

— Ben non moi dis nom lui Grrump ! pouffa Altaé en donnant la viande au chaton.

Opicicic ! » trancha Kekekw.

Après le dîner avant de se coucher, Altaé fut autorisée à jouer avec Grump, pendant une heure, afin de répondre aux besoins de celui-ci. Le lendemain, du haut de ses deux ans, bientôt trois, Altaé décida qu’elle vivrait la nuit et dormirait le jour comme Grump. Sa mère lui expliqua que si les chats sauvages étaient des animaux nocturnes, les hommes eux étaient diurnes et que les enfants, même de beaucoup plus de trois ans, ne décidaient rien, que c’étaient les mamans qui décidaient. Néanmoins, elle accorda à sa fille l’autorisation de s’occuper de Grump chaque soir jusqu’à minuit, et de dormir avec lui dans la goélette des prairies toute la matinée. Un instant, Yori fut surpris de l’arrangement proposé par Halenaé.

C’est à ce rythme que se poursuivit le voyage pour la « potèctice » de Grump.

Le dix-huitième jour de la lune de l’Aubépine, les deux chariots s’arrêtèrent côte à côte au sommet d’une colline, Yori mena sa monture entre les bancs de conduite.

« Voici notre destination, annonça Yori, l’index pointé sur des maisons à l’horizon.

— Irinakhoiw ! s'exclama Moteho Ohomisiw.

Mohowawog ! précisa Kekekw, impassible.

— Ce sont nos ennemis ! gronda Moteho Ohomisiw.

— Il n’y a que deux capotowan et celle de droite dans son état doit être inhabitée, il ne doit pas y avoir plus de dix à douze familles, fit remarquer sa femme pour l’apaiser.

Ronathahí:non a été décimé par l’enrôlement forcé dans les troupes de l’amirauté, ajouta Yori.

— Ce sont eux qui ont laissé Halenaé pour morte ! vociféra Moteho Ohomisiw.

— La guerre est finie et Okwáho Karà:ken a une dette envers ton frère, argumenta Halenaé.

Irinakhoiw ! cracha Moteho Ohomisiw.

— Il payera sa dette, et nous ne serons pas isolés, regarde, il y a aussi des chalets, répliqua Kekekw.

— Oui, je vois les habitations Emitcikociwicak, mais ce sont sans doute des matelots, riposta son frère.

— Mais aucun agent des chasseurs, affirma Halenaé.

— Nous resterons avec vous ! asséna Moteho Ohomisiw.

— Vous devez retourner à l’hacienda, mes parents vont s’inquiéter ! argua Halenaé.

— Je ne m’imagine pas annoncer à ton père que nous vous avons abandonnés au milieu des Mohowawog ! protesta Tactapiw Sikosiw.

— Il nous tuerait avant de nous renvoyer ici, alors nous ne retournerons pas là-bas ! confirma son mari.

— Vous avez raison, vous restez, mais je ne veux plus entendre "Irinakhoiw" ni "Mohowawog". Il va nous falloir les appeler par les noms qu’ils se donnent tant que nous vivrons à leurs côtés : Kanonsionni de la nation Kanien’kehá:ka ! » conclut Yori.

Il n’obtint que des grommellements en guise d’assentiments. La caravane s’ébranla en direction du village.

***

Traductions Atikamekw ➢ français :

Moteho Ohomisiw ➢ Hibou qui bat des ailes.

Tactapiw Sikosiw ➢ Vive Belette

Les dialogues tels que vous pourriez les lire, en plaçant le curseur de votre souris sur les mots en langues autochtones, avec la fonction HTML DOM mouseover event.

« Bonjour petit lynx !

— Ton lynx ?

— Pas mon lynx.

— Son petit lynx ! »

… /…

— Serpents à sonnette ! s'exclama Moteho Ohomisiw.

Mangeurs d’hommes ! précisa Kekekw, impassible.

— …

— Il n’y a que deux maisons longues et celle de droite…

Le clan du loup a été décimé…

— La guerre est finie et Loup blanc a une dette…

Langues de serpent ! cracha Moteho Ohomisiw.

— …

— Oui, je vois les habitations [de] ceux qui sont arrivés par bateau de bois, mais…

— … abandonnés au milieu des mangeurs d’hommes !

— …

— … plus entendre "Serpents à sonnette" ni "mangeurs d’hommes". Il va… [traduit du mohawk]… à leurs côtés : gens des maisons longues de la nation [du] peuple des silex ! » conclut Yori.

Liberté prise avec la langue :

Piciw et picicic (petit du piciw) dans la langue des autochtones atikamekw Nehirowisiwok désignent le lynx du Canada (Lynx canadensis), pas le lynx roux (Lynx rufus) dénommé lynx bai ou chat sauvage en français québécois et bobcat en anglais.

Mais cette histoire ne déroule pas dans notre monde, et ces Atikamekw ne sont pas des Nehirowisiwok (ceux qui viennent des bois) comme nous le verrons plus tard.

Notes sur la nation mohawk :

Ils se nomment Kanien’kehá:ka ➢ Peuple des silex.

Au singulier Kanien’keha désigne un membre de la nation ou la langue.

Agnier en français par amuïssement : aphérèse du K et apocope des trois dernières syllabes : K-Anié-nkehaka.

Mohawk en anglais. Leurs ennemis algonquiens les appelaient « mohowawog » (mangeurs d’hommes). Mot anglicisé en "mohawk".

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